Une femme noire : Angela Davis
Georges Baguet
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Angela Davis est une noire américaine qui s’est illustrée en combattant pour la dignité des Noirs. Elle fut emprisonnée, au début des années 70, pendant plus d’un an pour avoir aidé trois prisonniers afro-américains à s’évader. Professeure de philosophie, elle s’intéresse aujourd’hui à la condition des Noirs, particulièrement à la libération des femmes. Angela est athée mais bien des chrétiens rendent hommage à ses engagements.
Georges Baguet, aujourd’hui décédé, l’avait visitée dans sa prison, lors de son incarcération. « Le Monde » avait publié son témoignage dont nous reproduisons ces extraits.

J’ai rencontré Angela Davis dans la prison californienne où elle était détenue. Jupe verte délavée, chandail noir, Angela, visage émacié, parle lentement d’une voix basse et appliquée : « Je suis d’abord une femme noire. J’ai dédié ma vie pour la libération du peuple noir... » Une femme noire qui parle et commente des textes célèbres de la littérature afro-américaine : « Covey, le dompteur d’esclaves était Blanc. De plus il était physiquement très fort. Il pouvait venir à bout aisément de l’adolescent noir. Or les doigts noirs se sont accrochés à la gorge du tyran. » C’est la célèbre révolte de l’esclave Frederic Douglass. Le Blanc ne soupçonnait pas que jamais l’esclave pût songer à retourner la situation. Mais il a suffi d’un geste pour que le maître perdît d’un coup son arrogance et son identité. Le professeur commente et se réfère à Hegel.

Pendant près de deux heures Angela me parlera à la manière d’un intellectuel communiste. De sa cellule, elle envoyait à des journaux noirs des articles dans lesquels elle disait sa foi. Les Noirs, on le sait, dans leur très grande majorité ne sont pas communistes. L’influence du PCA dans les ghettos est faible. Est-ce pour cette raison que les affiches en faveur d’Angela, éditées et signées par le PCA, sont si peu nombreuses à Harlem et pratiquement inexistantes dans le South Side (le grand ghetto noir de Chicago) comme dans les autres ghettos que j’ai connus. Dans ces conditions, que pensent les Noirs, et spécialement les pauvres, d’Angela Davis ? J’ai posé la question à tous ceux que j’ai rencontrés. La réponse était toujours la même : « She is a black woman... ? » Une femme noire ; communiste ? Oui bien sûr...mais le fait noir n’est-il pas infiniment plus important ?

« Qui est Angela pour moi ? A great woman... Le communisme n’est pas mon ennemi, mais le racisme que j’affronte tous les jours » Qui parle ainsi ? Un prêtre catholique noir d’un ghetto de Chicago, un des leaders du Black caucus dans l’Eglise. Un prêtre qui, du haut de sa chaire, parle explicitement des « saints noirs » et leur donne des noms : Martin Luther King, Malcolm, Angela Davis ...Pour le Révérend Luckas, un des rares prêtres noirs de Harlem, qui, lui aussi dénonce le racisme dans l’Eglise, « sœur Angela se bat pour nous tous ». A San Francisco, la paroisse de Cecil William [...] est proprement révolutionnaire : « Au nom de Jésus, au nom de Georges Jackson assassiné, au nom d’Angela Davis » : ainsi parle le pasteur méthodiste, un Noir, grand ami d’Angela [...]

Angela Davis communiste : cela étonne les Noirs. En janvier 1971, le journal des Black Muslims a interviewé Angela dans sa prison. Auparavant il avait mené une enquête dans Harlem. Quelles questions aimeriez-vous poser à Angela ? La première était : « Pourquoi êtes-vous communiste ? » Les Noirs sont étonnés mais ils ne condamnent pas. Ils avaient le droit d’être les premiers mais dans certains domaines seulement : en course à pied, en musique, quand celle-ci s’appelle jazz ou gospel [...] Angela professeur de philosophie, la meilleure élève de Marcuse selon Marcuse lui-même. Voilà qui force les barrières : comme aux Jeux Olympiques, les Blancs battus mais cette fois sur un terrain qui leur était réservé : celui de l’enseignement universitaire.

Le lieu n’est pas, ici, de rechercher quelle divergence pourrait exister entre Angela et le parti communiste. Le fait est qu’Angela, l’amie des Panthères (aujourd’hui très critiquées par le PCA), l’amie de Jean Genet, a choisi d’être communiste [...].

On ne saurait, sans gauchir la réalité, ignorer le puissant courant afro-américain qui, à l’heure de son procès, soutient « sœur Angela ». J’ai vu sur les murs des ghettos de grandes fresques en couleurs. Côte à côte, tous les champions de la cause sont là : Turner, l’esclave révolté ; Malcom, le musulman, King le chrétien ; les Panthères Bobby Seale et Huey Newton. Et Angela Davis. Ceux qui ont refusé de se taire. Mais ce qu’il y a de nouveau, c’est que la parole noire d’Angela Davis, peut être entendue par les « esclaves » de tous les ghettos de la société capitaliste.

Pas seulement en Amérique.

Georges Baguet, « De Harlem à Téhéran » p. 79 (L’Harmattan)

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