Une nourriture que nous ne connaissons pas
Christine Fontaine
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À partir de la rencontre de Jésus avec une Samaritaine, Christine nous donne à contempler le sens des paroles de Jésus, promettant à ses disciples une nourriture nouvelle, encore inconnue d’eux. Ce faisant, elle nous introduit au sens de la liberté chrétienne, par laquelle les chrétiens ont renoncé aux pratiques alimentaires du peuple juif.

« Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? »

Ils ont probablement profité du début du jour, avant que la chaleur ne soit trop forte, pour parcourir cette route qui doit les mener depuis la Judée jusqu’en Galilée. Il est environ midi lorsqu’ils traversent la Samarie. Jésus est fatigué. Il demeure seul au bord d’un puits – celui de Jacob – tandis que ses disciples sont allés à la ville pour acheter de quoi manger. À leur retour, Jésus semble ne pas prêter attention à la nourriture qu’ils apportent. Alors ils le prient : « Rabbi, mange. » Mais il leur dit : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas. » Les disciples se disent entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? » Jésus leur dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son oeuvre à bonne fin » (Jean 4, 31-34).

Personne n’est venu lui proposer à manger. Seule une femme est venue puiser de l’eau à l’heure la plus chaude du jour… celle où chacun reste confiné chez lui et où l’on est assuré, si l’on sort, de ne rencontrer personne. Normalement, cette femme n’aurait pas dû sortir à cette heure. Normalement, Jésus n’aurait pas dû parler avec quelqu’un de Samarie : pour les Juifs, les Samaritains sont des hérétiques. Normalement, un homme seul n’aurait pas dû parler avec une femme : ses disciples n’osent rien lui dire mais s’en étonnent. Rien n’est normal dans cette scène. Pourtant Jésus déclare avoir été nourri de cette rencontre hors normes, voulue selon lui par son Père.

Si Jésus n’a rien révélé de cette rencontre, la femme de son côté « laissant là sa cruche, courut à la ville et dit aux gens : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-ce pas le Christ ? » (Jean 4, 28-30). Mais que savait Jésus et que lui a-t-il dit pour que cette femme en vienne à ameuter la ville que, l’instant d’avant, elle fuyait ? Il lui dit : « Va, appelle ton mari et reviens ici. » La femme lui répondit : « Je n’ai pas de mari. » Jésus lui dit : « Tu as bien fait de dire : ‘‘Je n’ai pas de mari’’, car tu as eu cinq maris et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; en cela tu dis vrai » (Jean 4, 16-18).

Jésus n’avait jamais rencontré cette femme auparavant mais tout le monde la connaît dans la ville. Pour tous, elle est la femme aux cinq maris… On parle probablement d’elle en disant sous le manteau : « Elle en est déjà à son cinquième ! À quand le suivant ? » Cette femme n’est vraiment pas fréquentable. On comprend qu’elle ne puisse aller au puits que lorsqu’il n’y a personne dehors ! En fait, ce que Jésus lui dit de son comportement avec les hommes n’est pas différent de ce que tout le monde murmure contre elle. Alors que s’est-il passé pour que cet échange avec Jésus convertisse totalement cette femme au point qu’elle aille ameuter tous les habitants que, l’instant d’avant, elle évitait ? En fait, la Samaritaine va d’étonnement en étonnement : pour s’entretenir avec elle, Jésus a franchi l’interdit du sexe et celui de la religion. Mais lorsqu’elle découvre que ce Juif - élevé dans la Loi de Moïse – s’est adressé à elle alors qu’il savait « tout ce qu’elle avait fait », son étonnement devient sans limite. Jésus avait toutes les raisons de l’ignorer, de la fuir et de la condamner. Au lieu de cela il se présente à elle comme un pauvre assoiffé : « Donne-moi à boire, s’il te plaît ! », ainsi commence leur dialogue. Il se présente comme le mendiant d’une rencontre avec cette pauvresse qui n’arrive pas à rester fixée sur un amour humain. En s’entretenant avec elle, il la pousse à croire qu’elle est tout autre pour lui qu’une femmeétrangère- hérétique et de surcroît pécheresse. Elle ne se réduit à rien de tout cela pour Celui qui l’a envoyé. La nourriture de Jésus est d’abreuver cette femme de l’Amour du Père. Un Amour qui, pour la rejoindre, brise toute convention et dépasse toute loi sociale, religieuse ou morale, donc tout jugement et toute condamnation. Il aura suffi que la Samaritaine en vienne à le croire pour que sa vie en soit transformée. Il aura suffi… mais rien n’eût été possible si elle n’y avait pas cru !

« L’heure vient – et c’est maintenant » où Dieu veut se révéler à chacun non comme un Juge tout puissant mais comme un Père tout-aimant. Mais il ne le peut que s’il rencontre la foi des hommes. « Alors – mais alors seulement - le Père est adoré en esprit et en vérité. » « Ma nourriture, dit Jésus, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé. » Et il ajoutera par la suite : « La volonté de mon Père est que vous croyiez en celui qu’Il a envoyé. » Ainsi Jésus a-t-il pour nourriture – dans le même mouvement – d’abreuver l’humanité de l’amour du Père et de susciter la foi au sein de cette humanité. L’un ne va pas sans l’autre. Mais si l’Amour du Père ne peut lui manquer, il demeure sur sa faim lorsque nous refusons la confiance qu’il nous mendie de lui accorder.

Le fruit défendu

« Il y avait un jardin qu’on appelait la terre… On pouvait s’y nourrir à toutes les saisons, sur la terre brûlante ou sur l’ herbe gelée et découvrir des fleurs qui n’avaient pas de nom… » (1) C’était au commencement. C’était avant. Quand Dieu eut achevé de créer le monde et tout ce qu’il contient, « Il créa alors l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et il leur dit : ‘‘Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la…’’ » (Genèse 1,27). Dieu donne à l’humanité tout pouvoir sur la création. Rien ne lui est interdit. « Il y avait un jardin qu’on appelait la terre… Il était assez grand pour des milliers d’enfants… ».

Rien n’est interdit au premier couple humain. Ils peuvent manger tous les fruits de la terre sauf un : celui de l’arbre qui est au milieu du jardin. Et nous avons mangé le fruit défendu. Dieu avait dit : « Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas sous peine de mort » (Genèse 3,3). Pourquoi cet interdit ? Ils ne le savent pas mais ce qu’ils ne peuvent ignorer c’est que Dieu le leur avait dit. Alors une pensée s’insinue en eux, comme un serpent : quel est ce Dieu qui restreint notre pouvoir de décider par nous-mêmes ce qu’il est bon de manger ? Pourquoi cet interdit si ce n’est pour nous imposer sa volonté sans même nous en donner la raison ? Ne s’agit-il pas d’une feinte pour nous garder sous sa coupe ? Il suffit qu’un seul fruit nous soit défendu pour que nous ne mangions pas TOUT ce que nous voulons. Dieu prétend nous donner tout pouvoir alors que, par cet interdit, subrepticement il s’impose à l’humanité comme le Maître absolu auquel il faut obéir sous peine de mort. Ne sommes-nous pas capables de discerner par nous-mêmes ce qui est bon pour nous ? Si nous mangeons de ce fruit notre maîtrise sera sans limite… « La femme vit que ce fruit était bon à manger et séduisant à voir et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea » (Genèse 3,6).

Alors l’humanité se désaxe. En ne respectant pas l’ordre de Dieu, elle se désordonne et introduit le désordre autour d’elle ! La terre produit des ronces et des épines, la maîtrise que l’homme exerce sur la création se fait dans la peine, il mange son pain à la sueur de son front, la femme enfante dans la douleur et la convoitise la pousse vers son mari qui domine sur elle (Genèse 3, 15-19). Tout cela est arrivé et arrive toujours parce que nous mangeons – et nous nous partageons de génération en génération – cette pomme de discorde. En effet, nous avons tous tendance depuis toujours à considérer tout interdit comme une contrainte et à oublier son autre face : ce qu’il permet. Il instaurait une Ouverture sur Autre que nous et par le fait même nous permettait de vivre les uns avec les autres, « sans confusion ni changement, sans division ni séparation » (2) que ce soit avec l’Autre ou les uns avec les autres. Ce que nous appelons le « péché originel » est en fait la version biblique de l’interdit de l’inceste qui permet de ne pas nous entre-dévorer de générations en générations. Cet interdit est d’ailleurs signifié juste avant le récit du fruit défendu, quand Adam s’écrie : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair! Celle-ci sera appelée ‘femme’, car elle fut tirée de l’homme, celle-ci !’ C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2, 23-24).

L’ordre de l’Autre - que les croyants appellent Dieu - est nécessairement sans pourquoi. En effet nos raisonnements sont une maîtrise que l’on exerce et on ne peut pas maîtriser l’Ouverture. On peut simplement la refuser. Si l’interdit prononcé par Celui qui nous dépasse est sans un « pourquoi », il n’est pas sans pour qui. Il est pour nous, bon pour nous, bon pour nous garder en vie. Il fallait croire que cette relation à l’Autre – permise par cet interdit – ne pouvait être que bonne pour l’humanité… Dieu ne venait-il pas de créer le monde entier pour nous le confier ? Mais nous avons considéré qu’il était bien plus séduisant de ne pas tenir compte de cet interdit. Nous n’y avons pas cru. Il paraissait limiter notre pouvoir alors qu’il nous permettait de vivre ensemble au sein de l’humanité : pas sans l’Autre, pas les uns sans les autres !

Nous avons voulu exercer une maîtrise sans limite et Dieu n’a pas pu nous en empêcher. Car la confiance que Dieu nous demandait de lui accorder ne peut que se proposer, jamais s’imposer. Émettre un interdit, c’est par le fait même nous reconnaître la liberté de nous y soumettre ou non. Nous avons cru être libres en choisissant d’exercer une puissance sans limite. Et le drame est que, depuis ce jour, chacun de nous est tenté de croire que la liberté consiste à faire tout ce qui est en son pouvoir sans avoir à tenir compte ni de la nature ni des autres humains. On déforeste l’Amazonie et on pille les ressources de l’Afrique. On brise les écosystèmes. On affame des populations entières et on repousse ceux que l’on a contraints à l’exode pour chercher dans les pays riches le pain quotidien. Jusqu’au jour où… un virus mondial et immaîtrisable nous contraint tous à ne plus sortir… Voilà où nous a mené ce monde du moi sans l’Autre, moi d’abord, moi sans les autres à moins que ces autres ne soient mes esclaves !

Mais qui est-il ce « on » qui détruit la terre et affame l’humanité ? « Yahvé dit à l’homme : ‘‘Tu as donc mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger !’’ L’homme répondit : ‘‘C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre, et j’ai mangé !’’ Yahvé Dieu dit à la femme : ‘‘Qu’as-tu fait là ?’’ Et la femme répondit ‘‘C’est le serpent qui m’a séduite, et j’ai mangé !’’. » Autrement dit, ce « on » qui affame toute une partie de l’humanité ce n’est jamais personne, à moins que ce ne soit toujours la faute des autres, en tout cas c’est ce que nous appelons aujourd’hui « le système » ! Dieu nous avait confié la terre pour qu’elle produise du fruit en abondance pour tous. Ce que nous vivons aujourd’hui est bien notre système – celui que nous avons mis en place – contre le désir de l’Autre et contre les autres ! Y aura-t-il quelqu’un qui viendra un jour briser cet engrenage mortifère ?

« Il y avait un jardin qu’on appelait la terre… On pouvait s’y nourrir à toutes les saisons, sur la terre brûlante ou sur l’ herbe gelée et découvrir des fleurs qui n’avaient pas de nom… Il y avait un jardin qu’on appelait la terre, il était assez grand pour des milliers d’enfants… Où est-il ce jardin où nous aurions pu naître ? Où est cette maison toutes portes ouvertes que je cherche encore et que je ne trouve plus ? » (3)

Prenez et mangez-en tous !

Il avait dit : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas. Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé. » Il y eut un homme – enfin – qui fit du désir du Père sa propre nourriture. Et pour bien montrer aux hommes quel était ce désir, il ne se soucia pas seulement de leur âme mais aussi de leur corps. Il multiplia les pains pour manifester que Dieu voulait que personne sur cette terre ne manque de nourriture. Il s’assit à la table des publicains et des pécheurs – les bien-aimés du Père parce qu’ils ne se prennent pas pour des justes. Il fit scandale auprès des docteurs de la Loi et des pharisiens parce que pour eux il était totalement exclu de partager un repas avec de la racaille. Il fustigea les pharisiens qui croyaient être des justes devant Dieu sous prétexte qu’ils obéissaient aux interdits alimentaires prescrits par la Loi : « « Écoutez et comprenez bien ! Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur. Mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur » (Matthieu 15,2). Il invite l’humanité à un grand festin auquel on peut participer sans avoir à présenter le passeport de ses titres, de ses mérites ou de ses vertus. Mais évidemment les riches ont mieux à faire car ça ne va rien leur apporter… puisque tout le monde y est invité ! Alors il invite les boiteux, les mendiants, les estropiés de la vie, les prostituées à participer au repas des noces de Dieu avec l’humanité ! Il les implore de croire qu’ils sont et seront toujours les invités de Dieu quoi qu’ils aient fait. Il combat de toutes ses forces et sans relâche notre volonté de nous imposer aux autres ou de vivre sans eux… cette volonté qui s’est emparée de nous depuis ce jour où nous avons cru bon de braver le seul interdit qui nous permettait de vivre ensemble, pas sans l’Autre, pas sans les autres.

Jésus avance en connaissance de cause. Il connaît bien l’humanité. Il sait d’avance que les puissants ne lui pardonneront jamais de contester leur pouvoir et qu’ils seront suffisamment forts pour entraîner les foules à leur suite ! Alors, voyant sa fin prochaine, il réunit ses intimes – dont Judas qui allait le trahir – pour partager le repas de la Pâque avec lui. « Or, tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples en disant : ‘‘Prenez, mangez, ceci est mon corps.’’ Puis prenant une coupe, il rendit grâce et la leur donna en disant : ‘‘Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l’alliance qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés.’’ » (Matthieu 26, 26-28).

Comment vaincre la mort qui s’est insinuée dans le monde par la faute des hommes qui refusent de vivre dans une relation de confiance avec l’Autre de ce monde ? Ces hommes et ces femmes qui par crainte du pouvoir que Dieu exercerait sur eux préfèrent vivre chacun pour soi et deviennent avides de toute-puissance des uns sur les autres ? Comment casser cet engrenage mortifère si ce n’est en renonçant lui-même à exercer – au nom de son Père – une quelconque domination sur l’humanité ? Il le sait ce renoncement le conduit inévitablement à être jugé, condamné et exécuté. Il le croit c’est le seul chemin possible – celui que le Père lui indique parce qu’il n’y en a pas d’autres ! « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime… » avait-il dit au cours du repas qui a précédé son arrestation, son jugement inique et sa mise à mort sur la Croix.

Il aurait pu fuir la mort mais il choisit d’en faire une vie donnée jusqu’au bout. Car il le sait, lui seul peut révéler au monde qui est ce Dieu dont il s’est nourri de faire sa volonté. Nous nous sommes séparés de Dieu par peur qu’il exerce un quelconque pouvoir sur l’humanité. Au nom de son Père, il abandonne sous nos yeux tout pouvoir sauf celui de nous aimer comme son Père nous aime, c’est-à-dire sans limite, sans raison et sans fin. Nous condamnons le Juste, il ne se défend pas. Nous l’accusons, il n’ouvre pas la bouche. Nous le tuons et, au lieu d’appeler sur nous la colère de Dieu, il supplie : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! ». Il meurt pour tuer le Dieu que nous avions fait à notre image : celle d’un Dieu tout puissant, justicier et vengeur. Il ressuscite le vrai visage de Dieu, celui que nous méconnaissons depuis l’origine. À propos du langage de la Croix, Saint Paul parle de « folie ». Il écrit : « Nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient juifs ou grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. » (1ère lettre aux Corinthiens 1,25).

Jésus avait dit : « J’ai une nourriture que vous ne connaissez pas. Ma nourriture c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé. » Et il avait ajouté : « La volonté de mon Père est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » A ceux qui croient que la Toute Puissance du Père n’est qu’une Toute Puissance d’Amour, le Christ se propose en nourriture pour la route. Car il y a du chemin à faire en nous pour que nous croyions en cet Amour du Père sans limite pour chacun en particulier et pour l’humanité entière. Il y a du chemin à faire pour que nous aimions tout autre – amis et ennemis - comme nous sommes aimés ! Ce chemin, les disciples du Christ croient (enfin !) qu’ils ne peuvent pas le faire sans cet Autre qui est « la Source cachée et éternelle engrangée dans le Pain vivant » (4).

Le Christ se fait notre nourriture pour construire – avec tout homme de bonne volonté qu’il soit ou non croyant – un monde où nous refusons de vivre les uns sans les autres, où nous combattons toute volonté de puissance des uns sur les autres. Saint Paul parle de la folie de Dieu qui est plus sage que le monde. On pourrait parler d’utopie mais sans cette utopie quelque chose pourra-t-il commencer à changer en ce monde où le fort dévore le faible et lui retire le pain de la bouche ?

Dieu ne nous demande rien d’autre que notre foi en son amour totalement libre et gratuit. C’est en accueillant cet amour qui nous dépasse que nous pouvons devenir progressivement capables d’aimer comme nous sommes aimés. Les chrétiens n’ont qu’un seul commandement : « Voici quel est mon commandement, dit Jésus, vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 15,12). Notre nourriture est d’accomplir le commandement de Jésus. Aucune nourriture ne nous est interdite – aucune loi ne nous est imposée – mais il nous est commandé d’accueillir à notre table tout homme comme un frère, à commencer par les plus démunis : « Vous en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté, écrit saint Paul ; seulement que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair ; mais par la charité mettezvous au service les uns des autres. Car une seule formule contient toute la Loi en sa plénitude : ‘‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’’ Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous allez vous entre-détruire. Or je vous dis : laissez-vous mener par l’Esprit… » (Galates 5, 13-16b).

Christine Fontaine

1- Paroles et musique de Georges Moustaki
2- Concile de Chalcédoine (5ème siècle) à propos du lien opéré par le Christ vrai homme et vrai Dieu, sans confusion ni changement, sans division ni séparation.
3- Cf. note 1
4- Poème de Jean de la Croix, mystique chrétien du XVIème siècle.

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