Ceux qui sont tentés d’accuser l’islam d’être facteur de violence
auront intérêt à méditer ce texte de Mohammed Benali :
la souffrance peut élever
à un haut degré de spiritualité.
Le Coran et la création de l’homme
On m’interroge sur la souffrance en islam. Je commence en répondant d’une façon un peu théorique et dogmatique. J’en viendrai à évoquer une situation concrète pour illustrer la réalité. Je terminerai en disant la position de l’islam sur les questions posées, en notre temps, par la souffrance.
Pour comprendre la position de l’islam, il faut se rappeler comment le Coran présente la création de l’homme. Elle est différente de celle des anges qui, eux comme nous, sont des créatures.
Dieu, après avoir sorti Adam du néant, ordonna à toutes les créatures de se prosterner devant lui. Il s’agissait, bien sûr, non d’adorer une créature mais de se soumettre à la volonté du créateur. « Comment se prosterner devant un être qui va répandre le désordre et verser le sang sur la terre ? » A cette question des anges, Dieu a répondu : « Je sais ce que vous ne savez pas ! » Tous les anges et toutes les créatures acceptèrent alors de s’incliner sauf Iblis. « Je suis supérieur à l’homme : tu l’as créé de terre alors que je le suis à partir du feu ». Il a ensuite demandé à Dieu le pouvoir d’égarer Adam et sa descendance afin de les conduire en enfer ; Iblis obtint le droit de les pousser à faire le mal.
L’homme était destiné au Paradis. En l’y installant, Dieu lui avait dit : « Profite de tout ce qui est dans le Paradis mais ne touche pas à cet arbre que je te montre ». Créer l’homme revenait à le mettre à l’épreuve. Iblis est venu lui dire : « Mange de cet arbre ». En obéissant à cet ordre, Adam ratait la première manche ; l’homme s’est alors retrouvé sur terre aux prises avec le Tentateur.
La vie sur terre : un passage
Autrement dit, la vie ici-bas est un temps de transition. L’homme est créé pour vivre une autre situation que celle qu’il connaît maintenant. Sa vie sur terre est un passage où il est soumis à toutes sortes d’épreuves, entre autres celle de la souffrance.
Les premiers à être éprouvés furent les Prophètes. C’est le cas du prophète de l’islam. C’est aussi celui de Jésus. J’aime le récit de ce qu’a connu Job. Il était ravagé par la maladie. Tout son corps était atteint. Sa femme le pressait : « L’ange Gabriel te parle tous les jours. Pourquoi ne demandes-tu pas à Dieu de te guérir ? » Job refusait d’écouter sa femme : « J’aurais honte de lui demander la guérison ; Dieu sait bien que je désire guérir ; si j’implorais sa pitié j’aurais l’air de le rappeler à son devoir ! » Arriva pourtant le moment où le prophète se mit à supplier son créateur ; ce fut lorsque le mal menaça ses lèvres : « Mon Seigneur ! Laisse-moi au moins la langue pour que je puisse t’invoquer ! » La souffrance peut élever l’homme à ce niveau spirituel ! Les prophètes font face en acceptant la souffrance. Ils savent qu’elle vient de Dieu et que la vie ici-bas est un passage ; la souffrance est une des épreuves à laquelle les hommes n’échappent pas, qu’ils soient pauvres, riches ou puissants.
D’ailleurs, ce sont les plus riches qui se suicident ! Le musulman est convaincu que s’il sait faire face à la souffrance, il obtiendra des bienfaits extraordinaires qui seront à la mesure de son acceptation. Les prophètes sont vraiment pour nous les exemples à suivre.
On comprend, dans ces conditions, que le musulman, lorsqu’il souffre se sente proche de Dieu. On Le reconnaît aux épreuves qu’il impose. Dans la sunna, on nous raconte que plusieurs, parmi ceux qu’on appelle « Les Compagnons », sont venus demander au Prophète : « Dieu serait-il fâché contre nous ? Voici un an que toute souffrance nous a été épargnée ! » Quand Dieu est en colère contre quelqu’un il se désintéresse de lui en lui épargnant la souffrance.
L’homme face
aux épreuves
Je propose une parabole pour faire comprendre la condition de l’homme face à la souffrance telle que nous la comprenons en islam.
La vie de ce monde ressemble à une salle de classe un jour d’examen. Le professeur est devant les élèves assis à leurs bureaux. Le maître a transmis ses connaissances et son savoir-faire et il souhaite que ceux qu’il a formés s’avèrent capables de faire face à ce qui leur est demandé. Il souhaiterait que tous réussissent à répondre à ses attentes. Quand il les voit s’égarer, il est sans doute désolé mais il n’intervient pas : ce serait changer les règles du jeu.
La vie de chacun de nous est comparable à la situation de ces élèves. Dieu aimerait nous voir réussir mais si nous nous égarons il nous laisse aller jusqu’au bout de nos erreurs. Quand se produisent des injustices, quand des peuples sombrent dans la misère, quand se produisent des tremblements de terre ou d’autres ravages climatiques, l’homme est face à des épreuves que Dieu lui envoie pour examiner comment nous réagissons. Quand viendra la vraie vie nous saurons les résultats. Si l’on suit les enseignements des prophètes on peut dès maintenant en avoir une idée.
On me dira peut-être que lorsqu’un père voit son fils prendre un mauvais chemin, il intervient. Dieu ne devrait-il pas intervenir de la même façon ? Non ! Si mon fils court à sa perte, je considère que Dieu me met à l’épreuve. J’ai pour devoir de le ramener à retrouver la bonne voie. Pour un musulman, tout est épreuve, y compris le bonheur.
Le devoir de vigilance
Chaque rencontre est une épreuve : comment vais-je me comporter vis-à-vis de mon interlocuteur ? Les anges ont été créés pour adorer Dieu. Ils ne font pas de faute. Les hommes sont à l’épreuve ; ils peuvent s’égarer ; c’est pourquoi ils doivent être vigilants, demander pardon et se repentir.
Je sors de ces considérations dogmatiques pour évoquer une situation que je viens de vivre. Au début de l’après-midi, un musulman croyant mais pas très pratiquant fait appel à moi. Il me téléphone depuis l’hôpital de Pontoise. Le médecin venait de le prévenir que son épouse de quarante-neuf ans n’avait plus beaucoup de temps avant de mourir et qu’il devait prendre les mesures concernant le décès. Je l’ai rejoint. Il fallait penser aux obsèques et il voulait que tout soit conforme à l’islam.
Il m’a dit que sa femme, depuis un certain temps, avait arrêté de faire ses prières. Je l’ai engagé à se hâter pour rattraper le plus possible celles qu’elle aurait dû faire. Avec une pierre, il lui a fait les ablutions qui conviennent. Il a pu prononcer un certain nombre de salât qui étaient en retard. Je suis parti faire quelques démarches pour lui. Quand je suis revenu, la femme était morte. Le mari m’a dit qu’elle l’avait rejointe avec les yeux lorsqu’il priait : « Elle m’a écouté et accompagné des yeux ». Le groupe des femmes est arrivé pour la prière mortuaire.
J’évoque cette situation parce qu’elle m’est très présente mais aussi pour souligner qu’on ne peut remettre en cause, même dans les moments dramatiques, l’existence de Dieu, sa présence dans l’épreuve. La fin de vie est importante. Si la personne accepte sa souffrance et sa mort, si elle y voit l’épreuve voulue par Dieu, elle est purifiée de ses péchés.
Bien sûr, l’homme a pleuré. En principe c’est réprouvé par l’islam ; les pleurs sont considérés comme une contestation de la décision de Dieu. Mais on ne peut reprocher à quelqu’un d’exprimer sa peine.
Souffrance et rencontre de Dieu
Par rapport aux questions éthiques posées par la souffrance, l’islam a quelques positions qu’il faut connaître.
Dans l’islam, on ne pratique l’avortement que si la santé de la femme est en danger et dans les trois premiers mois de la grossesse. Au bout des quarante-deux premiers jours, d’après un hadith, Dieu met l’âme dans le corps. Le fœtus, jusque-là, n’est pas encore un être humain. Un autre hadith explique aussi que l’âme n’est opérationnelle dans le corps qu’au bout de trois mois. Pendant ce temps on peut, pour des raisons sérieuses recourir à l’IVG. Si, par exemple, l’échographie révèle une anomalie dans le corps, pendant cette période de quatre-vingt-dix jours, on a le droit d’avorter. Mais quand l’âme est là, Dieu est seul maître de la vie et de la mort.
Le même principe joue pour la fin de la vie. Les savants sont unanimes pour condamner l’euthanasie ; ce n’est pas à l’homme de retirer la vie que Dieu a donnée. Cette souffrance de la fin de vie fait partie de l’épreuve.
La souffrance est rencontre de Dieu. Tout est rencontre de Dieu pour un musulman. Cela étonne les Français. Je me souviens qu’en arrivant en France, je logeais chez des parents. Un deuil s’était produit chez les voisins. En me présentant la veuve, mon oncle me dit : « Cette dame vient de perdre son mari ». Spontanément et en toute sincérité, je lui dis : « Que Dieu ait son âme ! » Je me rappellerai toujours le visage offensé de cette personne : « Ne me parlez jamais de Dieu ! » Je n’avais pas encore compris que les évidences religieuses au Maroc ne sont pas celles de la France. Là aussi, pour nous musulmans, il s’agit d’une épreuve. Tous les musulmans ne sont pas capables d’y faire face. C’est dommage !
Mohammed Benali