La vie en EHPAD : regard d’un soignant chrétien

Mathieu Naett
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Mathieu Naett est infirmier dans un EHPAD à Strasbourg. Bousculant quelques idées préconçues, il nous présente la relation qu’il y noue avec les personnes âgées, nous partageant ses joies comme ses inquiétudes.


Des personnes âgées très actives

En franchissant les portes d’un des EHPAD Strasbourgeois, vous pénétrerez dans un lieu accueillant 90 personnes âgées de plus de 60 ans. Ces résidents, qui sont pris en charge par une équipe pluridisciplinaire, sont, pour la plupart d’entre eux, des locataires des lieux pour une période longue s’étendant généralement jusqu’à la fin de leurs jours. Néanmoins, si cette phase peut constituer la dernière étape d’un long chemin d’existence, il n’en constitue pas moins un lieu de vie à part entière. Durant toute cette durée de présence, ils sont bien vivants et le temps passé au sein de ces murs se révèle être à l’opposé de ce que certains médias ou « penseurs  » dénommeraient un mouroir. La vie, au sein de ce vaste bâtiment lumineux bordé d’un parc verdoyant, y est régulièrement plus intense qu’en bien d’autres endroits. Les activités quotidiennes sont très variées passant des soins d’accompagnement (d’hygiène, de confort, de temps conviviaux tels que le moment du goûter, …) à des animations (musicales, sociétales ,…) ou à de nombreuses manifestations (de fêtes liées à des dates anniversaires des personnes, de l’établissement, de saisons comme la fête des vendanges et son fameux Gewurtzraminer,…) ou encore à des temps hebdomadaires réguliers proposés tels que la messe (catholique) ou le culte (protestant). Ces quelques exemples ne reflètent qu’une partie de cette dimension sociétale riche.

Si les évènements sont multiples et divers, les personnes âgées sont elle-même très actives. Une énergie surprenante se dégage de ces hommes et de ces femmes requérant une attention de tous les instants de la part des soignants, mais aussi de tous les autres membres de l’équipe (passant de la direction au secrétariat, des agents logistiques de soins à l’animation,…). La nécessité de s’incarner physiquement, moralement, voire spirituellement est indispensable pour pouvoir répondre aux besoins et aux attentes de tous ces sujets âgée.

Face à cette réalité vivante et positive, une autre apparait insidieusement et pourtant ô combien criante jour après jour : celle des pressions multiples et variées exercées sur le personnel des EHPAD et donc sur les résidents.


Les contraintes budgétaires s’accentuent.

Les contraintes de temps se font de plus en plus pressantes au sein des équipes. L’obligation d’effectuer les mêmes tâches en un temps davantage comprimé génère du stress et une diminution du moment et de la qualité de présence auprès de la personne soignée. Cette dernière demande une proximité, une attention et une écoute indispensable. Ce désir tout aussi bien noble que légitime s’oppose à la montée en puissance du risque de standardisation des soins, non seulement dans les EHPAD, mais aussi dans l’ensemble du domaine de la santé.

Les contraintes budgétaires s’accentuent constamment entrainant des réductions concrètes ou latentes des équipes. La difficulté d’effectuer des soins ou une prise en charge de qualité auprès de ces personnes porteuses d’histoire, du fait de la compression du personnel, pose des questionnements sur l’avenir.

Comment parvenir à maintenir fixé sereinement son regard de soignant ou d’accompagnant sur la personne soignée, lorsque les tracasseries managériales liées à des plannings restreints s’amplifient ou menacent de s’accroître?

Comment maintenir le niveau et la qualité de l’accompagnement de ces personnes de plus en plus dépendantes ou demandeuses de présence « active  » et « passive », lorsque la charge de travail s’intensifie dans un contexte de limitation ou de pression budgétaire ?

Quels sont les moyens qui nous permettent de lutter contre le risque d’une certaine déshumanisation des soins auprès de toutes ces personnes?


Un risque d’épuisement

Comment s’investir pleinement dans cette prise en charge soignante, sans risquer de s’épuiser, de s’écrouler voire d’abandonner son rôle?

Voici quelques questions, qui sans vouloir constituer l’expression d’une situation désespérée, représentent autant d’appels, voire de cris d’alarme face à la montée des pressions exercées auprès des acteurs de la santé, de l’ensemble du personnel gravitant autour et bien sûr des « bénéficiaires » des soins.

Face à ce constat, il semble important de conserver le sens même de notre présence auprès de la personne en demande de soins et en quête de sens (aussi bien psychologique que spirituel).

La recherche d’une quelconque efficacité ne doit, ne devrait et ne devra jamais nous écarter de l’essentiel : soigner la personne fragile ou fragilisée par tous les moyens humains, matériels et logistiques à notre disposition.

Les efforts de tous les instants de la direction, visant à maintenir à flot le navire au milieu de toutes les vicissitudes et tempêtes par un management courageux, adapté et efficient au quotidien, se révèlent centraux.


La vigilance à considérer l’autre comme sujet.

L’investissement, la persévérance et la solidarité au quotidien de l’ensemble des membres de l’équipe sont essentiels pour protéger et préserver cette relation centrale et privilégiée auprès de la personne âgée. Le refus de devenir des robots, qui prodigueraient des gestes successifs et saccadés auprès de personnes qui ne seraient plus en droits de recevoir dignement des soins, selon la volonté de certains « essayistes» tout en transformant l’humain en une machine au sein d’une mondialisation heureuse, s’impose.

La vigilance constante du personnel à considérer « l’autre », « l’autrui » comme « sujet » de soins toujours, comme «objet » de soins jamais, est à conserver jalousement.

Enfin et surtout considérer que le visage de celui qui est présent n’est pas anodin, que l’image de celui qui se tient là n’est pas quelconque, que la figure de celui qui nous regarde n’est pas insignifiante, mais que la face de celui qui nous regarde est celle du Christ.

Mathieu Naett

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