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Entre deux mondes

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Entre deux mondes


Les conditions de la vie matrimoniale de nos jours
ne peuvent manquer d'interroger la conscience croyante,
qu'elle soit musulmane ou chrétienne.

Musulmane sans conviction

« Je compris très vite que ma participation dans la naissance du fils n'avait pas été retenue. Seul comptait le lien patrimonial. Je n'avais été que la gestatrice, impersonnelle, négligeable : « Il me revint en mémoire ma surprise, la première fois que je vis notre livret de famille. Moi, mère, je n'apparaissais que dans les pages réservées aux enfants. Là, on pouvait lire : prénom de l'enfant, prénom de la mère de l' enfant (moi-même). Et pour chaque enfant enregistré dans le livret du père, il fallait mentionner le prénom de la mère, preuve que de ce côté il était prévu que le lien génétique pouvait être fluctuant ». Il ne s'agit là que de propos tirés d' un roman (F. Sebti : «Moi, Mireille, lorsque j'étais Yasmina», Casablanca : Editions Le Fennec, 1995). Mais le livre est écrit par une avocate marocaine, à partir de confidences reçues de la bouche de clientes européennes. L'histoire est simple. Mireille, une Française, a épousé par amour Nadar, comme la loi de son pays l'y autorise. Sous la pression familiale et sociale, elle deviendra Yasmina. Pour échapper au mépris, voire au rejet, de son entourage, elle deviendra musulmane sans conviction. Abandonnant, avec le lourd sentiment de commettre une trahison, le catholicisme de son enfance, elle éprouvera une sorte de nausée devant l'acte hypocrite qu'elle aura posé en se convertissant à une religion qui ne cessera de lui apparaître étrangère. Cette histoire est assez révélatrice de la situation vécue par les femmes qui, rencontrant un musulman en Europe, s'en vont vivre au Maghreb. Elle est évoquée dans un article qu'on peut lire sur Internet (« GRIC, le couple installé au Maroc : www.gric.asso.fr). On y découvre le double déracinement que l'époux et l'épouse ont à vivre. En particulier, l'Européenne découvre la place du père, le poids du patriarcat, la place de la Loi: elle impose aux enfants qui naissent comme à la mère chrétienne, les exigences de l'islam.

Un héritage colonial lourd à porter

Mustapha est né dans la région parisienne mais sa famille est originaire d'Algérie. Son père a milité avec courage, au sein du FLN, pour libérer son pays. Après l'indépendance, une fois marié avec une compatriote,il est venu en France. Il a travaillé dans des conditions difficiles pour élever ses trois fils. Il pourrait être fier : tous sont passés par de grandes écoles. Pourtant, Mustapha (l'aîné !) au cours de ses études a rencontré Jeanne-Marie, une chrétienne convaincue qui ne pouvait concevoir de se marier hors de l'Eglise. Leur amour est solide mais Mustapha a dû payer cher pour construire son foyer. Ses parents ont coupé les ponts. A leurs yeux il de vient le kaffir (l'impie) complice du colonisateur ; ses enfants ne connaissent pas leurs grands parents. Bien sûr Mustapha auprès d' eux sera témoin de l' Islam mais comment fêter l'Aïd, par exemple, dans une société séculière, lorsqu' on est coupé de tout environnement musulman ? Comment échapper à une sorte de culpabilité lorsque, même par amour, on offense des parents que pourtant on admire et à qui on doit respect et reconnaissance.

Une législation paralysante

Ces deux situations sont permises autant par l'islam que par les églises chrétiennes et la loi française. Il en va autrement lorsqu'un homme, chrétien, juif, voire agnostique épouse une musulmane. Ce genre d'union est possible, en France, mais interdit en terre d' Islam. On imagine les réactions à craindre, du côté musulman, lorsque ceci se produit. L'épouse ne pourra bien souvent retourner dans son pays sans être considérée comme adultère : le couple ne pourra même pas trouver d' hôtel pour les héberger. Pour qu'elle puisse retrouver droit de cité dans son propre pays, son conjoint chrétien devra se convertir « pour la forme ». Doit-on se résigner à confondre une démarche de foi et un acte purement administratif  ? A moins de sombrer dans un communautarisme malsain, on ne peut éviter, dans une société pluraliste comme la France du 21ème siècle, que des jeunes se rencontrant à l'Université comme ailleurs dans la société, en viennent à s'aimer. A en croire une enquête menée par l'INED, la moitié des garçons musulmans de France s'unissent à des non musulmanes et une musulmane sur quatre se marie à un non musulman. Si l'on tient compte du fait que les couples non mariés sont légion, on peut dire qu'une femme sur trois, dans l'islam de France, transgresse les lois de sa religion.

Un avenir problématique

Ces comportements interdits n'entravent pas seulement l'équilibre du couple. L'intérêt des enfants est en question. Même si le mariage d'un musulman et d'une chrétienne est généralement toléré, l'avenir est problématique. Que l'époux répudie sa femme et la famille paternelle voudra lui retirer la garde de ses enfants ; le père est responsable de leur éducation et, en premier lieu, de leur éducation religieuse. L'Eglise aussi a ses interdits ; une femme chrétienne, par exemple, ne sera pas autorisée à épouser un non baptisé si elle ne peut témoigner de sa foi auprès de ses enfants. Voici déjà quelques années, des incidents diplomatiques graves ont opposé l'Algérie et la France : des mamans répudiées réclamaient la garde de leurs enfants confiés par leurs maris à la garde des familles en Algérie, comme l'exige le droit musulman.

Les mutations de la vie matrimoniale, de nos jours, ne peuvent manquer d' interroger la conscience croyante, qu'elle soit musulmane ou chrétienne. Que disent les Ecritures saintes auxquelles se réfèrent les uns et les autres? A quels interdits et à quelles obligations nos deux religions soumettent-elles leurs sujets? Quelles questions nouvelles sont posées par la modernité? Comment y faire face?



Le mariage dans le Coran



Dieu a mis entre l'homme et le femme "de l'affection et de la bonté"
à en croire le Coran (XXXI, 21)
D'où vient la mysogynie qu'on reproche souvent à l'Islam?

S'affranchir des préceptes du Coran ?

L'islamophobie grandissante en France et en Occident se nourrit de la misogynie attribuée aux croyants musulmans ; la femme serait, pour eux, sous la coupe de l' homme, victime de la volonté d' un « Dieu pervers ». Le voile dont on parle tant n'est-il pas un signe d'aliénation ?

Certaines musulmanes, dit-on, seraient conscientes de l'injustice que leur religion leur impose. De nombreuses militantes estiment que pour grandir en humanité, il convient de s' affranchir des préceptes du Coran et de se laisser prendre par la sécularisation ; la démocratie et les Droits de l'homme devraient permettre d' échapper à la discrimination dont la femme, en islam, fait les frais. D'autres pensent, au contraire, que l'Occident fait de la femme, un pur objet de convoitise. Son corps est étalé, sans la moindre pudeur, sur les écrans de télévision ou les murs des maisons pour rendre désirables les biens de consommation les plus banals. Les lois du marché, faisant fi de la Révélation, minent le mariage et les valeurs familiales les plus traditionnelles.

Une lecture tendancieuse du Coran

Que nous soyons musulmans ou non, notre temps nous engage à prêter l'oreille à la Révélation que le Livre Saint des musulmans amène jusqu' à nous.

« Influencés par les circonstances de l'époque et surtout les idées de supériorité masculine qui prévalaient à ce moment-là dans toutes les civilisations, les « ulama » ont élaboré une construction juridique détaillée et cohérente, qui améliorait la situation de la femme par rapport à sa condition antérieure, mais la maintenait tout de même dans une position largement inférieure à son frère ou son mari. Le droit musulman tel que nous l'avons reçu a été plus une oeuvre humaine influencée par les circonstances que l' oeuvre de Dieu. » Mohamed CHARFI introduit en ces termes le livre le Lucie PRUVOST (« Femmes d' Algérie », Casbah Editions. Alger 2002). Celle-ci fait apparaître que les musulmans, dans leur ensemble, paraissent avoir oublié le rôle joué par le Coran pour présenter le couple humain dans une parfaite égalité. Une confusion s'est introduite dans la tradition entre les commentaires juifs de la Bible et l'enseignement du Coran. On attribue au prophète des hadiths étranges. La femme est tordue, aurait-il dit, parce qu'elle a été tirée d' une côte d'Adam et les côtes sont courbes. Il est facile de les casser ; entendons que la répudiation est chose aisée. Il est vrai que dans la Bible, Eve est façonnée à partir d' une côte arrachée à Adam pendant son sommeil. Il faut y voir l'effet de la parole qui évite la confusion entre autrui et soi-même et suppose l'écart entre les partenaires. En réalité, l'interprétation juive et, à sa suite, l'interprétation chrétienne ont consisté à dire que tirée de l'homme, la femme lui est inférieure. De manière curieuse, contrairement à leurs propres Ecritures, les musulmans ont emboîté le pas.

Egalité fondamentale de l' homme et de la femme

En réalité, le récit de la création, dans le Coran, est tout autre que celui de la Genèse. Quoi qu'en disent les commentateurs, le texte fait apparaître l'humanité comme une réalité indifférenciée. Homme et femme sont créés en même temps et dans l' égalité. Quand le couple apparaît au sein de cet ensemble premier, le mot utilisé (zawj) ne désigne pas une réalité féminine.

Spontanément, en islam comme en christianisme, la première faute morale est attribuée à la femme. Ceci peut se comprendre pour ceux, juifs ou chrétiens, dont la foi s'appuie sur la Bible. «La femme vit que l' arbre était bon à manger et séduisant à voir... elle prit de son fruit et mangea». Après cette transgression, elle entraîne Adam. En revanche, dans le Coran, le premier couple est montré comme solidaire dans la faute. « Habitez le jardin, toi et ton épouse, n' approchez pas de cet arbre que voici, sinon vous seriez au nombre des injustes ». Après la faute, tous deux reconnaissent leur tort en même temps et avec une même expression : « leur seul cri d' appel a été : 'oui, nous avons été injustes' !»

Le Coran : un progrès en humanité

On pourrait multiplier les citations du Coran. Sans aucun doute, homme et femme devant Dieu ont la même dignité ; leur vocation est semblable et aucun des deux ne sera privilégié au jour du jugement. On risque d'objecter pourtant que de nombreux versets contredisent cette vision du couple. Il est bien vrai que, selon le Coran, le témoignage d'un homme est l'équivalent de celui de deux femmes et que, dans un héritage, la part réservée à l'homme est le double de la part réservée à la femme.

Il convient d'observer que ces mesures, toutes discriminatoires qu'elles paraissent au premier abord, sont traces d'un progrès. Dans l'Arabie antique, la femme n'avait aucun droit humain, pur objet dont les hommes pouvaient user à leur guise. Des maris pouvaient échanger leurs femmes sans que celles-ci aient leur mot à dire ; ils pouvaient la louer comme on loue un champ ou une maison. La polygamie n'avait pas de limites. La prédication coranique met un terme à ces pratiques. La parole de Dieu est un instrument de libération, faisant de la femme un sujet de droits et de devoirs. Disons, en vocabulaire contemporain, qu'elle devient une personne. Certes la polygamie demeure mais assortie de conditions telles qu'elle devient pratiquement impossible et appelée à disparaître.

Un sens détourné par la volonté masculine

On soulignera peut-être qu' à s'en tenir à la lettre, le livre saint présente l'homme comme supérieur en dignité à son épouse. On traduit généralement le verset 34 de la Sourate IV en ces termes  : « les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordée sur elles ». Des savants s'insurgent contre cette façon de traduire. Une théologienne, Riffat HASSAN, a montré qu'il s'agit de situer l'homme par rapport au fait que la femme a pour fonction d'enfanter et d'éduquer. Ceci entraîne pour l'époux des obligations de type économique ; il se doit de pourvoir à la nourriture et aux besoins de la famille. Le Coran fait place au partage des tâches. Traduire ceci en termes de domination connote le fait que le sens du livre a été confisqué par une société reposant sur la suprématie masculine. Ce même verset (IV 34) semble conseiller aux maris de frapper leurs épouses. Là encore l' interprétation connote la volonté de l' homme plus que le désir de Dieu révélant sa loi. On doit comprendre tout autrement le mot arabe (daraba) dont les significations sont multiples (c.f. revue «Se comprendre» n° 07/03 mars 2007: « Féminismes musulmans »).

La tendresse mutuelle

Quoi qu'il en soit de ces querelles de linguistes, le Coran fourmille de notations évoquant l'amour réciproque entre les époux. Ils sont l'un pour l'autre comme le vêtement qui enveloppe : belle image pour dire la tendresse mutuelle. Loin d'être méprisable ou corrigée, l'épouse est pareille au champ que le laboureur considère comme une promesse de fécondité. Enfin, père et mère ont droit, de la part de leurs enfants, aux mêmes égards et à la même protection. « Il te faut témoigner de la bonté envers tes père et mère. Si l'un d' entre eux ou tous les deux ont atteint la vieillesse et qu'ils vivent près de toi, ne leur dis point « fi !», ne les brusque pas mais parle-leur avec respect. Incline vers eux avec tendresse l'aile de l'humilité et dis 'Seigneur, sois miséricordieux envers eux comme ils l' ont été envers moi dans mon enfance' . »

La volonté de Dieu que manifeste l'Ecriture

Il va de soi que le mariage dans le Coran n'a pas la dimension sacramentelle qu'on trouve dans St Paul. Reste qu'il est un contrat réglé par la volonté de Dieu telle que l'Ecriture la manifeste. Il arrache la sexualité au pur instinct pour lui donner une dimension sociale et symbolique : la remise de la dot rend licite la relation sexuelle qui devient conjugale et permet d'espérer une descendance légitime. On parle souvent de « don nuptial » dans la langue française pour la désigner. Si cette remise de la dot a pu faire, dans l histoire, l'objet de calculs intéressés entre certaines familles, il n'en reste pas moins vrai qu'elle est la condition qui rend valide le contrat et légitime la vie commune. Elle peut être réduite à un simple anneau de vil métal mais, dans la mesure du possible, elle devrait être une manière de rendre la femme autonome par rapport à son mari. En cas de répudiation, ce don ne lui sera pas repris. Il est la marque d'un « grave engagement », à en croire la traduction de Jacques Berque ou d'une «  alliance solennelle » d' après celle de Denise Masson.

La musulmane peut-elle épouser un non musulman ?

Le Coran accompagne son enseignement de nombreux interdits ; comme dans toute civilisation il s'agit d'écarter l'inceste et, comme dans tout le bassin méditerranéen, d'assurer la descendance de la lignée paternelle. Qu'en est-il des mariages avec les non musulmans ? Là encore, l'empêchement vient des juristes ; le Livre se prononce sur la rencontre des « femmes du livre  », c'est-à-dire les juives et les chrétiennes (V5) ; les musulmans sont autorisés à les épouser : « il vous est permis d'épouser les filles honnêtes des croyants et de ceux qui ont reçu le Livre avant vous, pourvu que vous leur assigniez leurs dots  ». La non musulmane peut-elle épouser un musulman ? Le Livre reste muet sur ce point. On ne peut s'appuyer sur la sourate LX ; le verset 10 fait allusion aux femmes de La Mecque quittant leurs maris païens pour rejoindre la jeune communauté de Médine : « si vous les considérez comme croyantes, ne les rendez pas à leurs maris infidèles  ; elles ne sont plus licites pour eux ; ils ne sont plus licites pour elles ». Le mot « infidèle » - « kuffar » en arabe - désigne-t-il le juif ou le chrétien ? Un relatif consensus se dégage parmi les commentateurs pour affirmer que la foi monothéiste met à l'abri de l'impiété. Un juif ni un chrétien ne peuvent être mis au nombre des infidèles.

«Il a mis entre vous de l'affection et de la bonté.»

Ne parlons pas des situations qu'on ne trouve plus guère dans nos sociétés. Dans les cultures antiques, la relation de l'homme aux femmes esclaves était courante et, dans ce contexte, le concubinage pouvait être relativement toléré. En réalité, la Révélation du Coran sur la rencontre de l'homme et de la femme porte avant tout sur la rencontre conjugale. Il faut la comprendre à la lumière du Livre tout entier. Le texte est une protestation contre la pauvreté dont l'injustice est la source. Il tente d' arracher la femme à la condition de faiblesse qui lui était imposée. On raconte qu' à sa naissance une fille parfois était enterrée vivante, tant elle avait peu de prix dans la société. Désormais, avec l'islam, hommes et femmes, l'un devant l'autre ont, certes, des devoirs mais aussi des droits à faire valoir « au nom de Dieu ». Le mot « équité » s' impose pour désigner la relation. N' en concluons pas que le mariage musulman est affaire de morale plus que de spiritualité. La vie du couple est signe de Dieu. « Parmi ses signes, Dieu a créé de vous, pour vous, des épouses pour que vous viviez en tranquillité avec elles et il a mis entre vous de l' affection et de la bonté. Il y a en cela des preuves pour des gens qui réfléchissent » (XXX,21).



Le mariage dans la Bible


Pour la célébration d'un mariage, dans une église catholique,
l'homme et la femme échangent des paroles qui les engagent.
La parole humaine est le lieu où se forge, selon la Bible, l' Alliance avec Dieu.

Une seule chair

Aux premières pages de la Bible, le monde se met en place au fur et à mesure que « Dieu dit » : ces deux mots scandent le texte. Lumière et ténèbres, continents et océans, arbres de la terre et astres du firmament, monstres marins et oiseaux du ciel, jour et nuit prennent consistance du fait d'être dits par Dieu. Les éléments du cosmos sont comme les mots d'une phrase prononcée par Lui. Celui-ci parle jusqu'à ce que les mots de son poème donnent chair à l'humanité  : « Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance et qu'ils dominent » sur tout ce qui existe au ciel comme sur la terre. « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa ; homme et femme il le créa ».

Quand l'humanité surgit, la parole prend chair. Adam, sortant du sommeil voit le visage d'Eve : le langage accompagne le face à face (« Os de mes os ! Chair de ma chair !») Le texte poursuit : « c'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et ils deviennent une seule chair ».

L'arrachement à soi

La rencontre de l'homme et de la femme est inséparable du langage. Il opère à la fois séparation et communion. De manière imagée, le récit biblique parle d'une côte enlevée à l'homme pendant son sommeil : façon de dire l'arrachement à soi que suppose l'ouverture sur l'autre. Les premiers mots prononcés évoquent séparation et jonction : « Os de mes os, chair de ma chair !». La femme s'arrache d'Adam ; elle se sépare de lui mais l'un et l'autre ne font qu'un (« une seule chair »). Cette contradiction manifeste le travail de la parole où les sujets sont séparés et pourtant joints.

Tout n'est pas dit dans ce passage de la parole de création à la parole d'amour. Avec le langage surgissent loi et promesse. Adam et Eve voient le jour sur une terre paradisiaque mais une limite est fixée comme une condition à leur bonheur : le fruit d' un arbre leur est interdit. Qu'ils respectent cette loi et la vie surgira. « De l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras. »

La loi de l'Autre

Entre Adam et Eve, la loi fait entendre la voix d'un troisième. Quand la loi est transgressée, ils font l'expérience qu'un Autre est compromis dans leurs propos. L'oubli de la loi, c' est l' oubli de l' Autre dont on se cache  : « Ils entendirent les pas de Yahvé - Dieu et l'homme et la femme se cachèrent parmi les arbres du jardin  ». Il fallait qu'ils enfreignent la loi pour découvrir que la parole qui les fait vivre l'un par l'autre ne va pas sans l'Autre. Une fois la loi transgressée, la honte les envahit. Ils se voilent l'un devant l'autre jusqu'à ce que l'Autre se rappelle à eux. De même qu' Adam avait dû s'arracher au sommeil, de même le couple doit sortir de l'illusion : quand tout est permis, la vie est un leurre dont il faut se déprendre. Les voici chassés du jardin d' Eden pour faire face de nouveau à l'avenir. Mais la parole n'est pas morte. Après que l'Autre s' est rappelé à eux, en effet, Adam peut donner un nom à sa compagne et ce retour au langage est promesse de fécondité : « L'homme appela sa femme Eve parce qu'elle fut la mère de tous les vivants ».

La fidélité de Dieu

Ces premières pages de la Bible résument l'ensemble des livres saints où est contenue la révélation juive que Jésus découvrira. Le mot « alliance » suffit pour la désigner.

Pas de vie humaine sans la parole qui unit des sujets. Autour de Moïse un peuple sort du chaos comme Adam du sommeil. De même que le premier couple se construisait autour d'une loi symbolisée par l'arbre de la connaissance du bien et du mal, de même le peuple des hébreux naît autour des dix commandements. La loi promet la vie : « faites ceci et vous vivrez ». Lorsque après un long exode dans le désert ils trouveront une terre à cultiver, «  lait et miel » ainsi que tout ce qui fait la nourriture de chaque jour, seront reconnus comme des fruits de la promesse. Mais, à son tour, le peuple des promesses sombre dans l' oubli. L'exploitation du pauvre, l'idolâtrie, l'amour de la richesse, la violence, en un mot l'infidélité aux commandements sous toutes ses formes, seront traduits en termes d'adultère ou de prostitution.

La prédication des prophètes s'adosse, dans la Bible, aux textes qui rappellent la Loi. Qu'est-ce qu'un prophète dans la cohérence biblique ? Un serviteur de la Parole, un homme qui manie les mots d'une langue humaine pour faire entendre, comme un écho, la voix de l'Autre, innommable dans la tradition biblique et inaccessible mais perceptible à travers les mots et les actes qu'échangent les sujets. Jérémie affirme avec force que les invectives qu'il adresse au peuple ont été mises dans sa bouche par Dieu lui-même. Profondément insérés dans l'histoire, pour dénoncer auprès du peuple et de ses gouvernants, l'oubli de la Loi, les prophètes utilisent l'image du mariage et de l'adultère. « Elle n'est pas ma femme et je ne suis pas son mari !» Israël, dans les discours du prophète Osée, est l'épouse répudiée dont le mari est Dieu. Mais de même qu'entre Adam et Eve, l'Autre, après la transgression, manifeste encore son appel à vivre, de même les prophètes, en dénonçant la faute, promettent la victoire de la parole. Le texte d'Osée qui écrase l'épouse coupable en des termes féroces a également des paroles d'amour merveilleuses à l'égard d'Israël : « je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son coeur, là, elle répondra comme aux jours de sa jeunesse ».

Le Cantique des cantiques

Le Cantique des cantiques, un des livres de la Bible, est simplement un beau roman d'amour  : « j'entends mon bien-aimé, voici qu'il arrive, voici qu'il se tient derrière notre mur ». Le nom de Dieu n'est pas même prononcé. Un homme, une femme se cherchent, se désirent, s'attendent et leur histoire est narrée avec beaucoup de lyrisme. Deux manières de comprendre ce texte sont possibles. On peut voir Dieu dans le bien-aimé et considérer dans la femme aimante la personne du croyant : l'humanité et son Créateur sont à la recherche l'un de l'autre comme deux amoureux. On peut penser aussi que le lien humain qui unit l' homme et la femme est inséparable du lien entre le couple et son Seigneur. Ainsi, poser la parole au commencement de la création revient à poser la loi non pour elle-même mais pour faire place à des discours qui célèbrent Dieu en vérité, dans la mesure où ils chantent l'amour humain.

L'enseignement de Jésus

Jésus, pour sa part, n'a jamais pris l'initiative d' aborder le sujet, se contentant de réagir aux questions qu'on lui posait. Un jour, alors que des foules de malades venaient à lui, un groupe d'hommes opposés à son message, lui tendirent un piège en lui posant une question : « Est-il permis de répudier sa femme pour n'importe quel motif ? » La réponse est un renvoi à l'enseignement de la Bible. « N'avez-vous pas lu, répond Jésus, que le Créateur, dès l'origine, les fit homme et femme » et qu'il a dit  : « ainsi l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme et les deux ne feront qu' une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux mais une seule chair ? Eh bien ! Ce que Dieu a uni, l'homme ne doit point le séparer  ».

La loi nouvelle

Une autre fois, dans l'Evangile de Jean, il enseignait dans le Temple. Ses adversaires lui amènent une femme surprise en adultère et tentent de le mettre en contradiction avec la Loi. « Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu ? » Jésus commence par se baisser, traçant des lettres sur le sol. Nulle part ailleurs, dans l' Evangile, on ne voit Jésus en train d'écrire. On ne sait quels mots il donne à lire. Vraisemblablement, le geste renvoie à la loi ; elle est déjà écrite mais avec Jésus elle devient nouvelle quand il a sous les yeux quelqu'un que la mort menace. Dans le désert, la loi avait été donnée pour que le peuple vive et voici qu'elle devient instrument de mort. « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre » ; à cette parole de Jésus, tous se retirent.

Jésus touche les limites de la loi. Lorsqu'elle empêche de vivre, lorsqu'elle fait mourir, il prend la place de la loi, il fait loi, il devient loi nouvelle, il manifeste en sa personne le point d'où la loi avait jailli pour relancer la vie. « Alors se redressant, Jésus lui dit : 'femme, où sont-ils ? Personne ne t'a condamnée ?' Elle dit : ' personne, Seigneur !' . Alors Jésus dit : ' moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus !'»

L'alliance nouvelle

Ce texte mérite d'être souligné parce qu'il est un tournant chez saint Jean. Les adversaires du Nazaréen étaient venus « afin d'avoir matière à l'accuser ». Viendra bientôt le jour, en effet, où il sera livré au juge pour être condamné. Jean, qui rapporte ces événements, pour décrire Jésus aux bords de son procès, écrit que « son heure était venue ». L'expression n' est pas insignifiante ; elle renvoie au premier acte public de la vie de Jésus et de ses disciples, à Cana, en Galilée, où l'on célébrait un mariage, une alliance à laquelle il était invité avec ses disciples et avec Marie, sa mère. Jésus dit à cette dernière « Femme ! mon heure n'est pas encore venue ». Par ces simples mots, il transformait ce mariage en en faisant l'annonce d'une autre alliance. En effet, quand arriva le jour du procès, « quand son heure fut venue », comme tous les habitants de Jérusalem il célébra avec ses amis la pâque juive. Il prit le pain et le vin du repas en disant : « ceci est mon corps, ceci est mon sang, le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude humaine en rémission des péchés ».Peu après il sera condamné à être crucifié. Les paroles prononcées au cours du repas font entendre aux oreilles de ceux qui croient en lui qu'avec la croix une alliance nouvelle est nouée entre l'homme et Dieu.

Tout avait commencé avec la parole ; tout avait pris consistance du fait d'avoir été dit par Dieu : telle est la foi juive. Le chrétien croit que cette parole a pris chair en Jésus. On savait que la parole n' est pas seulement du vent qui porte des mots pour rejoindre autrui. Les plis du visage, les gestes des mains sont aussi des paroles pour les yeux, permettant souvent mieux qu' un discours de franchir les abîmes séparant les humains. La parole évoquée aux premières pages de la bible, venue de Dieu, était passée sur des lèvres humaines ; elle était un arrachement à soi-même pour rejoindre l'autre et faire alliance.

L'amour est le plus fort

La parole du commencement prend chair en Jésus. Il manifeste l'amour de Celui qui l'envoie. L' amour qui se révèle ainsi est poussé jusqu'aux limites du possible : la mort sur la Croix est une vie donnée. L'amour est le plus fort. Par-delà le tombeau, la Parole encore prend chair : Il est ressuscité. Commence une alliance nouvelle. Au milieu du jardin d'Eden, l'arbre symbolisait la loi sans laquelle aucune vie humaine ne peut se déployer. Au milieu de l'histoire, la Croix est, aux yeux du chrétien, l'arbre qui montre la loi nouvelle : la loi de l'amour qui l'emporte sur la mort.

Toute parole lie des sujets et fait naître une alliance particulière. Au coeur de l' histoire humaine, ceux qui adhèrent à la parole de résurrection forment un ensemble qu'on appelle « Eglise ». Ses membres sont liés par la foi les uns aux autres au point que Paul les considère comme faisant un seul corps qu'il appelle « Corps du Christ », animé du même Esprit que celui de Jésus, la Parole de Dieu incarnée. Les membres de cette « alliance nouvelle » sont différents. Autre le juif qui se convertit et croit à la Résurrection, autre le Grec qui adhère au message, autre l'esclave et autre le maître et surtout autre est l'homme et autre est la femme. Ce lien de l'un à l'autre permet à l'apôtre Paul de dire la dimension évangélique du mariage. Le corps humain acquiert, à la lumière de la résurrection, une vocation nouvelle. En reconnaissant que le Verbe s' est fait chair, on découvre que l'alliance charnelle d'un homme et d'une femme est un lieu privilégié où Dieu se fait entendre. Quand un homme et une femme s'appellent et se répondent au point de se donner totalement l'un à l'autre, ils sont l'un pour l'autre, dans la foi, parole de Dieu. Leur alliance humaine rend présente l'alliance nouée avec Dieu par Jésus aux jours de sa Pâque.

Le sacrement de Dieu

Le mot « sacrement », attaché au mariage chrétien, désigne cette présence mystique de la pâque de Jésus, réalisée dans l'accueil de l'autre et le don de soi à son conjoint. « Voici donc que l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme et les deux ne feront qu'une seule chair. Ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu'il s'applique au Christ et à son Eglise » (Paul aux chrétiens d' Ephèse).



Cantique des Cantiques 2,8

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