Le migrant retraité en France

Khady Etienne
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Khady Etienne, arrivée du Maroc à l’âge de 30 ans, a été profondément touchée par la solitude des chibanis qu’elle découvre en France. Elle nous livre ici, par touches, un portrait de leur vécu mais aussi des actions qui sont entreprises pour rompre leur isolement.

La dimension économique de l’immigration a fortement marqué la structure de ces générations, essentiellement masculines. Ces migrants vivent seuls, sans avoir réussi à regrouper leur famille.

À Paris, une implantation importante de maghrébins et d’Africains Sub-sahariens âgés de plus de 60 ans se trouve dans le Nord Est parisien. Moncef Labidi, sociologue, directeur du café social Ayyem Zamen décrit la situation ainsi :

« Ces migrants ne sont peut-être pas sortis indemnes d’un séjour de trente ans en France. Ils ont voulu jouer sur les deux tableaux et hélas, ils ont également perdu sur les deux tableaux. Pas vraiment chez eux, là-bas au « bled », pas vraiment intégrés au tissu social français malgré des décennies de présence. Ils craignent de devenir encombrants. Ils n’avaient certes pas prévu de vieillir ici. Mais, nous n’avions pas prévu qu’ils puissent vieillir ici. (1)»

Les personnes âgées, que caractérisent les cheveux blanchis par le temps, sont surnommés les « chibanis », les vieux aux cheveux blancs, par les jeunes maghrébins, premiers à s’émouvoir sur du sort de leurs aînés et à l’exprimer de manière épineuse.
La retraite annonce le vieillissement. Par extension « chibanis » désigne tous ces retraités maghrébins venus après la seconde guerre mondiale.

Le déclic de s’engager auprès des séniors démarre à la suite de la canicule de l’été 2003, et s’est intensifié durant la pandémie du Covid.

Concernant la population issue de l’immigration, cette question a toujours été au coeur des préoccupations. Différentes associations se sont créées au fil du temps pour accompagner les anciens, sous forme de tontine, le plus souvent. Ces ruraux de la vielle époque, ne désirent être redevables à personne.

Avant de poursuivre, penchons-nous sur le parcours courageux de ces hommes et femmes, venus améliorer leur situation en même temps que celle de leurs villages respectifs au pays.


L’espérance du retour : Un désenchantement

« La migration vers la France était essentiellement une migration de travail, …au terme de laquelle on devait revenir au pays… Cela a été perçu comme cela pendant longtemps, et par la France et par les maghrébins eux-mêmes. (2)»

Toute leur vie, une seule préoccupation anime tous les immigrés de la première heure, celle de repartir au bled. La tradition veut que l’on vieillisse et que l’on décède chez soi.
Et en effet, le gouvernement français pense que ces « chibanis » vont, sans aucun doute, retourner dans leur douar.

Malheureusement, à cette époque, les premiers immigrés n’ont pas la possibilité, en résidant auprès des leurs au pays d’origine, de percevoir leurs pensions intégrales en dehors de l’hexagone.
Ce n’est pas à l’ordre du jour, du moins pour l’instant.
Cependant, les pensions de retraites provoquent, une forte baisse de revenus.
Alors, que faire ? Partir quand même ou rester en France pour percevoir les pensions de retraite ?

Parallèlement, dans les pays d’origine, aucune structure n’existe pour accueillir ces retraités qui nécessitent des soins, parfois lourds. Cela les oblige à rester en France.
Les familles, quant à elles, les voyant venir en vacances, les bras chargés de présents, ne conçoivent pas la précarité de leur vie en exil. Dans les villages, chacun les imagine ne manquant de rien, en France. Eux-mêmes, habités par la gêne d’avoir failli à leur mission, celle d’honorer le village qui les a choisis pour sa survie, en contrepartie, les comblent de cadeaux, preuve de leur fidélité et d’une soi-disant prospérité.

De plus, cette migration est fatiguée de se retrouver déphasée en permanence dans les allers retours entre la France et le pays. Revenir et constater qu’elle n’a plus sa place dans les familles, habituées aux longues absences, les désoriente et les chagrine le plus. Plus rien ne favorise véritablement le retour tant espéré. Résignés, ils préfèrent rester. Les vieux célibataires, quant à eux, préfèrent finir leurs jours dans un espace familier. Ils ont créé des liens amicaux au sein de leur lieu de résidence et ne tiennent pas à les briser et subir un second déracinement. Talonnés de près par une seconde vague d’immigrés qui bénéficie du regroupement familial, ils passent inaperçus, invisibles pour chacun.

Les uns vivent entourés de leurs enfants, les autres se retrouvent avec leurs compagnons de route. Tous mènent une vie paisible et discrète, avec pour compagne, la solitude et la précarité. Derrière l’apparence du bonheur, se cache un goût de laurier-rose, symbole de l’amertume, constate Abdelmalek Sayad, l’un des tous premiers sociologues à s’intéresser à ces « chibanis ».

Voilà, nos petits vieux face à une retraite sans rêve et un présent nostalgique. Mais, n’est-ce pas le lot de toute cette génération d’après-guerre, dont les enfants et les petits enfants délaissent les villages français pour les grandes villes, dans un monde qui bouge ?

Inconnus des agents recenseurs et des acteurs sociaux, à qui ils préfèrent ne pas répondre, ils passent à travers les mailles des travaux des statisticiens et des professionnels du réseau gérontologique. En tout état de cause, ils pensent que ce n’est pas pour eux.

De cette façon, par crainte de l’inconnu, ils se créent eux-mêmes « un chemin semé d’embûches » par leur méconnaissance des services destinés aux séniors.

Bien entendu, le secteur associatif, GISTI et CIMADE, ne le sachant pas et ignorant leurs existences, les néglige. C’est là que le bât blesse, ils ne se rendent pas compte qu’il n’y a aucune demande de la part de ces retraités.

Dans cette transparence, sans famille, sans autres relations que, celles vieillissantes du même foyer, se trouve l’une des raisons du délitement de leur santé, tant physique que psychique. Quelquefois, on les rencontre assis sur un banc, au détour d’un square, devant un café à taper le carton ou à discuter du bon vieux temps. Par ailleurs, au bled, les grands-parents vieillissent, les jeunes retraités aimeraient s’en occuper, mais ne peuvent se résoudre à délaisser enfants et petits-enfants, ce lien est encore plus fort. La souffrance de l’exil, tant décriée par les sociologues maghrébins, réside là, dans la reprise des allers retours et «  d’une double présence ici et là-bas, ils (re)passent à une double absence ». Démunis face à l’absence d’informations, ces parents comptent sur l’aide de leurs enfants.

Néanmoins, les observateurs n’ont pas su analyser les conditions de vie et les conséquences psychologiques, de ces vieux retraités. Vers 1975, l’un d’eux pourtant, confie avoir soulevé « le voile d’illusion rassurante » sur un éventuel retour. Ni les immigrés ni les pouvoirs publics n’y ont prêté une grande attention.

Malgré tout, plusieurs associations un peu partout en France, se sont penchées sur le sort de ces séniors. Marion Lory, responsable de Nantes Entour’âge, pilote les actions menées pour adoucir le quotidien de ceux qui le désirent, tel que les visites de bénévoles des « Petits frères des pauvres », l’accès aux soins, l’aide à domicile, le portage de repas sans porc, des activités de loisirs.

La démarche les touche et de nombreux bénévoles y prennent part. Des ateliers socio-linguistes mettent en place un cours « français au quotidien », ce qui permet de faire venir dans un lieu institutionnel, ces retraités pour être écoutés, confie Christine Bouyer, coordinatrice de l’Accord à Nantes. Les interventions très personnelles, entendues lors des ateliers, reflètent les préoccupations générales des migrants âgés :


Moyens de subsistance

« Est-ce qu’un jour on va réussir à vivre de notre retraite si on vit longtemps ? Je suis arrivée tard en France, j’ai travaillé comme employée de maison sans être déclarée. On ne savait pas, on était venu seulement pour une période, on ne se projetait pas. »
Alexandrina Machado, d’origine portugaise venue avec son mari.

Isolement

« En Afrique, vous avez une grande famille autour de vous. Pas ici. Dans cet isolement, ce vieillissement, j’ai besoin de lieux pour échanger, pour rencontrer des gens avec qui se réconforter, se rendre visite... pour bien vieillir ! »
Odette Ovaga, d’origine congolaise.

Connaissance des services

« Un clic, non, je connais pas. Ça sert à quoi ? »
Un vieux monsieur d’origine maghrébine.

Barrière de la langue

« Ma belle-mère vit chez nous en ce moment, dans notre appartement. Je vois sa frustration par rapport à la langue : elle aimerait pouvoir échanger avec les professionnels de l’aide à domicile qui viennent la voir. Ça l’aiderait à lutter contre sa souffrance et son isolement. Un gros travail est à faire pour nos anciens, on vient d’eux !»
Un homme d’une quarantaine d’années d’origine maghrébine.

La maison de retraite

« Dans mon pays, les personnes âgées ne sont jamais abandonnées, on s’occupe d’elles jusqu’à la mort. Mais mes enfants sont ici comme vous, ils n’ont pas le temps. Mais moi je ne me vois pas aller en maison de retraite. En plus, c’est payant, ça demande des moyens. Il faut que je retourne au pays coûte que coûte. »
Nsiah Michel d’origine ghanéenne.

La mort

« Moi je ne retournerai dans mon pays que morte. Ici je suis avec mes enfants. Quand on aime tout le monde, on n’a pas de problème.»
Une très vieille dame d’origine algérienne.


Suite à ces inquiétudes, d’autres ateliers voient le jour avec des thèmes comme,
Bien vieillir : quelles ressources ?
Perte d’autonomie : quels recours?
Mourir : quels choix ?

Ces acteurs vont plus loin dans la réflexion puisque « Ce matériau doit servir à interpeler la municipalité sur les priorités à flécher politiquement ». Car à plus long terme, le but est bien que ces réflexions se transforment en actions. Le début d’un long travail d’adaptation. À double sens.

C’est en 2003, en partenariat avec la mairie de Paris, que le café Ayyem Zamen, - Les temps anciens ou Le bon vieux temps- a ouvert ses portes à Belleville. En 2008, un autre suivra à la Goutte d’Or dans le 18e. L’objectif de cette association est de faire de cet endroit, un lieu d’écoute, d’information et surtout de partage. Un écrivain public bénévole vient offrir ses services pour aider ces retraités à constituer leur dossier, à remplir leurs papiers ou simplement écrire une lettre. Des assistantes sociales veillent sur leurs besoins et surveillent leurs budget, leur évitant les impayés et le surendettement.

Cette expérience témoigne de la nécessité de l’aide aux séniors et entraine d’autres initiatives. La « Coopérative Chibanis », dernière née, est un projet collectif inclusif, dont le cadre s’intéresse à plusieurs secteurs, les familles et les aidants, souvent ce sont leurs enfants, les acteurs sociaux, et les chercheurs. Parallèlement, ce dispositif sensibilise les plus jeunes pour accompagner les personnes âgées issues de l’immigration.

Pendant la pandémie, les plus jeunes, souvent les petits-enfants, se mobilisent et créent de leur côté des associations adossées à des structures déjà existantes pour venir en aide aux personnes fragiles avec peu de moyens, et de ce fait, encore plus isolées durant le confinement. La plupart de ces personnes ne lisent pas les affichettes renseignant sur les contacts placardées dans les entrées d’immeubles et utilisent encore moins l’outil informatique. L’isolement devient leur quotidien.
Ils sont d’autant plus vulnérables qu’en cette période de confinement beaucoup de démarches et de services se font via internet.

Par ailleurs, ces générations, porteuses de tradition culturelle et religieuse de leurs pays d’origine, sont déconcertées par la jeunesse actuelle qu’elles ne comprennent plus. Ils supportent mal la perte identitaire de leurs enfants et petits-enfants.

Ces derniers ne se reconnaissent pas dans ces cultures, elles leur semblent archaïques. Ce qui importe pour ces jeunes de tous horizons et vivant en France, c’est de se construire une nouvelle identité en limant, voire en gommant toutes les spécificités liées à la culture des anciens.

C’est d’abord, un problème générationnel, les anciens ont du mal à céder la place aux plus jeunes, ceux-ci peinent à se faire entendre de leurs parents et grands-parents. Cette nouvelle identité qu’ils essaient de se construire leur permettrait peut-être, de s’insérer plus facilement dans la société française dont, finalement, ils sont issus. Eux, le croient fermement, mais pas les séniors, c’est une part d’eux-mêmes qui meurt avec cette nouvelle situation identitaire. Alors, ils redoublent d’attention envers « ces chibanis » pour leur signifier ainsi qu’ils n’ont pas perdu les valeurs humanitaires transmises.

Khady Etienne

1- Cité dans MAIRIE DE PARIS, fiche Délégation à la Politique de la Ville et à l’Intégration à Paris, mai 2010, p. 2.
2- Omar SAMAOLI, « Immigrants d’hier, vieux d’aujourd’hui : la vieillesse des maghrébins en France », Hommes et Migrations, n° 1126, novembre 1989, p. 9-14 (ici p. 9)

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