Que dit la loi sur le prosélytisme

Jean-Luc Rivoire
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Jean Luc Rivoire est avocat de profession. Il nous présente le cadre juridique français et la façon dont il répond aux questions posées par le prosélytisme, alors même que ce dernier concept est absent du droit français.


La loi appréhende le prosélytisme indirectement à travers la liberté religieuse.

Le mot prosélytisme ne fait pas partie du vocabulaire de la loi, alors qu’il est devenu dans les dernières années une question juridique à part entière.

Le prosélytisme désigne l’action de convaincre autrui. Le prosélytisme religieux est compris comme le zèle déployé pour faire des prosélytes, c’est à dire de nouveaux convertis. La loi appréhende le prosélytisme indirectement à travers la liberté religieuse.

La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 prévoit :

- En son article 10 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.
- En son article 11 : la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Dans une décision du 25 mai 1993 La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) considérait que le prosélytisme est une activité dont l’exercice est protégé au titre de la liberté de croyance religieuse. La liberté religieuse, dit la Cour, comporte en principe le droit d’essayer de convaincre son prochain par la manifestation de ses croyances sans quoi la liberté de changer de religion risquerait de demeurer lettre morte. Cette liberté de chercher à convaincre l’autre de sa croyance « prend sa source à la fois dans le for interne (C’est elle qui donne corps à la liberté de changer de religion, c’est à dire à la liberté d’option religieuse dans son acceptation la plus générale) et dans le for externe puisque, pour tenter de convaincre autrui du bien fondé ou de la supériorité de sa croyance, il faut pouvoir l’exprimer ».

La convention européenne des droits de l’homme en son article 9 comme la déclaration de 1789 considèrent que cette liberté d’expression de la foi n’est pas, contrairement à la liberté du for interne, une liberté absolue. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut faire l’objet de restrictions qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou de la protection des droits et libertés d’autrui.

Quelles sont les restrictions à l’expression de la foi qui sont compatibles avec la déclaration européenne des droits de l’homme et qui sont prévues par la loi nationale ? La jurisprudence européenne parle de prosélytisme de bon aloi ou de mauvais aloi.
Les échanges d’opinions sont notamment conditionnés en considérant le détenteur du message et le récepteur de ce dernier (l’État, l’employeur, le religieux, l’urgentiste, l’enfant, le maître d’école, l’étudiant…). Ils sont aussi soumis à des règles différentes selon les lieux où ils se passent (publics, privés, scolaires, hospitaliers...).


Une obligation absolue de s’abstenir

Selon une décision de la CEDH en date du 3-12-1986, contre la Suède, et en application de l’article 9 de la convention : Un État ne doit pas être source de prosélytisme ou d’endoctrinement religieux. Cette règle au fondement de la laïcité des sociétés européennes est centrale dans l’architecture des droits qui nous gouvernent.


Une définition générale de l’abus de prosélytisme

Au terme de l’article 31 de la loi de 1905, intégré au préambule de la Constitution, sont punis « ceux qui, soit par voie de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais de culte » .

La loi du 12-6-2001, concernant les mouvements sectaires, punit les pressions graves ou réitérées portées à la conscience d’autrui, abusant d’état d’ignorance ou de situation de faiblesse des personnes particulièrement vulnérables ou en état de sujétion psychologique ou psychique.


Le prosélytisme et les élèves

C’est à l’occasion de cours d’éducation sexuelle obligatoire que la CEDH a été amenée à préciser les exigences qui pesaient sur l’école publique. Par un arrêt concernant le Danemark en date du 7 -12-1976, la Cour a affirmé que l’État dans ses fonctions d’éducation et d’enseignement, devait diffuser des informations ou connaissances de manière objective, critique et pluraliste avec l’interdiction de poursuivre un but d’endoctrinement qui puisse être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents.

Le prosélytisme à l’école publique par les personnes disposant d’un pouvoir de fait sur les enfants est interdit. Le prosélytisme entre les élèves est encadré selon les droits des états signataires de la convention (circulaire du 6 mars 1991 pour la France). Par ailleurs les mineurs bénéficient, comme les adultes, de la liberté de religion (article 14 de la convention de New York du 20 novembre 1989) jusqu’à être des sujets actifs de prosélytisme.


Le prosélytisme dans le cercle familial

La religion se développe et se pratique essentiellement au sein de la famille, lieu privilégié de diffusion de la foi. Les parents sont ainsi libres de convaincre leur enfant d’adopter une croyance et en conséquence de mettre en œuvre un prosélytisme afin de perpétuer la foi de l’enfant.

Cependant au nom de « l’intérêt de l’enfant » le juge des enfants ou le juge aux affaires familiales peut restreindre la liberté religieuse du parent afin de contenir le prosélytisme exercé sur l’enfant dans des limites acceptables du point de vue de l’enfant et du reste de son entourage. Les situations d’abus peuvent, notamment, concerner des abus d’autorité ou de pouvoir au mépris de la conscience des enfants, un prosélytisme immodéré proche d’un harcèlement ou des négligences graves telles que des refus de soins…


Prosélytisme dans l’armée

La CEDH a estimé que des précautions particulières sont nécessaires pour protéger les droits des subordonnés des forces armées considérant la structure hiérarchique particulière rendant difficile pour un subordonné de repousser un supérieur.

La Cour s’attache donc à protéger les militaires des pressions de leurs supérieurs qui tenteraient de promouvoir leurs convictions religieuses en vue de rallier de nouveaux adeptes.


Prosélytisme dans l’entreprise

Le prosélytisme est proscrit dans les lieux privés (entreprises) quand il porte atteinte à l’ordre public ou au bon fonctionnement de l’entreprise mais également si la pression communautaire contraint des individus à des pratiques religieuses alors qu’ils n’ont pas exprimer le souhait de s’y conformer.

Le droit du travail français reconnaît à chaque personne le droit de ne pas être inquiété dans son travail à raison de ses opinions politiques ou de ses convictions religieuses et en l’absence de prosélytisme à l’intérieur de l’entreprise, l’employeur ne peut faire état des convictions du salarié pour procéder à son licenciement.


Le signe ostensible d’appartenance religieuse et prosélytisme

Le comportement religieux prosélyte suppose la volonté affichée de convaincre voire de convertir des tiers à sa foi. Les signes religieux prosélytiques n’impliquent aucune intention ni aucune manœuvre. Les juridictions nationales et européennes considèrent que le signe produit un effet prosélytique par le fait même qu’il donne à voir l’appartenance religieuse, qu’il est le support de l’extériorisation des convictions religieuses.

La question de savoir si se couvrir la tête d’un foulard islamique était ou non révélateur d’un comportement prosélyte à été débattue, les tribunaux exprimant des positions contradictoires en ce qui concerne les élèves à l’école. L’intervention de la loi du 15 mars 2004 qui interdit dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse a mis fin à cette discussion.

Les signes religieux sont interdits pour toutes les personnes participantes à un service public mais non pour les usagers.

Dans l’espace public l’interdiction de dissimuler son visage n’est pas fondée sur la laïcité mais sur la sécurité publique.

Le prosélytisme est un concept précieux si, comme nous le disions plus haut, il désigne une action de convaincre c’est à dire de faire circuler des opinions. Pour que les abus du prosélytisme puissent être contenus efficacement il est probablement nécessaire que le « prosélytisme de bon aloi » puisse avoir toute sa place. Si l’on fait sortir la religion du débat public, ce qui était soumis à la critique devient sacralisé et finalement indiscutable.

L’assassinat tragique du professeur d’histoire-géo Samuel Paty et le projet d’établir une loi nouvelle sur le « séparatisme » peuvent faire craindre à l’adoption de mesures à l’opposé de ce qui conviendrait. Adrien Candiard (dominicain, islamologue) écrivait dans La Croix du 19 octobre 2020 : « Ce nouvel attentat monstrueux souligne en tout cas que notre approche habituelle du fanatisme ne fonctionne pas. Nous avons l’habitude de considérer que le fanatisme est un excès de religion qui se résoudra de lui-même si l’on fait disparaître la religion de l’espace public. Cette approche a pu produire des résultats mais elle ne marche plus depuis trente ans ». Ce n’est pas en essayant de ne plus parler de religion mais au contraire en prenant au sérieux la dimension religieuse du fanatisme que l’on pourra se donner les moyens de comprendre le phénomène et de donner aux règles sur le prosélytisme et ses limites toute leur efficacité.

Jean Luc RIVOIRE

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