Vent de renouveau et souffle de l'esprit
dans le Monde Arabe
Michel Guillaud
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Michel Guillaud, prêtre d’origine lyonnaise, est islamologue.
De 1994 à 2002, il fut très présent dans l’Eglise de Libye
et dans celle d’Algérie où il a résidé à plusieurs reprises, notamment à Tibhirine.
Il est actuellement prêtre à Batna où il partage son temps
entre l’accompagnement d’étudiants algériens et le service de l’Eglise d’Algérie
dont il anime la revue « Pax et Concordia».
Il a bien voulu répondre aux questions d’Olivier Vasseur.


Batna et l’Algérie vivent-elles à l’unisson du vent de renouveau qui souffle sur le monde arabe ?

Oui, au sens où la population partage la fierté et la joie des Tunisiens et des Egyptiens. Non, au sens où les Algériens sont fatigués des révolutions.

On pourrait dire qu’ils en ont connu trois. La première a apporté l’indépendance; elle a démarré dans les Aurès en 1954 et n’a abouti qu’en 1962, à l’issue d’une lutte longue et terrible. Comme dans beaucoup de pays, l’indépendance a été « confisquée » par ceux qui l’ont faite. Dans les années 1980 et particulièrement en 1988, une deuxième révolution a conquis durement le multipartisme, la liberté d’expression et la fin du socialisme d’Etat. Mais elle n’a pas véritablement ébranlé le système où sévissent toujours la corruption et la confiscation des ressources par une minorité affairiste. Cela a occasionné un troisième mouvement où le peuple a mis sa confiance dans un parti religieux, ultime recours contre « le système ». Le coup d’Etat militaire de janvier 1992 a arrêté l’ascension électorale du Front Islamique du Salut. Le mouvement s’est mué en guérilla et a dégénéré en un terrorisme frappant autant la population civile que les forces de l’ordre. Alternant répression et mesures de réconciliation, le régime a peu à peu stabilisé le pays, mais toujours sans bouger lui-même.

Du coup, les Algériens sont fatigués et désabusés. Ils ont trop souffert pour se lancer une nouvelle fois dans un mouvement radical qui pourrait occasionner de nouvelles violences, d’autant qu’ils savent que le « système » n’est pas lié à une personne, mais à un groupe beaucoup plus large et opaque, qui semble comprendre également beaucoup de responsables de l’armée. Changer de président ne changerait rien au système. Voilà les sentiments qui semblent prévaloir aujourd’hui, même si les aspirations du peuple algérien sont les mêmes que celles de ses voisins. D’où le mouvement des harraga, tous ces jeunes qui essaient par tous les moyens d’aller tenter leur chance ailleurs, quittant un pays où la vie est matériellement moins dure que pour beaucoup des peuples voisins, mais où les blocages paraissent plus résistants.

Comme ancien curé de Tripoli, comment perçois-tu les événements en Libye ?

Comme beaucoup de dirigeants, Qaddhafi a entrepris une oeuvre positive pendant les premières années : nationalisation du pétrole, scolarisation, système de santé, etc. Mais personne dans aucun pays n’a jamais su résister aux séductions du pouvoir si la règle de l’alternance ne s’imposait à lui d’une manière inflexible.

En Libye, on peut distinguer trois groupes : le peuple libyen, les travailleurs expatriés et les migrants africains. Le peuple libyen, encore très marqué par les divisions tribales et régionales, trouve actuellement une unité apparente dans la lutte déclenchée contre la folie de son leader. Mais l’Etat comme Etat de droit reste à construire. Le défi sera de structurer son unité une fois le dictateur renversé. Les travailleurs étrangers représentent plus de la moitié de la population active : Soudanais, Tchadiens et Egyptiens dans l’agriculture et les petits métiers, Occidentaux ou Asiatiques notamment dans les professions plus spécialisées du secteur énergétique et du système de santé. Le défi sera de retrouver au plus tôt la stabilité et la sécurité pour que ces secteurs clés puissent retrouver une activité normale. Les migrants africains sont nombreux en Libye, cherchant un mieux-être économique sur place ou au-delà vers l’Europe. La Libye comme la Tunisie a reçu beaucoup d’argent de l’Europe pour refouler ces migrants. En même temps, dans son rêve d’être Roi des rois en Afrique, Qaddhafi a souvent alterné entre un bon accueil de ces migrants faisant tous les « petits boulots » ingrats et leur désignation comme boucs émissaires à certaines périodes. Cela ne facilite pas un accueil bienveillant par le peuple libyen. Comme souvent, leur aventure migratoire a été initiée par une cotisation de tout leur réseau familial ou social qui a investi pour les envoyer tenter leur chance. Ils n’ont d’autre possibilité que de rentrer les poches pleines. Ce sont les plus fragiles dans la situation actuelle.

Et l’Eglise dans ces deux pays ?

En Libye, tous les chrétiens sont étrangers. Ceux qui sont dans des base-vies ont peu de contact avec les Libyens. Mais beaucoup de travailleurs de condition modeste (notamment philippins et migrants africains) donnent un témoignage de personnes humbles, consciencieuses et compétentes dans leur travail. Alors que le chrétien était auparavant identifié à l’européen, italien qui colonisait ses terres, français ou anglais qui colonisait son pétrole, voilà qu’il est africain, asiatique, voire arabe égyptien ou irakien. Le chrétien et le christianisme ne sont plus identifiés au colonialisme ou au néo-colonialisme, alors que l’islam serait la religion des pauvres et opprimés. Un énorme préjugé saute. Quinze prêtres sont au service de ces chrétiens dont la dispersion linguistique et géographique est énorme. Soixante religieuses font un travail admirable dans des structures de santé : hôpitaux, orphelinats, centres pour personnes âgées.

En Algérie, la majorité des chrétiens sont des étudiants d’Afrique sub-saharienne. Quelques dizaines d’Algériens font chemin avec l’Eglise catholique, qui les accueille tout en s’inscrivant dans une dynamique globale de service du peuple algérien et de respect de l’islam. En revanche, plusieurs milliers d’Algériens, surtout dans les montagnes de Kabylie, font chemin avec les évangéliques dont le but est la propagation du christianisme. Cette diversité d’approche n’est pas sans poser quelques difficultés, entre autres des pressions de l’Etat qui s’exercent indistinctement sur toutes les Eglises, sous forme par exemple de refus de visas pour des prêtres ou religieux venant de l’étranger. Mais, fait notable dans le monde arabe, il importe de relever que l’Algérie se singularise par son acceptation (de la part de l’Etat) de la conversion de musulmans au christianisme, même si les mentalités restent majoritairement très réticentes.

Quelles perspectives en termes de démocratie et de liberté religieuse dans le monde arabe ?

Dans son Message du 1er janvier 2011 à l’occasion de Journée Mondiale de la Paix, le pape Benoît XVI souligne clairement dans le paragraphe 5 que la liberté religieuse est l’élément incontournable d’un Etat de droit. On ne peut pas la nier sans porter atteinte en même temps à tous les droits et aux libertés fondamentales puisqu’elle en est la synthèse et le sommet. Elle permet de vérifier le respect de tous les autres droits humains (§5). Si la démocratie est sur la feuille de route des pays arabes, c’est une bonne nouvelle pour la liberté religieuse. Mais la France est bien placée pour savoir que les résistances sont fortes, quand une religion est fortement majoritaire, pour accepter sereinement l’émergence d’une autre tradition religieuse.

Avec le vent du renouveau, soyons confiants que le souffle de l’Esprit ne manquera pas non plus au monde arabe !

Michel Guillaud
Propos recueillis par Olivier Vasseur


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