D’origine marocaine, Monsieur L.T. Breze a été, en Ile de France, Président du Comité Régional pour le Culte Musulman (CRCM) . Il fut aussi Président de l’Union des Organisations islamiques de France : une Fédération regroupant 250 associations musulmanes. L’UOIF prône un islam dit du « juste milieu » : c’est dire qu’il prend en compte l’environnement social et culturel.
Islam et appartenance à la citoyenneté
La représentativité du culte musulman a intéressé de plus en plus les pouvoirs publics.
J’avais 22 ans quand je suis arrivé en France comme étudiant et j’en ai maintenant bientôt 60. J’ai vu l’évolution de la présence musulmane. Je suis très optimiste. Dans les premières années, nous allions prier dans les églises, chez nos frères chrétiens. Nous avons voulu acquérir notre autonomie tout en maintenant nos liens avec les autres religions, en particulier avec nos frères catholiques. En voyant le contraste avec ce que nous vivons aujourd’hui, il y a de quoi être optimiste. Quand les travailleurs migrants ont fait venir leurs familles, ils ont compris qu’il fallait que l’islam puisse se transmettre à leurs enfants. A partir de là, nous avons réfléchi sur la pratique de l’islam dans le pays. Il s’agissait de garder l’essentiel de la religion musulmane ; il s’agissait aussi de trouver une place au sein de l’édifice républicain. Cela n’a pas été facile. Nous avons dû vivre des affrontements, faire face à des incompréhensions. Nous avons compris qu’il fallait libérer l’islam des traditions non fondées venues des différents pays et inventer une pratique compatible avec les traditions européennes. Il fallait aussi songer à la participation citoyenne : comment concilier les appartenances à la France et à la communauté islamique ?
L’UOIF a eu le courage de mettre en avant d’abord l’appartenance à la citoyenneté. Ce n’est pas la religion qui peut nous unir. Chacun a sa propre religion ou ses propres convictions. En revanche, la citoyenneté est le facteur commun à tous. A partir de là nous avions à inventer une politique harmonieuse, positive, pacifique, dans le cadre de la République.
A la première conférence organisée par l’UOIF, il y avait cent personnes, dans une cave. Quand on voit aujourd’hui la mosquée de Rennes, par exemple, on a un beau témoignage de l’évolution. Certains ne veulent pas le comprendre. Même si l’islam a fait des erreurs, il faut reconnaître qu’il s’est efforcé de s’intégrer dans la société française.
L’UOIF a contribué à cette évolution. Elle fut créée en 1983 pour aider les étudiants musulmans à pratiquer leur religion et à surmonter un certain nombre de difficultés. Il s’agissait aussi de soutenir des causes étrangères comme la Palestine.
Islam en France et Islam de France
Mais nous nous sommes vite aperçu qu’il fallait s’occuper uniquement de l’islam de France. Nous sommes alors passé de l’islam en France à l’islam de France. L’UOIFest la seule instance qui réfléchit continuellement et sans cesse aligne une alliance harmonieuse avec notre pays en organisant des congrès, des rencontres, des colloques et le Conseil de la Fatwa qui est devenu européen. C’est en France, en effet, qu’est né ce Conseil européen. Nous invitons les représentants des organisations islamiques des pays européens. Nous nous sommes aperçu que nous avions, les uns et les autres, les mêmes difficultés et les mêmes problèmes. Nous en sommes venu à créer cette instance qui formule des avis autorisés. Elle a aussi à inventer des règles théologiques pour aider les musulmans à vivre dans nos sociétés avec un souci de pacification.
L’UOIF travaille en collaboration avec les autres instances musulmanes de France comme la Grande Mosquée de Paris. Il s’agit de permettre une vraie représentativité du culte musulman. Elle agit en toute autonomie et refuse d’être soumise aux pressions des pays étrangers. Nous dialoguons avec l’Etat français, non avec les Etats étrangers. Je sais que certaines organisations s’alignent sur tel ou tel pays ; libre à eux. Mais ce n’est pas notre choix. Mr Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, était venu nous voir avenue de la Prévôté, à La Courneuve. Il a traité avec nous directement : nous n’oublions pas les intérêts de la France.
A propos du CFCM
L’UOIF ne prétend pas être seule pour l’élaboration du culte musulman en France. Nous travaillons avec les autres. Nous reconnaissons une instance réunissant des acteurs différents travaillant comme nous pour l’islam. Nous ne sommes pas toujours d’accord mais nous acceptons cette diversité. Cela permet une véritable représentativité.
Même si le CFCM ne répond pas aux attentes de tous les musulmans, nous avons institutionnalisé cette instance qui sert de référence pour tous les acteurs qui sont concernés par le culte islamique.
Les gouvernements successifs, sans distinction ont tous été convaincus qu’il faut une place pour l’islam. Joxe, Debré, Pasqua, Chevènement et Jospin avec qui j’ai beaucoup travaillé, Vaillant, Sarkozy. Jamais un gouvernement n’a stigmatisé l’islam. Après les événements terroristes on constate une volonté de lui accorder une place sur l’échiquier institutionnel français. Il est de notre devoir d’être à la hauteur de cette ouverture. Nous sommes en train de progresser en ce sens.
Le CFCM est passé par plusieurs étapes. Une étape de lancement. C’était vraiment actif ; l’enthousiasme était grand. Un beau dynamisme se déployait au niveau du bureau exécutif. Il s’est mis ensuite à régresser. Il y a eu quelques litiges entre les différents courants en France. Tout le monde n’était pas d’accord sur la mission essentielle du CFCM. Certains voulaient qu’il représente uniquement le culte, d’autres tous les musulmans. Nous ne représentons pas les musulmans, nous ne croyons pas que les musulmans doivent se constituer en parti politique. Nous pensons qu’ils ont à s’intégrer dans tous les partis. Le culte doit être notre seule préoccupation. Mais le culte recouvre de nombreux domaines : le dogme, la doctrine, les arrêts théologiques que nous devons adopter ; en effet Dieu a fait un arsenal d’arrêts théologiques qui permet aux musulmans d’adapter leur religion sans percuter la société. C’est l’islam qui doit s’adapter à la République et non l’inverse. Nous demandons une seule chose à la République c’est d’être fidèle à ses valeurs.
A cause de ces litiges, le CFCM a stagné pendant des années. Aujourd’hui, il retrouve du souffle. L’UOIF veut relancer la dynamique. Elle tient à ce que le Président du CFCM représente vraiment le culte musulman. L’UOIF travaille beaucoup pour que le culte musulman s’épanouisse et pour cela il faut que ses arrêts soient les plus appropriés à la réalité de la France. Il faut qu’il représente tous les courants de l’islam qui existent et prenne, dans chaque courant, ce qu’il a de meilleur et nous aide à pratiquer vraiment notre religion dans la société. Il faut en même temps que le CFCM soit indépendant : le ministère de l’intérieur n’a pas à négocier avec l’ambassadeur ou la chancellerie de tel pays mais avec les vrais représentants du culte musulman.
Après le 19 novembre
l faut que nos concitoyens sachent ce que nous pensons. Nous vivons des choses merveilleuses mais nos concitoyens ne sont pas au courant de notre pensée, notre doctrine. Le 29 novembre, deux semaines après les événements de l’Est parisien, a été lu, à l’Institut du Monde Arabe, un Manifeste signé par toutes les organisations musulmanes de France. En l’écoutant, les imams ou les présidents d’association se sont mis à chanter la Marseillaise. Devant cette manifestation, le Ministre de l’Intérieur a été profondément ému. Le CFCM, de manière intelligente, avait pris cette initiative et il a associé avec lui toutes les instances de France.
Les actes qui ont fait des victimes, le 19 novembre, touchent profondément les musulmans. Pendant plusieurs jours, les enfants ne pouvaient pas sortir tant ils avaient honte. Ces actes remettent en cause ce que nous avons acquis. Nous sommes doublement victimes. A qui profite ce crime ? Je dis « Pauvre islam ! » Au service de quelle cause ces imbéciles ont-ils agi ? Il faut que les chrétiens sachent que nous nous désolidarisons de cet islam-là. Les chrétiens doivent savoir que nous sommes leurs frères : le Coran parle de Jésus avec un grand respect. Nous avions commencé un travail d’explication pour manifester qui nous sommes, il faut repartir à zéro ! Nous sommes une religion de paix et de miséricorde. Malgré quelques dérives, la plupart de nos concitoyens savent faire la part des choses et je les en remercie.
Aux lecteurs de ces cahiers, je dis : Ensemble, musulmans et chrétiens, nous devons avoir conscience de l’évolution positive de la place de l’islam en France. Notre force est dans le dialogue, lorsqu’on découvre l’autre. En nous approchant les uns des autres nous acquérons une grande richesse. Que chacun sache que les musulmans ne cherchent rien d’autre que de pratiquer leur religion dans le cadre laïque du pays.
Ladj Thami Brèze