Migrations et Droits de l'Homme
Assan Ba et Nina Marx
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L’article 13 de la Déclaration Universelle
des Droits de l’Homme affirme :

1. Toute personne a le droit de circuler librement
et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat.

2. Toute personne a le droit de quitter tout pays,
y compris le sien, et de revenir dans son pays.

Assan Ba et Nina Marx travaillent ensemble au CCFD. Chargés de Mission ils vont à la rencontre de 70 ou 80 partenaires dont ils soutiennent les efforts de développement sur tous les continents. Ils sont également chargés du Secteur « Migrants » en France. A ce titre, ils s’intéressent de très près à l’association « Mes-Tissages » et sont devenus des amis de « La Maison islamo-chrétienne ». Ils ont bien voulu répondre à nos questions.

Un droit fondamental méconnu.

On a beaucoup parlé d’immigration pendant les campagnes électorales. Que pensez-vous des politiques européennes en la matière ?

La Déclaration universelle de 1948 reconnaît à tout homme le Droit à la mobilité et à s’installer dans le pays de son choix. La référence à Abraham, dans la Bible, est importante à méditer : il a quitté son pays et, ce faisant, il ouvrait un avenir prometteur. Le Coran s’interroge  : «  Pourquoi ne vous dispersez-vous pas ? » La doctrine sociale de l’Eglise dont nous nous réclamons parle de destination universelle des biens.

La pauvreté ou les troubles politiques peuvent contraindre des personnes à fuir leur pays. L’âge de la communication dans lequel nous sommes entrés fait que le regard qu’un jeune de trente ans porte sur la planète a changé ; il se met à rêver d’une terre où il pourra mieux vivre. On peut comprendre qu’un pays protège le travail de ses ressortissants mais on ne peut admettre que l’Europe méconnaisse ce droit fondamental à quitter sa terre. Les pays d’Occident, la France en particulier, donnent de l’argent aux pays du Maghreb et du Sahel pour qu’ils empêchent leurs ressortissants de franchir leurs frontières. On parlait d’« immigration clandestine » ; désormais on connaît l’ « émigration clandestine ». Il s’agit là d’une atteinte aux droits fondamentaux que sont la liberté de circulation et le droit à la mobilité.

Le CCFD est intervenu auprès des différents partis pour les engager à renégocier ces accords afin qu’ils aient une base multilatérale et respectueuse du droit des personnes.

En réalité, les médias et parfois les partis focalisent autour de ces problèmes de migrations les peurs qui naissent de l’immigration. Plutôt que de considérer l’arrivée des étrangers comme un problème, nous considérons que c’est une chance. Cette conviction nous vient des relations que nous nouons avec nos partenaires. La France ne s’est-elle pas constituée de vagues migratoires successives ?

Un phénomène mondial

Vous voyagez beaucoup et vous constatez que les phénomènes migratoire touchent la planète entière et pas seulement l’Europe. Quelles conclusions en tirez-vous ?

Le phénomène migratoire est un phénomène mondial. Quand on part en Afrique australe, si on prend la peine de plonger dans les bidonvilles, on rencontre des migrants ; on en rencontre encore en Afrique du Sud. Ce pays se libère de l’apartheid, il s’ouvre à la démocratie ; il veut rendre au monde l’aide qu’il a reçue et pourtant il a du mal à accueillir ceux qui viennent y chercher refuge. Les jeunes s’en prennent aux Africains venus du Congo, du Zimbaoué, de Somalie ou d’ailleurs. Partons au Brésil. En ce pays immense, presqu’aussi vaste qu’un continent, circulent des flux de populations impressionnants : des noirs, des hommes et des femmes du Nordeste, des indigènes. Ces foules arrivent dans les grandes villes industrielles qui font du Brésil un pays émergent et fort. Le Brésil aspire à gouverner le monde mais dans les bas-fonds des villes on rencontre les Boliviens, les Péruviens qui ne disposent d’aucun droit : ni logement ni vrai salaire ! Passons en Thaïlande. Dans les forêts du sud du pays, les Birmans vivent dans des conditions infâmes. Les autorités les laissent entrer pour faire tourner les secteurs d’activité qui sont vitaux mais sans les accueillir comme des êtres humains. Ils ont quitté leur pays pour fuir une dictature et ils tombent dans un véritable enfer.

Partout dans le monde,
les migrants se rassemblent

Les migrants sont des témoins du décalage que provoque entre populations la répartition des biens. Nous en faisons le constat dans les tournées que nous faisons partout dans le monde ; les femmes que nous avons vues dans « La Maison de la Bonne Espérance », au Cap ont connu le viol et la violence. Elles sont en quête d’une humanité différente de ce qu’elles trouvent. Leur désir de justice ressemble étrangement à celui des jeunes Birmans qu’on exploite en Thaïlande au mépris des droits élémentaires de la personne humaine. La maladie accompagne les migrants, quel que soit le ciel où on les rencontre. Lorsqu’on reçoit leur témoignage, on prend conscience de l’inhumanité du monde : partout l’écart entre eux et la situation locale est intolérable. Les migrants, font apparaître ces situations d’injustice. Ce sont eux qui révèlent les déséquilibres du monde et qui invitent à la solidarité susceptible de modifier les situations.

La situation des migrants est étrangement paradoxale. Les relations à l’intérieur du globe n’ont jamais été aussi faciles : tout est interdépendant. Avec la mondialisation en quelques fractions de seconde on peut envoyer des messages à l’autre bout de la planète. A côté de cette interdépendance on voit des hommes et des femmes, des familles, tenus à l’écart et interdits de rejoindre un quelconque pays. Les situations des migrants, dans les différents coins de l’univers sont comparables : injustice, inégalité face à l’emploi, rejet. Qu’un pays soit ouvert ou non, on rencontre la même incapacité : les gouvernants ne peuvent faire face à la globalisation.

On devrait pouvoir changer les regards. Il faudrait permettre que se rencontrent tous ceux qui luttent contre ces formes d’injustice tous les acteurs et toutes les organisations pour faire apparaître une façon nouvelle d’aborder le problème des migrations. En 2011, au dernier Forum social à Dakar, nous avons abouti à une vraie synergie mondiale en réunissant des gens venus de Thaïlande, des Philippines, du Mexique, d’Afrique du Sud, de toute l’Afrique de l’Ouest, de tout le Maghreb et de l’Europe. Nous partagions la même ambition. On ne part pas de rien. Nous disposons d’un instrument juridique international reconnu sur une base multilatérale : la « Convention des Nations Unies pour la Protection des Droits des Travailleurs Migrants ». Nous avons là un instrument pour faire naître une prise de conscience collective.

Pouvez-vous nous parler de cette Convention ?

Nous voulons, au CCFD, faire passer cette idée que le droit des migrants n’est pas seulement un problème français mais une réalité internationale. Cette convention des Nations Unies n’est signée par aucun pays européen ; nous souhaiterions que la France soit au nombre des signataires et qu’elle soit locomotive au plan mondial.

Les Français ont tendance à dire : « Notre sécurité passe avant tout! ». C’est oublier que la sécurité est un enjeu du monde. La guerre du Président Bush a entraîné les désordres que l’on sait : Afghanistan, Irak, Somalie, terrorisme ! Ce ne sont pas les étrangers vivant dans les cités qui créent ces situations.

L'intérêt des migrations

Pour en revenir à la « Convention des Nations Unies », elle a été adoptée en 1990. Aujourd’hui, elle a été signée uniquement par les pays du Sud d’où partent les migrants. On ne peut pas dire qu’elle accorde des législations plus avantageuses pour les migrants que celles qu’on trouve en France. Son originalité allie les droits des migrants installés dans les pays d’accueil et le devoir des Etats d’origine à surveiller et protéger les droits de ses expatriés.

Si la France ne la signe pas, c’est sans doute qu’elle a peur que l’on considère son adhésion comme une invitation à venir chez elle. Par ailleurs les Etats européens veulent garder leur souveraineté : « Laissez-nous le droit de contrôler nos frontières et définir qui a ou non le droit d’entrer ». Nous pensons qu’il faudrait que l’ensemble des nations s’organise autour d’un socle de dispositions préparées par le Bureau International du Travail, discutées par les Nations Unies et l’Assemblée générale. L’esprit du texte consiste à dire : « Cessons de faire de ces sujets des affaires de souveraineté nationale. Organisons sa gouvernance au plan multilatéral. » Il faudrait que les gouvernants ne soient pas seuls à s’exprimer. Il faudrait que s’expriment aussi l’Organisation internationale du travail, l’OMS, l’UNESCO, l’Union Européenne. On aimerait entendre aussi l’opinion de la société civile non politique (associations, syndicats, organismes d’Eglise). On aurait trois gagnants. Les pays pourvoyeurs de main-d’œuvre recevraient, des migrants de l’argent utile au niveau du développement du pays et un savoir-faire acquis au cours du temps de migration de leurs ressortissants. Le pays d’accueil, lui aussi serait gagnant ; son marché du travail pourrait profiter d’une main-d’œuvre étrangère accueillie de telle sorte que la cohabitation soit vécue pacifiquement. Enfin le migrant serait gagnant, lui aussi : il serait fier d’avoir subvenu aux besoins de sa famille et de son pays.

Le nombre des pays signataires augmente ; on est passé de trente à soixante-dix et on s’achemine à soixante-quinze.

Tout ceci est encadré par une procédure d’application. Tous les cinq ans, chaque pays qui a ratifié la Convention vient s’expliquer sur la façon dont il l’a respectée devant un Comité des Nations Unies. A cette occasion, la société civile est invitée à réagir devant le rapport du gouvernement. Il y a deux ans, les acteurs de la vie civile algérienne ont réagi devant le rapport du gouvernement en signalant quelques dérives à la frontière algérienne du Mali.

Musulman dans une ONG catholique

Assan, tu es musulman et tu travailles dans une ONG catholique. Est-ce contradictoire ?

Oui, je suis musulman mais j’adhère absolument à la doctrine de l’Eglise à laquelle se réfère le CCFD. Il y a quatre ans le CCFD construisait un rapport d’orientation. Un de ses chapitres concernait la solidarité avec les migrants et la Défense de leurs droits. Au texte construit à partir des contributions de plusieurs personnes, l’aumônier a voulu étayer les affirmations avec des citations d’Encycliques et de passages de la Bible. J’ai fait savoir que j’adhérerais entièrement au contenu du rapport si l’on en supprimait les références bibliques ou ecclésiastiques. Sur le fond, quand le CCFD parle de « la dignité, de l’homme, de tous les hommes », je suis entièrement d’accord. Peut-être est-ce à cause de ma foi musulmane, je ne sais. Quand le CCFD affirme : « Les biens de cette terre ont une destination universelle et nous devons les partager », je reconnais qu’il s’agit là d’une conviction que je partage depuis mon enfance. Je partage vraiment, avec le CCFD, « l’option en faveur des plus pauvres et des plus défavorisés ». Comme lui je pense qu’il faut renouveler la donne pour réaliser un partage à égalité. Je me reconnaîtrais dans ces principes même si je ne savais pas que c’est la doctrine sociale de l’Eglise.

J’ai été chassé de mon pays, quand j’étais étudiant, parce que j’avais participé à une grève. C’était il y a trente ans. Aussi loin que je me souvienne, les personnes qui m’ont aidé étaient des chrétiens. Ils sont devenus des amis ; nous avons milité ensemble. Dans ma jeunesse, la police nous a expulsés d’un foyer où nous menions une grève. Ce sont les Pères Dominicains qui m’ont récupéré. Quand j’ai eu besoin de financement pour me battre avec mes amis, je me suis retrouvé à l’Archevêché de Paris. Lors de nos premières grèves de la faim, un curé nous a donné une salle en nous disant : « Exprimez-vous ! Vous êtes dans la maison de Dieu. Vous avez le droit d’y rester ». Tous ces contacts, toutes ces relations, tous ces événements m’ont conduit jusqu’au CCFD. Est-ce la Foi ? La vie militante m’a conduit et m’a fait ce que je suis.

Générosité, solidarité, fraternité,
des valeurs communes

Et toi, Nina, tu n’es pas musulmane et tu travailles main dans la main avec Assan qui est musulman. Est-ce que cela pose des problèmes ?

Moi je suis protestante. A mon sens la question de l’appartenance religieuse est affaire individuelle. Aussi profondément que je puisse m’interroger, je découvre qu’Assan partage les mêmes valeurs que moi. Nous avons les mêmes ambitions ; elles peuvent s’exprimer en termes de générosité, de fraternité, de solidarité. Cela dépasse largement le fait d’être catholique, protestant, juif ou musulman. Mon travail au CCFD ne fait que conforter ce sentiment-là. Dans toute la zone du Maghreb ou du Sahel, là où l’islam est majoritaire, on a travaillé beaucoup avec des prêtres, Missionnaires d’Afrique. Ils ont beaucoup réfléchi sur les relations avec l’islam. Ils refusent de convertir. Ils veulent avant tout cohabiter avec des populations ne partageant pas la même foi. Ce travail avec des personnes de religions différentes mais animées par les mêmes valeurs s’accompagne d’un vrai respect mutuel. Il s’agit d’un véritable partage. A la dernière rencontre régionale qu’on a eue au Maroc avec nos partenaires de la zone, au début de la réunion et à la fin, on a récité le Notre Père et la Fatiha. Tous les prêtres présents étaient capables de réciter la Fatiha et tous les musulmans étaient capables de réciter la prière des chrétiens.

Assan Ba et Nina Marx



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