Les personnes âgées chez nous

Des femmes de la Caravelle
"Quelle place pour les anciens ?" Page d'accueil Nouveautés Contact

Cinq femmes de la cité « la Caravelle », l’une d’origine tunisienne et les quatre autres marocaines, étaient réunies pour parler de la place des grands-parents dans leur famille et au Magheb. Elles ont de 28 à 58 ans, elles sont toutes mères de famille. Quatre d’entre elles sont arrivées en France au moment de leur mariage et la cinquième a suivi son patron qui avait décidé de s’implanter en France.


Le Coran et les traditions

Dans le Coran il est écrit que si tu fais du bien à tes parents c’est comme si tu en faisais à Dieu. Même si tes parents sont athées ou d’une autre religion, il faut s’occuper d’eux, bien les traiter. Le Coran précise que tous les péchés que tu fais durant ta vie sur la terre seront jugés après ta mort. Mais ce que tu fais comme péché à l’égard de tes parents est jugé dès maintenant : si tu es méchante avec tes parents, tu vas être malheureuse dès cette terre, sans attendre le ciel. Des malheurs vont s’abattre sur toi, le premier étant que des enfants vont agir à ton égard comme toi-même tu agis avec tes parents. C’est pourquoi nous avons peur de mal nous comporter avec nos parents. Ce qui ne veut pas dire que ce que nous faisons n’est pas d’abord par amour pour eux. Il y a même un hadith où Moïse, quand il parle avec Dieu, voit un homme abrité sous l’Arche même de Dieu. Moïse demande à Dieu ce qu’a fait cet homme pour mériter une telle place d’honneur. Dieu lui a répondu : « il s’est très bien occupé de ses parents. » Si tu ne fais pas de bien à tes parents c’est comme si tu ne le faisais pas à Dieu mais si tes parents sont contents de toi, c’est Dieu lui-même qui est content de toi. » C’est sur cette base que nous vivons et que nous éduquons nos enfants.

Mais il faut distinguer ce qui est de l’ordre de notre religion de ce qui est simplement culturel. Dans notre culture, au bled, la femme qui se marie doit vivre dans la maison de sa belle-mère. Même si les jeunes générations n’y consentent plus aussi facilement, cela se fait toujours surtout à la campagne. Toutes les belles-mères ne sont pas méchantes, mais même si elles le sont, la coutume veut que l’épouse de leur fils la supporte. Il y a des femmes qui ont vécu (et qui vivent encore) toute leur vie sous l’autorité de leur belle-mère qui donne son avis sur tout. Elles se lèvent avant l’aube pour faire le travail de la maison avant d’aller aux champs et elles doivent s’occuper des anciens ainsi que de leurs propres enfants. Ce sont des combattantes ! On pourrait penser que ce n’est pas juste : même si elles ont l’obligation, dans notre religion, de s’occuper des plus vieux pourquoi ne peuvent-elles pas choisir entre habiter chez leur mère plutôt que leur belle-mère ? Pour les femmes ça n’était pas facile : elles quittent leurs parents pour aller quelque part où elles ne sont pas chez elles et cela parfois jusqu’à leur mort. En fait, si elles acceptaient cette situation, c’est qu’elles espéraient qu’à leur tour – quand elles auraient été vieilles – elles auraient autorité sur toute la maison.

Des générations les unes après les autres ont souffert de cette situation. Mais progressivement elle est en train de changer. D’abord maintenant presque toutes les femmes ont un travail rémunéré… elles sont même plus nombreuses à aller travailler que les hommes ! (rires). Un homme qui veut se marier va chercher une femme qui travaille pour l’aider à subvenir aux besoins de la famille. Du côté des femmes, aujourd’hui beaucoup préviennent – avant de se marier – qu’elles n’épouseront pas quelqu’un qui leur imposerait de vivre chez ses parents. Cela fait partie du contrat tacite entre eux. Ceux qui vivent chez leurs parents, la plupart du temps l’ont choisi souvent pour des raisons économiques : c’est une étape avant d’avoir les moyens de construire ou de louer quelque chose pour leur propre famille.

Dans la nouvelle génération qui vit au Maghreb, beaucoup de femmes disent : « Ta mère vit de son côté et nous du nôtre. » Nous, quand nous nous sommes mariées, si nous avions parlé ainsi, cela aurait été une cause immédiate de divorce (rires). Mais même si la situation évolue, reste que ceux qui mettent leurs parents dans un EHPAD ne sont pas bien vus. La religion n’oblige pas à aller vivre chez ses parents mais elle oblige à bien s’occuper d’eux.


L’immigration, les personnes âgées entre ici et là-bas

Nous sommes toutes venues en France à l’âge adulte, quatre d’entre nous au moment de notre mariage et une avec son patron qui voulait s’implanter à Toulon. Nous avons ou avions nos parents et grands-parents au bled. Donc la situation est très différente pour nous. Cependant nous avons toutes le souci de nous occuper de nos parents jusqu’au bout, en leur donnant la possibilité d’habiter chez eux jusqu’à la mort. Même si nos parents très malades viennent – quand c’est possible – se faire soigner en Europe grâce à la présence d’un ou plusieurs de leurs enfants, ils veulent retourner mourir chez eux : non seulement au bled mais dans leur propre maison. Nous faisons tout pour que ce soit possible.

Nous avons vraiment à cœur de venir en aide le plus possible à nos parents âgés. Quand leurs autres enfants sont au bled, ils ont une présence physique auprès d’eux plus importante que la nôtre mais nous les assistons de notre mieux. Nous leur envoyons de l’argent, même s’ils n’en ont pas vraiment besoin. C’est notre manière de leur dire notre reconnaissance pour ce qu’ils ont fait pour nous. Nous les recevons chez nous à tour de rôle. Ainsi, les beaux-parents de l’une d’entre nous vivent six mois en Europe et six mois au Maroc. Pour une autre, c’est le contraire. Sa mère, décédée depuis peu, ne voulait pas quitter sa maison au bled. Elle ne pouvait pas laisser tout le poids sur sa sœur restée vivre chez sa mère. Ses frères et sœurs vivant en Europe ont fait comme elle la navette. Elle-même passait six mois chez sa mère. Ce n’était possible que parce que ses propres enfants étaient déjà grands. Elle ne pouvait pas y aller pour des séjours plus courts parce que le voyage coûte très cher. C’est fatigant mais pour nous c’est prioritaire. En fait, c’est normal d’agir ainsi.

Certaines d’entre nous, ont une partie de leurs parents ou beaux-parents en France mais personne n’en a la charge chez elle. En fait, les personnes âgées, en France aussi, préfèrent rester dans leur propre maison. Nous ne savons pas comment nous aurions fait s’il nous avait fallu vivre chez notre belle-mère. La question ne s’est jamais posée pour nous. Nous trouvons que c’est héroïque. Aucune d’entre nous n’a jamais placé une personne âgée en EHPAD. Ce serait, en quelque sorte, la honte.


Nos enfants et leurs grands-parents

Nous avons éduqué nos enfants à respecter leurs grands-parents. Parfois nos enfants nous parlent mal mais nous leur disons qu’il n’est pas question de parler ainsi à leurs grands-parents. Même si parfois ils n’aiment pas ce que leurs grands-parents leur donnent ou leur demandent, il n’est pas question qu’ils leur fassent la moindre réflexion. On leur dit que les personnes âgées sont sacrées et qu’il faut les respecter. Ils le font. Si c’est nous qui leur demandons quelque chose, ils râlent mais jamais quand ce sont leurs grands-parents.

Le fait qu’ils sont gentils avec leurs grands-parents s’est vérifié encore davantage depuis le début de la pandémie.

– « Mon fils, âgé de 18 ans, va régulièrement chez sa grand-mère. Il lui passe l’aspirateur, il fait le ménage avec elle, nettoie le balcon et fait ses courses. Il dort chez elle. En fait, il aime bien. Nous expliquons à nos enfants pourquoi il faut être gentil avec leurs grands-parents. Ils connaissent le Coran. Ils savent par eux-mêmes comment se comporter. »

- « Ma fille de 16 ans me dit souvent que ma mère lui manque et qu’elle a hâte d’aller la voir au Maroc. Il y a une grande complicité entre mes deux enfants et leurs grands-parents malgré la barrière de la langue. Ma fille comprend l’arabe même si elle le parle peu et mon fils de 18 ans ne le comprend pas. Mais ils sont tous les deux très serviables avec eux. J’aime beaucoup quand je les vois comme cela. Pour raconter les histoires de famille, il y a un problème de langue mais nos enfants posent des questions et ils nous demandent de traduire. Ma fille, quand elle est chez mes parents, n’arrête pas de prendre des photos et de faire des vidéos de mon père. Elle est tout le temps avec lui. »

- « Mes enfants sont contents d’aller voir leurs grands-parents au bled. Le confinement et les mesures barrières nous en ont empêchés et nous ne savons pas encore s’il sera vraiment possible d’y aller cette année. Mais cela manque vraiment à mes enfants, d’autant plus que là-bas c’est la campagne avec la nature et les animaux alors que nous sommes depuis des mois enfermés dans la cité. Chez nous, la barrière de langue n’existe pas. En Tunisie presque tout le monde connaît au moins des rudiments de français et mes enfants parlent couramment l’arabe. »

Entre ici et là-bas, il y a aujourd’hui un élément qui n’existait pas avant : c’est internet. Nous sommes tous et toutes sur WhatsApp. Même si nous ne pouvons pas nous déplacer aussi souvent que nous le voudrions, nous nous voyons à distance. Nos parents voient nos enfants grandir et cela contribue beaucoup à maintenir et à approfondir les relations. Ils ne sont plus étrangers les uns aux autres comme à l’époque où ils ne se rencontraient qu’aux vacances tous les deux ans. WhatsApp change vraiment tout pour nous.

Des femmes de la Caravelle

Retour au dossier "Quelle place pour les anciens ?" / Retour page d'accueil