A propos du baptême de Magdi Allam

Lettre ouverte de la Maison Islamo Chrétienne avec le GFIC

La Maison Islamo Chrétienne s'interroge

Mustapha Cherif pose la question de confiance au Pape

Lettre ouverte de la Maison Islamo Chrétienne avec le GFIC



Des chrétiens de "la Maison Islamo Chrétienne" se sont joints au Groupe des Foyers Islamo Chrétiens pour signer une lettre ouverte à Benoît XVI. On en trouve un écho dans le journal "la Croix" du 31 mars 2008:

Dans une lettre, signée jeudi 27 mars, une quinzaine de membres du Groupe des foyers islamo-chrétiens et de la Maison islamo-chrétienne se disent par ailleurs « douloureusement surpris et profondément heurtés » par la décision de Benoît XVI de baptiser « un musulman converti, connu en Italie et très agressif envers l'islam ».

Déplorant la « grande publicité » donnée à cette conversion, ils soulignent qu'au contraire, une « telle démarche » ne peut « se concevoir que dans des conditions qui limitent au maximum le risque de choquer et blesser », autrement dit « dans la discrétion », et « en évitant tout dénigrement de la communauté d'origine ».

De son côté, et tout en considérant son « baptême de la main du pape comme le don le plus grand que la vie (lui) a accordé », Magdi Allam a déclaré samedi, dans le journal Corriere della Sera, souscrire « totalement » à la déclaration du porte-parole du Saint-Siège « qui fait la distinction entre (s)es idées personnelles et la position officielle de l'Église ».

Anne-Bénédicte HOFFNER


La Maison Islamo Chrétienne s'interroge



« L'Eglise regarde avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu Un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s'efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle.»

Tous les évêques catholiques signaient ce texte voici bientôt 43 ans, lors du Concile Vatican II.

Ce texte est-il oublié aujourd'hui pour qu'un nouveau baptisé se croie autorisé à insulter l"islam en entrant dans l'Eglise ? Benoît XVI savait-il qu'en donnant de léclat à la conversion d'une personnalité musulmane il heurterait la sensibilité des musulmans du monde entier ?
Nous nous adressons à tous nos amis chrétiens : qu'ils n'hésitent pas à dire leur tristesse devant cet événement qui retarde l'avènement d'une véritable estime mutuelle.
Nous nous adressons aussi à tous les musulmans soucieux de dialogue ; nous leur demandons de comprendre la peine des chrétiens qui voient les difficultés de leurs frères et soeurs vivant en pays musulmans.

Nous profitons de cette occasion pour déplorer, une fois de plus, un système de relations internationales qui abîme la solidarité traditionnelle entre chrétiens et musulmans des pays arabes. A ce propos, nous regrettons, autant que la publicité malheureuse faite au baptême de Magdi Allam, les paroles d'Aref Ali Nayed. Ce dernier, porte parole des 138 personnalités musulmanes, fait porter au pape la responsabilité d'une situation qui dépasse infiniment les intentions du Vatican.

Que ces points noirs, pourtant, ne nous empêchent pas de nous réjouir du texte adressé par 138 savants musulmans aux différentes autorités chrétiennes, de la décision romaine d'instituer un Forum de concertation au Vatican en novembre prochain et de l'initiative musulmane d'organiser au niveau de l'ONU une rencontre mondiale interreligieuse.


Mustapha Cherif pose la question de confiance au Pape



A la suite du baptême de Magdi Allam, la nuit pascale, par Benoît XVI, Mustapha Chérif a écrit au pape la lettre suivante pour sauver le dialogue.

« Je viens d'apprendre avec étonnement Saint Père, Benoît XVI, que vous avez baptisé, de manière spectaculaire, pendant la vigile pascale un musulman converti au christianisme, journaliste italien d'origine égyptienne. Je défends la liberté de conscience, que l'islam respecte, sans aucune ambiguïté, contrairement aux lectures fermées. Mais une nouvelle fois, je suis consterné, par le fait qu'en personne vous baptisiez un individu qui depuis des années est connu pour ses attaques virulentes et haineuses contre l'islam, pas seulement contre les dérives des extrémistes. Pour preuve, il poursuit publiquement ses diatribes violentes le lendemain même de sa conversion. Je pensais que l'on devenait chrétien pour apprendre à aimer tous les frères comme Jésus.

Je crains une nouvelle affaire qui donnera de l'eau au moulin de tous ceux qui veulent opposer et diviser les hommes de bonne volonté et les peuples et conforte ceux qui prétendent que le dialogue sert à justifier des postures de diversion et de puissances hégémoniques. Pourtant le dialogue est fondé sur le bon sens; pour être à la hauteur de ce que nos sources de vie exigent. Certains partisans du dialogue désespérés vont se demander si cela vaut la peine de continuer à oeuvrer dans le domaine du dialogue islamo-chrétien.

Alors que depuis l'audience privée que vous avez eu la générosité de m'accorder, des progrès substantiels ont été enregistrés, comme votre visite réussie en Turquie; votre sage décision de rétablir le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux; et la décision, sans précèdent, commune avec notre groupe des 138 savants musulmans, d'instituer un Forum de concertation, dont la première réunion aura lieu au Vatican en Novembre prochain. Et depuis lundi dernier cette initiative positive du Roi d'Arabie, annoncée à Riad en ma présence et d'autres théologiens, d'organiser au niveau de l'ONU une rencontre mondiale interreligieuse pour unifier nos positions face aux défis communs. A chaque fois qu'on remonte une pente, une nouvelle maladresse vient remettre en cause ce qu'on avait péniblement reconstruit. Notre destin est il celui de Sisyphe?

Pourquoi Saint Père, alors que je reste convaincu de vos louables intentions, vous donnez parfois l'impression que nous entrons dans une nouvelle "guerre de religions" où le nombre de convertis servira de comptage des points. Cet egypto-italien a tout à fait le droit de vouloir devenir catholique et l'Eglise se doit d'accueillir cette recherche: mais de là à ce que ce soit le souverain Pontife qui le baptise, en sachant sans doute sa ligne de conduite, il y a la un signe fort inquiétant.

Des croyants musulmans et chrétiens, vont penser que c'est une forme de provocation délibérée. Une, ou cent, ou mille conversions ne sauront masquer les problèmes de fond que vit l'Eglise en particulier et d'autres soucis que connaît chaque communauté. En ce qui concerne la musulmane, prés d'un milliard et demi, les mosquées ne désemplissent pas, mais je reconnais ses difficultés et le fait qu'elle n'est pas aujourd'hui à la hauteur de l'Appel qui la fonde. Cependant, se pose la question de confiance : ne concevez vous les relations avec les musulmans qu'en termes au mieux de compétition et au pire en termes d'affrontements ? Ou bien voulez vous vraiment, comme je le crois, non pas favoriser la polémique stérile, la confrontation, la fuite en avant, mais vous placer sur le terrain des échanges, du dialogue franc et respectueux; voire la saine altercation, pour assumer les difficultés, avec discernement, faire reculer les discriminations ; les préjuges et les violences visibles sous des formes flagrantes ou insidieuses au Nord comme au Sud , et partant contribuer à apprendre à tous à relever les défis du vivre ensemble ?

La grandeur de votre fonction suppose que vous donniez l'exemple sur la scène historique au sujet de la relation entre les grandes communautés abrahamiques. Sachez Saint Père que rien ne saurait entamer notre détermination à accueillir l'autre sans conditions. Des Musulmans, des juifs, des chrétiens et des humanistes, à mon avis la majorité silencieuse, savent qu'il n y a pas d'autre alternative sage à la coexistence; au commun qui nous précède et nous interpelle. En notre époque qui est marquée par des risques sans précèdent de déshumanisation. En réaction, des dérives sectaires prolifèrent ainsi que la folklorisation de la religion. Aucune communauté ne peut à elle seule rouvrir l'horizon. Rien n'est donné d'avance et la complexité de notre temps est comme insaisissable. Mais si nous savons être ensemble à l'écoute, il reste un avenir. Haute considération,

Mustapha Cherif,
ancien ministre algérien, penseur, partisan du dialogue interreligieux et des civilisations.
Vendredi 28 Mars 2008