Le synode du Proche-Orient
avant et après

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Du 10 au 24 octobre 2010, les responsables des différentes églises du Proche-Orient se sont réunis en synode à Rome. Aux approches de cet événement, nous avions reçu deux documents, l'un du Père Zahlaoui, prêtre catholique de rite melkite à Damas, l'autre de Mustapha Chérif, l'intellectuel et le diplomate algérien bien connu. L'un et l'autre nous faisaient part de leurs craintes en des termes qui se faisaient écho ; la disposition que nous adoptons pour vous présenter ces deux textes rend visible ce parallélisme :

Les illusions occidentales

A l'issue des travaux de cette rencontre, Mustapha, dans un journal algérien (L'expression, 28 oct. 2010) écrivait cet article que nous reproduisons. En réalité, il semble bien que les craintes du départ étaient injustifiées. Ce synode marque une ferme volonté de promouvoir, là où pourtant il semble en périls, un dialogue islamochrétien authentique.
Musulmans et chrétiens face aux injustices

Les illusions occidentales

J'espère que les causes des problèmes bien réels et pas seulement leurs effets soient étudiés et que l'islam ne sera pas de nouveau mis sur le banc des accusés. En effet, ce qu'on lit en Europe à ce sujet, le plus souvent ne reflète pas la réalité de l'Orient qui n'est pas monolithique. Vision qui surtout se limite à ce que croit voir l'Occident et que l'Occident veut faire croire, dans les circonstances dans lesquelles se trouve le monde.(Mustapha Cherif)

Les « Lineamenta » (textes préparatoires) n'ont nulle part, ni de près ni de loin, abordé un grand problème... celui de la politique occidentale, aveugle et injuste, que pratiquent les Etats-Unis...et où ils ont entraîné tous les pays occidentaux...Ici ...se cache la raison profonde de la montée du fondamentalisme musulman au niveau du monde. (Elias Zahlaoui)

Chrétiens et musulmans au Proche-Orient : une longue histoire

...Nous sommes nombreux à craindre que ce Congrès donne l'occasion à des médias de se déchaîner contre les musulmans et ne désespèrent le monde avec des accusations excessives en direction des sociétés musulmanes et soit marqué par des jugements qui ajoutent aux incompréhensions, suscitant de nouvelles déceptions à un Orient déjà hypothéqué par des politiques injustes...L'immense majorité des musulmans tient au pluralisme religieux et au vivre ensemble...Nous laissons le soin aux chrétiens d'Orient de voir s'ils partagent notre regard sur leur histoire commune avec les musulmans.

Il ne faut pas oublier que l'islam en tant qu'islam, depuis qu'il était au sommet de sa puissance jusqu'à ce jour, a respecté les chrétiens et les juifs. Bien plus il collabora avec eux sans réserve, dans tous les domaines de la vie, de l'administration, de la culture et des sciences. A ce propos, il m'est douloureux de rappeler à tous ce qui, au même moment, régnait en Occident, en matière d'antisémitisme généralisé, absolument antiévangélique, ainsi que les guerres de religion au cours desquelles les chrétiens s'entrégorgèrent pendant des siècles.

La racine du mal : le conflit israélo palestinien

...« Nous serons particulièrement attristés si des accusations sont prononcées sans toucher les causes profondes. Sans la justice et les mots de vérité pour désigner les oppresseurs, se contenter, de prier pour la « paix » en « Terre Sainte », la patrie de Jésus, et dénoncer les discriminations injustifiables dont sont victimes les chrétiens sans en discerner les dimensions politiques, sera une forme de non assistance à peuples en danger....Le projet de texte du Vatican pour ce synode considère que le devenir commun dépend seulement des musulmans alors que la responsabilité est partagée.

Quelle peut être l'utilité d'un tel Synode s'il n'aborde pas ce qui garantit la survie des hommes et de leurs civilisations, dans le droit, la dignité et la liberté ? ...Quelle peut être l'utilité d'un tel Synode et de ce qu'il produira comme orientations, directives et souhaits, qui touchent aux manifestations de la présence chrétienne dans tout l'Orient, et à la nature de ses relations avec les musulmans et les juifs si la terre de l'Orient, dans sa totalité, est minée et menacée d'exploser à tout instant et si son ciel est rempli d'avions occidentaux .israéliens.. ?

Musulmans et chrétiens face aux injustices
par Mustapha Cherif

Les causes des problèmes que vivent les chrétiens en Orient sont politiques.

Pour la première fois dans l'histoire, s'est tenu du 10 au 23 octobre 2010, au Vatican, un Synode, congrès mondial des prélats, sur la situation des chrétiens d'Orient. La présence chrétienne en Orient, qui partage tant de valeurs avec les musulmans, est une nécessité autant chrétienne qu'islamique. A la veille de cette rencontre, nombre d'observateurs étaient inquiets, de peur que l'Islam, dernier Message révélé, et les musulmans, témoins de la foi en Dieu Un, ne soient mis au banc des accusés, alors que les causes des problèmes que vivent les chrétiens en Orient sont politiques: la politique des deux poids, deux mesures, la colonisation en Palestine, l'invasion de l'Irak, la faiblesse des pouvoirs et l'instabilité. Les causes de la situation difficile que vivent les chrétiens en Orient sont politiques et non religieuses.

Le rapport du 18 octobre du Synode, après le débat général au sujet de la relation avec les musulmans, a apaisé les craintes. Il traduit un souci de dialogue, d'objectivité et d'équilibre. Il stipule que la Déclaration Nostra aetate du Concile Vatican II pose le fondement des rapports de l'Église catholique avec les musulmans. Il rappelle qu'au début de son pontificat, le pape Benoît XVI déclara: «Le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans ne peut pas se réduire à un choix passager. C'est en effet une nécessité vitale, dont dépend en grande partie notre avenir.»

Le dialogue est capital

Il précise: «Le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux entretient des rencontres de dialogue d'importance capitale.» Comme je l'avais suggéré au pape, il recommande: «La création de commissions locales de dialogue interreligieux.» Il insiste sur le fait qu'«il est nécessaire de donner la première place au dialogue de vie, qui offre l'exemple d'un témoignage silencieux éloquent... Seuls les chrétiens qui offrent un témoignage de foi authentique, sont qualifiés pour un dialogue interreligieux crédible. Nous avons besoin d'éduquer nos fidèles au dialogue. Les chrétiens orientaux peuvent aider ceux de l'Occident à entrer plus profondément dans une rencontre constructive avec l'Islam».
Il insiste à juste titre sur le fait que «les raisons de tisser des rapports entre chrétiens et musulmans sont multiples. Tous sont concitoyens, partagent la même langue et la même culture, ainsi que les joies et les souffrances. En outre, les chrétiens ont la mission de vivre comme témoins du Christ dans leurs sociétés.

Dès sa naissance, l'Islam trouva des racines communes avec le Christianisme et le Judaïsme. La littérature arabo-chrétienne doit être mise davantage en valeur, et être utilisée comme ressource dans le dialogue avec les musulmans». Les chrétiens en Orient demandent à être respectés dans leur foi, sans être soupçonnés, a priori, de prosélytisme.
Le rapport montre les liens qui unissent chrétiens et musulmans: «Notre proximité avec les Musulmans est consolidée par quatorze siècles de vie commune, comportant des difficultés et aussi beaucoup de points positifs. Pour un dialogue fructueux, chrétiens et musulmans doivent mieux se connaître. Musulmans et chrétiens partagent l'essentiel des cinq piliers de l'Islam.
De nombreuses initiatives illustrent la possibilité de rencontre et de travail fondé sur les valeurs communes (paix, solidarité, non-violence). Plusieurs exemples d'initiatives réussies ont été mentionnés, en matière de dialogue et de travail commun entre chrétiens et musulmans... De là, l'importance primordiale du dialogue de vie, ou dialogue de voisinage, hiwar aljiwar.»
Le rapport souligne que durant ce synode: «Le dialogue avec les musulmans a été souvent évoqué, recommandé et encouragé... Nous sommes tous habitants de la même terre, de la même maison de Dieu. Il a été même affirmé: pas de paix sans dialogue avec les musulmans.» Un point intéressant: il est précisé que «les Églises Orientales sont les plus qualifiées à promouvoir le dialogue interreligieux avec l'Islam. C'est un devoir qui leur incombe de par la nature de leur histoire, de leur présence et de leur mission.
Le contact avec les musulmans peut rendre les chrétiens plus attachés à leur foi, l'approfondir et la purifier. La sainteté de vie est réciproquement appréciée de part et d'autre». L'approfondissement de la foi est mis en avant comme valeur commune.

Le synode souligne un point central que nous partageons: «Nous avons le devoir d'éduquer nos fidèles au dialogue interreligieux, et à l'acceptation de la diversité religieuse, au respect et à l'estime réciproques...Avant de nous disputer sur ce qui nous sépare, retrouvons-nous sur ce qui nous unit, surtout en ce qui concerne la dignité humaine, et la construction d'un monde meilleur. Il faut éviter toute action provocatrice, offensive, humiliante, et toute attitude anti-islamique.»
Certes, il s'inquiète du fait que «l'annonce islamique (Al da'waa) est de plus en plus active en Occident. Nous devons nous dire notre différente vision de la vérité. Nous avons à traiter sereinement et objectivement les sujets qui concernent l'identité de l'homme, la justice, les valeurs de la vie sociale digne, et la réciprocité».

Mais il tente de discerner entre les différents courants au sein du monde musulman: «Nous devons prendre en considération aussi que les musulmans ont différents courants d'enseignement et d'action.» Les synodaux ont reconnu que la majorité des musulmans est tolérante et constatent que le musulman n'est pas une menace.
Est affirmé que «la liberté religieuse est à la base des rapports sains entre musulmans et chrétiens. Elle devrait être un thème principal dans le dialogue interreligieux. On souhaiterait que le principe coranique «pas de contrainte dans la religion» soit réellement mis en pratique.» Ce sujet est en effet fondamental pour tous. Des synodaux ont aussi parlé des «contraintes, des limites à la liberté, des actes de violence et de l'exploitation des travailleurs émigrés dans quelques pays.»

Mais, à juste titre, ils ont mis l'accent sur ce qui unit et pacifie plutôt que ce qui sépare. Le rapport va jusqu'à affirmer avec hardiesse que «musulmans et chrétiens partagent l'essentiel des cinq piliers de l'Islam».
Par le dialogue, les chrétiens s'enracineront mieux dans leurs sociétés, et ne céderont pas à la tentation du repli sur soi. Nous avons les uns et les autres à sortir de la logique de défense des droits de nos seuls coreligionnaires, pour nous engager pour le bien de tous, d'autant que parler «d'amour» ou de «paix» en oubliant la justice restera toujours inachevé. Ce synode permet de relancer l'espérance entre musulmans et chrétiens, afin de vivre partout en Orient comme en Occident, une expérience de la diversité vécue dans la proximité, la sérénité et le respect réciproque.

Des positions très courageuses

Lors de la clôture du synode, en présence du pape, une position politique officielle, juste et courageuse du Vatican fut exprimée sous forme d'un «Appel à la communauté internationale». Le Synode des évêques pour le Moyen-Orient demande à la communauté internationale de mettre fin à l'occupation israélienne de différents territoires arabes: «Les citoyens des pays du Moyen-Orient interpellent la communauté internationale, en particulier l'ONU, pour qu'elle travaille sincèrement à une solution de paix juste et définitive dans la région, et cela par l'application des résolutions du Conseil de sécurité et la prise des mesures juridiques nécessaires pour mettre fin à l'occupation des différents territoires arabes par Israël.»

Les évêques, en majorité du Moyen-Orient, sont clairs, mettre fin aux colonies:
«Le peuple palestinien pourra avoir une patrie indépendante et souveraine et y vivre dans la dignité et la stabilité.»
De son côté, Israël «pourra jouir de la paix et de la sécurité au-dedans des frontières internationalement reconnues». Au sujet de la Ville Sainte: «Jérusalem pourra obtenir le statut juste qui respectera son caractère particulier, sa sainteté et son patrimoine religieux, pour chacune des trois religions, juive, chrétienne et musulmane», les prélats disent: «espérant que la solution des deux Etats devienne une réalité et ne reste pas un simple rêve».

Le synode fait référence à la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies qui avait condamné, en novembre 1967, l'«acquisition de territoire par la guerre» et demandé le «retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés» à l'issue de la guerre des Six-Jours. Cette résolution a été suivie de plusieurs autres dans le même esprit. Sur le fond, l'archevêque de Newton (Etats-Unis), synodal, a précisé que le synode considère qu'«Israël ne peut pas s'appuyer sur le terme de ´´Terre promise´´ figurant dans la Bible pour «justifier le retour des juifs en Israël et l'expatriation des Palestiniens.»
En outre, le président de la commission pour le message du Synode pour le Moyen-Orient, lors d'une conférence de presse, a confirmé: «On ne peut pas se baser sur le thème de la Terre promise pour justifier le retour des juifs en Israël et l'expatriation des Palestiniens.»

Dans le message de clôture, les évêques et patriarches orientaux affirment qu«'il n'est pas permis de recourir à des positions bibliques et théologiques pour en faire un instrument pour justifier les injustices...Pour nous, chrétiens, on ne peut plus parler de «Terre promise au peuple juif», terme qui figure dans l'Ancien Testament, car cette ´´promesse´´ a été «abolie par la présence du Christ». Après la venue du Jésus, nous parlons de «Terre promise» comme étant le royaume de Dieu, qui couvre la Terre entière, et est un «royaume de paix, d'amour, d'égalité (et) de justice...»
Il n'y a plus de peuple préféré, de peuple choisi, tous les hommes et toutes les femmes de tous les pays sont devenus le peuple choisi». A été mis en avant deux problèmes de fond au sujet de la solution préconisée par la communauté internationale et le Vatican d'instituer un Etat juif et un Etat palestinien pour résoudre le conflit au Proche-Orient.

Dans le cadre d'un Etat «juif», le synode s'inquiète du risque d'exclusion «d'un million et demi de citoyens israéliens qui ne sont pas juifs mais arabes musulmans et chrétiens». Pour les synodaux, il vaudrait mieux parler d'«un Etat à majorité juive».
Le président de la commission a défendu le droit au retour des déplacés palestiniens: «Quand on va créer deux Etats, il va falloir résoudre ce problème.»
C'est une position équitable, qui mérite d'être saluée, tout à l'honneur des chrétiens d'Orient et du Vatican. Les musulmans ont besoin d'une Eglise juste, forte, crédible, comme alliée, capable de faire reculer les injustices de notre temps, la xénophobie, les dérives de l'Occident consumériste et matérialiste.

Tout comme les chrétiens ont besoin de musulmans forts et ouverts sur le monde pour faire reculer le nihilisme, la perte de valeurs et contribuer ensemble à l'émergence d'une nouvelle civilisation. Ce synode redonne de l'espoir au vivre-ensemble dans le respect mutuel.

Mustapha Cherif, Journal l'Expréssion 28 Octobre 2010 - Page : 15


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