Minorités religieuses : un problème éthique
Francis Raugel
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Ancien président du GAIC
(Groupe d'Amitié Islamo Chrétienne)
Francis Raugel s'efforce de dégager
quelques principes éthiques.


Convivialité impossible ?

Comment vivre la coexistence entre minorités religieuses et populations d'appartenance religieuse majoritaire ?

Les derniers mois ont vu en Irak, en Inde, aux Philippines, en Algérie des tensions - allant jusqu'à la violence - entre les populations d'appartenance religieuse majoritaire, les gouvernements qui en sont issus et les minorités chrétiennes, musulmanes ou hindoues. Dans certains pays ces violences et ces tensions ont entraîné des mouvements d'exode.

En Algérie les chrétiens d'origine européenne se sont entendu dire il y a quelques mois par les autorités qu'il leur fallait quitter le pays. Est-il donc impossible que des groupes sociaux appartenant à des religions différentes puissent coexister dans des pays où une religion est dominante ? A quelles conditions cette coexistence serait-elle possible ?

La réflexion ne portera pas sur les pays où la laïcité - juridique ou pratique - constitue le cadre de vie commune et assure à chaque groupe religieux les conditions d'une reconnaissance à défaut de conditions totalement normales de vie. Elle portera donc sur les pays au sein desquels un groupe religieux est très « dominant » et où existent des minorités d'une autre obédience religieuse.

La condition qui nous parait essentielle pour permettre une coexistence, sinon harmonieuse du moins acceptable, est celle du respect réciproque : respect par les minorités de l'environnement culturo-religieux dans lequel elles baignent ; respect par le groupe religieux majoritaire des spécificités des minorités.


Le respect par les minorités
de leur environnement culturo-religieux

Respecter un environnement culturo-religieux c'est « prendre en compte » tout ce dont cet environnement est porteur mais ce n'est pas forcément le faire sien.

« Prendre en compte »

Quelques exemples :

Dans les années après l'indépendance de l'Algérie les nombreux coopérants français faisaient extrêmement attention à :

. porter des tenues non choquantes,
. s'abstenir de manger, fumer, boire en public pendant le ramadan,
. respecter les codes de la politesse,
. ne pas boire d'alcool en public,
. respecter les traditions(ne pas serrer la main à une femme).

Dans le domaine religieux « prendre en compte » doit inviter à :

. éviter toute critique publique des conceptions et pratiques de la religion dominante,
. éviter toute manifestation religieuse « ostentatoire » : processions extérieures, distribution de livres religieux sur la voie publique, affichage de grands panneaux,
. s'abstenir de tout prosélytisme au sens d'une action organisée pour convertir ceux qui appartiennent à la religion majoritaire,
. en cas de demande d'une personne issue de la communauté majoritaire d'intégrer une communauté minoritaire le choix personnel doit être accueilli mais il est essentiel de :
. réaliser un accueil discret et éviter toute attitude de « triomphalisme »,
. s'assurer que la personne s'interdira toute critique vis-à-vis de son ancienne communauté,
. faire tout son possible pour que les liens sociaux et familiaux de la personne soient maintenus.

Garder sa liberté

- Continuer à vivre, en privé, selon ses normes et coutumes.
- Ne pas hésiter à mener, avec ceux de la religion majoritaire qui y sont prêts, un dialogue exigeant.
- Marquer ses convictions : ne pas travailler par exemple le jour de Noël (s'il tombe en semaine) le jour de l'Ascension ou dans un autre domaine avoir des activités communes entre hommes et femmes.
- Pour les chrétiens en pays musulman assurer un témoignage fort et être toujours prêts à « rendre compte de l'espérance qui est en eux » : cela implique de ne pas hésiter à dire en qui et en quoi on croit lorsqu'on en a l'occasion (et si l'on vit vraiment sa foi celle-ci vient vite).

L'équilibre entre la prise en compte de l'environnement et le maintien de sa liberté est souvent difficile à atteindre : mais si on donne vraiment le sentiment de le chercher l'environnement saura, en général, être indulgent vis-à-vis des erreurs.


Le respect par le groupe majoritaire
des spécificités des minorités

Ce respect prend parfois la forme d'un statut spécifique accordé à une minorité moyennant une reconnaissance de l'assujettissement à la majorité.
Il a aussi été évoqué (par l'archevêque de Canterbury) l'introduction dans la loi britannique de certains éléments de la charia.
Il ne nous semble pas que ces approches soient les plus respectueuses des réalités : nous chercherons donc les caractéristiques générales d'un comportement qui permet aux minorités de vivre leurs spécificités.

La possibilité de vivre sa foi

Il ne s'agit pas de se contenter d'inscrire dans une constitution, une loi... le principe de la liberté religieuse mais d'en assurer l'exercice effectif. Cela passe en particulier par :

- La possibilité donnée de disposer de lieux de culte en nombre suffisant et pas trop éloignés des communautés de fidèles.
- La possibilité de former des responsables du culte ou de les envoyer se former à l'étranger ou d'en faire venir d'autres pays en cas d'insuffisance.
- La liberté de se réunir entre membres des communautés minoritaires dans les lieux de culte ou dans des lieux privés pour pratiquer le culte, se former, réfléchir ensemble...
- La possibilité de se procurer tous les documents, livres, moyens audiovisuels... nécessaires à l'éducation et à la pratique de la foi.

Le droit de témoigner de sa foi

Ce témoignage, qui se veut une explicitation de ce qui fait vivre, peut prendre différentes formes :

- La réalisation d'actions caritatives, éducatives, sociales... qui sont des révélateurs de la foi qui en est à l'origine.
- La participation à des débats, colloques...
- La possibilité d'utiliser les médias pour montrer ce dont on vit.

Le respect de l'égalité des conditions
par rapport aux croyants majoritaires.


Etre membre d'une minorité ne doit pas constituer un handicap dans les différents domaines de la vie sociale : même possibilités d'accès au travail, aux fonctions démocratiques et politiques (pour mémoire le ministre des finances d'un des premiers gouvernements algériens était catholique) - sous réserve évidemment des conditions de nationalité - même traitement vis-à-vis du droit...

La possibilité de pratiquer des modes de vie différents.

Pour des musulmans en pays chrétiens ce sera par exemple des facilités offertes pour pratiquer le ramadan. En sens inverse les chrétiens en pays musulman devront pouvoir, en période de ramadan, manger (en privé) selon leurs habitudes.

La prise en compte, dans la mesure où cela ne perturbe pas
le fonctionnement de la société, des us et coutumes des minorités.


- En pays chrétien on fera en sorte par exemple de prévoir un plat de substitution au porc dans les écoles, les hôpitaux, les maisons de retraite.
- De même les rites funéraires et les conditions de sépulture devront prendre en considération les normes de chacun.

Les pistes ci-dessus ne sont données qu'à titre d'exemple pour montrer dans quel esprit doit s'aborder cette question des rapports entre minorités religieuses et population d'appartenance religieuse majoritaire.

L'essentiel est que chacun ne cherche pas à exclure ou à dénoncer l'autre comme oppresseur mais considère d'abord et avant tout que son mode de vie et de croyance n'est pas le seul qui ait droit d'existence. A cette condition-mais elle est fondamentale- une vraie coexistence positive doit pouvoir être vécue.

Francis Raugel



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