Sadek Sellam est un historien de l’islam, particulièrement de l’islam de France et très engagé dans le dialogue islamo chrétien. La culture de cet intellectuel lui
permet de repérer avec précision l’enseignement du Coran.
La mort relève de Dieu
Avant l’Islam, les poètes arabes nominés par les jurys chargés de sélectionner les Mu’allaqat (les meilleurs poèmes suspendus au Temple de la Mecque) chantaient l’amour, le cheval, la nature,.. L’ un d’eux, après avoir composé des vers consacrés au vague à l’âme évoqua la mort en ces termes :
« Chaque humain quoique dure sa sécurité finira porté sur une civière ».
Le Coran rappelle l’inéluctabilité de la mort non pas par l’image extérieure des funérailles, mais par la sensation intérieure et la mention des thèmes eschatologiques de l’Islam :
« Chaque âme goûtera la mort, mais vous ne recevrez votre exacte rétribution que le jour de la résurrection. Quiconque sera écarté du feu et introduit dans le paradis aura triomphé. La vie d’ici-bas n’est qu’une jouissance illusoire. » (3, 185).
« Dis : « la mort que vous fuyez vous rencontrera et vous serez ensuite raménés vers Celui qui connaît l’inconnaissable et ce dont on peut témoigner. Il vous avisera alors de ce que vous faisiez. »(62, 8).
La mort relève de Dieu, qui a créé et qui ressuscite :
« C’est Lui qui vous a donné la vie, puis vous fera mourir, puis vous fera revivre. L’homme est vraiment ingrat. » (22, 66).
« Béni soit Celui qui tient en Sa main la royauté. C’est Lui l’Omnipotent qui a créé la mort et la vie pour vous mettre à l’épreuve et (connaître) parmi vous le meilleur en oeuvre. C’est Lui le Tout-Puissant, le Tout-Clément. » (67, 1-2).
L’évocation de la mort va de pair avec la mention des thèmes eschatologique où sont citées des paroles attribuées à Jésus :
« La Paix soit sur moi, le jour de ma naissance, le jour de ma mort et le jour de ma résurrection. » (19, 33).
D'une rive à l'autre
Une parole attribuée au Christ, et souvent citée dans les prônes musulmans, compare la vie à «un pont» que l’on traverse pour passer d’une rive à l’autre. La mort est décrite comme une grande épreuve. Mais la foi en Dieu et ses promesses aux bienheureux sont une source d’espérance et de sérénité devant la mort :
« La grande épouvante ne les affligera point. Les anges les accueilleront (en disant): «Voici le jour qui vous a été promis ! »
Jour où Nous ploierons le ciel comme on plie un parchemin... De même que Nous avons procédé à la première création, de même Nous recommencerons. C’est une promesse qui Nous incombe. Ainsi Nous agirons ! » (21, 103-104).
L’affliction est moindre en raison de la conviction que la vie après la mort est « la vraie vie »(hayawan) :
« La vie d’ici-bas n’est que divertissement et jeu. La vie future, c’est elle la vraie vie. S’ils savaient ! » (29, 64).
Le salut éternel est promis aux croyants qui accomplissent des oeuvres bonnes :
« Ceux qui auront cru et fait oeuvre pie auront les jardins du paradis comme lieu de séjour.
Ils y demeureront éternellement et ne chercheront d’autres résidences. » (18, 107-108).
Un hadith du Prophète recommande d’oeuvrer pour la vie d’ici-bas, « comme si on devait vivre éternellement», et pour l’au-delà «comme si on devait mourir à l’instant. »
Nul doute que la séparation d’avec la vie d’ici-bas est une rude épreuve. Mais cette épreuve est rendue supportable par la foi en Dieu et en sa Miséricorde, qui est « étendue ».
« Dis: « O mes serviteurs ! vous qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez point de la miséricorde de Dieu. En vérité, Dieu pardonne tous les péchés, car il est le Clément, le Compatissant par excellence. » (39, 53).
Un des beaux noms divins est «wadoud», superlatif dérivé de « wadd » et qui signifie que Dieu est aussi Amour.
On voit ainsi que toute l’eschatologie coranique consiste en une préparation de l’âme humaine à admettre l’inéluctabilité de la mort afin d’en supporter l’épreuve, qui est fixée par un « décret » divin que le croyant accepte conformément aux dernières clauses du crédo : « Je crois...au Jour dernier et au décret divin qu’il soit favorable ou défavorable ».
Elévation mystique
Et l’accomplissement des rites de l’islam sert à rappeler qu’en fin de compte, « nous sommes à Dieu et c’est vers Lui que nous retournons. » (2, 156)
Le but ultime est de rendre l’âme satisfaite grâce à «l’agrément» de Dieu : « ar ridha ma’a ar ridhouane » (la satisfaction de l’âme par l’agrément de Dieu).
Et cette formule chère aux mystiques est déduite du verset célèbre que l’on récite pour les morts :
«Et toi, âme apaisée!
Retourne vers ton Seigneur agréante et agréée!
Entre parmi mes serviteurs!
Entre dans mon paradis!» (89, 27-30).
Ainsi, la connaissance de l’attitude du croyant face à la mort peut être déduite d’une interprétation du crédo musulman et d’une méditation du Coran qui est un long commentaire en vue de l’approfondissement de l’acte de foi. Le musulman est invité à lire cette Parole incréée de Dieu, comme si elle lui était révélée, en langage humain, à lui personnellement pour la première fois.
La lecture régulière et approfondie du Coran aide à franchir les neufs degrés de l’élévation mystique recensés par AbouTalib al Makki, un des maîtres de Ghazali :
- la repentance (at-Taouba),
- la patience dans l’adversité (as sabr),
- la gratitude pour les bienfaits divins (ash shoukr),
- la crainte (al khaouf),
- l’espérance (ar raja a)
- la pauvreté volontaire (al faqr),
- le renoncement au monde (az zouhd),
- l’abnégation de la volonté (at tawakkol),
- l’amour divin (al mahabba).
A ces neuf degrés, Ghazali joint quelques autres, à titre de corollaires du dernier, comme:
- l’amour passionné de Dieu (ashaouq),
- la familiarité avec Dieu (al ouns),
- la complaisance au bon plaisir divin (ar rida) - qui va de pair avec le ridwane (l’agrément de Dieu).
Cette éducation mystique prépare à accepter la mort. Comme pour mieux l’apprivoiser, la cité musulmane abrite les cimetières en son centre, et souvent sans mur séparateur.
Sadek SELLAM