Jean-Claude Porcheron qui, aujourd’hui, a quitté la police,
est fortement engagé dans des actions humanitaires.
Sans doute en a-t-il pris le goût pendant sa carrière, ayant eu à s’intéresser aux jeunes des cités
– à Villeneuve-la-Garenne en particulier – à la prévention ou au droit des femmes.
Son témoignage laisse entendre ce qu’était la jeunesse à La Caravelle lorsque nous y sommes arrivés.
Le Centre
de Loisirs Jeunes
Lorsque nous sommes arrivés à La Caravelle, en février 1997, nous avons eu l’occasion de vous rencontrer dans le cadre de vos fonctions. Pouvez-vous nous
préciser quelles étaient vos responsabilités à cette époque ?
J’ai consacré les dix dernières années de ma carrière de policier à la prévention. Nous avons créé avec le Préfet et le Directeur de la Police de l’époque, dans les années 1990 à 2000, un Département « Prévention Communication ». C’est cette entité qui avait créé les officiers de prévention et géré le Centre de Loisirs Jeunes (CLJ) de Villeneuve-la-Garenne. Nous étions les interlocuteurs privilégiés de tous les acteurs associatifs et institutionnels des Hauts-de-Seine. A ce titre, nous avions créé un référent par commissariat dans les 22 circonscriptions de police du Département que l’on appelait « l’officier de prévention » ; c’est un fonctionnaire de police qui était soit Brigadier, soit Brigadier-chef ou Major et il était le partenaire de toutes les institutions locales. Nous rencontrions ces policiers à la Direction de la police à Nanterre, tous les quinze jours environ, pour faire le point sur leur mission et les résultats de leur travail.
Nous gérions également le Centre de Loisirs Jeunes à Villeneuve la Garenne.
Enfin, dans le cadre de mes nouvelles fonctions, j’ai été également le correspondant naturel de la Déléguée Départementale aux Droits des Femmes. A ce titre, je me suis beaucoup impliqué dans cette forme de délinquance que je ne connaissais pas.
Pouvez-vous nous préciser ce qu’était ce Centre de Loisirs Jeunes ?
Nous recevions les jeunes de La Caravelle et des environs. Le CLJ fonctionnait comme une association « loi 1901 » puisqu’il recevait des subventions relativement importantes de la part de la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports (DDJS), du Conseil Général, du Ministère de l’Intérieur, de l’Institut des Hauts-de-Seine et de la Préfecture des Hauts-de-Seine. La police du Département mettait, quant à elle, à la disposition de ce CLJ des fonctionnaires spécialisés dans tous les domaines sportifs. Le Directeur était titulaire du BAFD ; tous les autres animateurs étaient titulaires du BAFA et nous avions des moniteurs fédéraux de plongée, de voile, des motards, de toutes les spécialités sportives.
L’entreprise était importante. Nous avions de l’argent. J’avais un policier, détaché en permanence pour tenir la comptabilité, qui était contrôlée régulièrement par un expert-comptable et un commissaire aux comptes. Le Directeur du Centre était, lui aussi, détaché en permanence. Les mercredis, samedis et dimanches j’avais six ou sept personnes sur le terrain; cela coûtait cher en investissement.
Au parc des Chanteraines, près de La Caravelle, se trouve un lac sur lequel on pratiquait des activités nautiques : voile, catamaran. Nous faisions aussi de la plongée professionnelle à la fosse de la piscine de Villeneuve.
Tous les mercredis, samedis, dimanches, les jeunes des cités pouvaient venir. On ne voyait que des garçons. Nous avions une monitrice pour essayer de faire venir les filles. Mais sans succès. Le poids des interdits était trop fort.
Des policiers et des moniteurs de sport qui appartenaient aussi à la police leur proposaient des activités qu’ils encadraient. Ils avaient l’écusson de la police sur le bras. Nous avions pour devise : « Police visible et lisible ». Il n’était pas question d’aller chercher les jeunes; ils prenaient eux-mêmes l’initiative de venir. Un noyau dur d’une dizaine de jeunes venait fidèlement. Les autres papillonnaient ; nous n’avions guère prise sur le grand nombre.
En matière de prévention, nous étions connus et reconnus. C’est ainsi, qu’au travers de notre partenariat avec la Protection Judiciaire de la Jeunesse, le juge pour enfants ou le juge d’application des peines nous demandait d’effectuer des peines de réparation. Il s’agissait de jeunes qui avaient été condamnés à un certain nombre d’heures de travail d’intérêt général. On leur demandait surtout de faire preuve de citoyenneté : arriver à l’heure, être polis et disponibles.
N’est-ce pas ce qu’on appelle « Police de proximité » ?
Non, cela n’entrait pas dans ce cadre. Cela faisait partie du rapprochement police-jeunesse.
Des résultats plutôt décevants
Pouvez-vous nous parler de l’impact que vous avez eu sur La Caravelle ?
A La Caravelle, notre mission a été de faire du rapprochement police – jeunes. Cela n’a pas été à la hauteur de notre espérance. Nous n’avions guère que des jeunes de La Caravelle ou de Gennevilliers au CLJ. Ils venaient parce qu’ils trouvaient des activités gratuites qui n’existaient pas ailleurs ; ils faisaient de la moto : cela les séduisait. Mais cela ne modifiait pas leur comportement ; cela ne leur permettait pas de s’insérer davantage. Ils demeuraient pour la plupart asociaux.
Le but était le rapprochement de la police et des jeunes des cités. Cela n’a pas diminué la délinquance à La Caravelle. Le seul intérêt du CLJ c’est que, pendant le temps qu’ils étaient chez nous, on était certain qu’ils ne faisaient pas de bêtises ailleurs. Par prudence, la police de Villeneuve était réservée pour rentrer dans la cité, sauf en cas de flagrant-délit, les policiers risquant de recevoir une machine à laver sur la figure. La Caravelle était un ghetto. Les autorités nationales, à cette époque, étaient partagées sur le modus operandi pour éradiquer le mal dans les cités. On faisait parfois des « opérations coup de poing ». Lorsque la criminalité atteignait un sommet, la police montait une opération de grande envergure, visitait les caves et se manifestait de façon spectaculaire. Il s’agissait de montrer à la population que la police n’était pas inactive et qu’il n’y avait pas de zone de non-droit. Chaque opération permettait, à coup sûr, de trouver du recel de divers matériaux volés, des scooters ou d’autres marques de délinquance : les journalistes, bien entendu, pouvaient venir prendre des photos à cette occasion.
La violence à La Caravelle, à cette époque, est difficile à décrire. J’en avais connaissance à la Direction de la police. La Police Judiciaire nous tenait au courant mais c’est une police spécifique. Ce que nous pouvions voir au quotidien, c’était la délinquance de rue : vols à l’arraché, vols de voitures, violences contre les personnes, agressions. En ce qui concerne la délinquance souterraine, nous étions au courant, bien entendu, mais sans en être les témoins directs ; quant au phénomène de trafic de drogue, il était répandu. La drogue circulait, ça c’est sûr.
Quel bilan faites-vous de cette expérience ?
Les résultats, je dois le dire, furent décevants au regard de l’investissement engagé. Les jeunes venaient là surtout pour consommer et profiter au maximum sans qu’on puisse faire œuvre d’éducation. Ils avaient la possibilité, au début, de faire de la mécanique. Il a fallu très vite s’arrêter ; en apprenant à démonter un moteur ils devenaient capables de se lancer dans des activités peu recommandables.
On avait accédé à leur demande de quads : c’étaient des petites motos à quatre roues tout terrain. J’ai arrêté parce que l’assurance ne voulait plus nous couvrir. Nous avions eu trop d’accidents.
En revanche, l’activité « moto » marchait bien. Elle était encadrée par des motards de la police et nous avions de bons résultats. Mais que valaient ces résultats ? Je me rappelle la visite d’un substitut chargé de la prévention au Tribunal. Il était heureux de constater ce succès. Mais j’ai précisé : « Monsieur le Procureur, quand ils sont chez nous, c’est certain, ils ne font pas de bêtises. Quand ils sont à l’extérieur, je ne peux pas en répondre! »
S’il fallait dresser un bilan, je dirais que cela a coûté bien cher à la société pour de maigres résultats. Nous avons réussi à rejoindre une centaine de jeunes ; nous n’avons rendu service guère qu’à une vingtaine.
Aucune réussite ?
N’avez-vous vraiment aucune réussite à nous rapporter ?
Nous les envoyions en stage de plongée en Bretagne, tous frais payés, avec les équipements nécessaires ! L’effort que nous avons déployé pour cela n’a été que peu récompensé. Certains nous ont procuré bien des déboires. Ils se trouvaient compromis dans des affaires de vol, de stups, d’incivilités. Des camps avaient été organisés dans l’Yonne : ils ont cassé les panneaux et fait des sérieux dégâts dans le village. Il a fallu les faire rentrer manu militari.
Par contre, les stages en mer, de voile et de plongée sous-marine nous donnaient satisfaction.
La plus belle réussite réalisée, c’est le tournage d’un film sur le rapprochement entre la police et la jeunesse. Etant acteurs du film, ils ont été intéressés. Ils nous avaient aidés pour rédiger les dialogues en nous apprenant quelques notions de verlan ! Le film a été projeté dans des écoles, par les officiers de prévention et un autre film a été tourné pour la prévention des vols à la fausse qualité.
Ceci dit, le Centre n’a jamais été piraté ; aucun vol n’a jamais été commis : motos, voiles ou autre équipement. Peut-être qu’ils hésitaient à s’attaquer à la police. Par ailleurs, nous avions, tout près de nous, des maîtres-chiens qui faisaient des tournées. Cependant avec les policiers-éducateurs, ils étaient relativement respectueux.
Et à propos des peines dites « de réparation » ?
En ce qui concerne les peines de réparation, j’ai eu de très mauvais résultats. Il n’y a pas eu le suivi de la Justice qu’on aurait pu attendre. Je recevais une réquisition du Juge d’application des peines et j’étais averti que tel garçon était condamné à faire un certain nombre d’heures de travail dits « d’intérêt général ». Très souvent, le jeune en question ne se présentait pas. Dans ces cas, j’avisais le juge qui me disait « Faites-moi un rapport ! ». Que devenait l’affaire ensuite ? Je n’en savais rien.
Vous évoquiez le travail du Département « Prévention Communication ». Pouvez-vous nous exposer en quoi consistait cette opération ?
Si je suis déçu par les résultats du CLJ, en revanche, dans chaque commissariat, le travail des officiers de prévention fut une véritable réussite. Ce que nous avons mis en place à cette époque continue à fonctionner. Quand surgit, par exemple, un différend familial, les personnes sont orientées vers l’officier de prévention territorialement compétent. Plutôt que d’avoir à porter plainte, l’officier de prévention se déplace. Il règle les conflits.
C’est un peu le « monsieur bons offices » du commissariat. Il donne aussi des conférences pour les personnes âgées : il fait de la prévention pour les vols de sacs à mains, les vols à l’arraché, les précautions à prendre pendant les départs en vacances. Ces officiers sont les partenaires de tous les acteurs associatifs et institutionnels. Dans les lycées, lorsque surgit un conflit ou un problème, le Proviseur regarde la situation avec l’officier de prévention.
Des femmes victimes de violence
Vous nous disiez que vous avez travaillé avec la Déléguée Départementale aux droits des femmes.
A la fin de ma carrière, j’ai été élu Secrétaire Général du Centre d’Information du Droit des Femmes. J’ai eu du plaisir et de la satisfaction à m’impliquer dans ce bénévolat. Tous les lundis après-midi, je tenais une permanence juridique à la Mairie de Courbevoie. Venaient des femmes victimes de violence ; elles m’exposaient leurs problèmes auxquels je tentais de répondre : violences, dettes, logement, etc. Je leur expliquais la procédure à suivre. C’était, là aussi, une belle structure. On avait à la Préfecture des femmes juristes, spécialisées en droit de la famille. Là, c’était vraiment du bon travail. Quelques femmes des cités venaient raconter leurs déboires. Elles allaient souvent à la Préfecture, au CIF (Centre d’Information du droit des Femmes) où nous avons eu l’occasion de dénouer bien des situations. C’est toujours une assez longue histoire. Il faut du temps pour que l’idée mûrisse, il faut du temps pour que la volonté personnelle se mette en place, il faut des allers et retours nombreux avant que ne se prenne une décision. Nous disposions de tout un réseau associatif pour les protéger quand elles étaient en danger. Effectivement le problème était complexe. Il s’agissait de femmes immigrées, la plupart du temps, avec des enfants, sans ressources ni soins, ni toit, de toutes conditions et de toutes religions.
Parallèlement à ces actions, avec le Conseil Général et plus particulièrement avec l’Institut de Hauts-de-Seine, lors du forum « Giga la Vie », nous avions un stand « Citoyenneté » animé par des policiers en tenue. Cette action a été un franc succès. Les jeunes venaient d’eux-mêmes se renseigner sur les actions de la police, la citoyenneté et entretenir un dialogue constructif avec les policiers de terrain.
Jean-Claude Porcheron