L'islam face aux débats actuels sur la liberté d'expression

Mustapha Cherif
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Mustapha Cherif est philosophe et islamologue. Tout en s’inquiétant des « dérives » d’une expression anti-religieuse, il rappelle que l’islam invite les croyants à répondre par « le bon comportement ».

L’islam est clair : la liberté est fondamentale et il n’y a pas de liberté sans loi, sans éthique. Les libertés de conscience, de pensée, d’expression, deviennent fortes lorsqu’elles tiennent compte de la dignité humaine et des finalités.

Il ne s’agit pas d’amoindrir ce droit, parce que certains sont choqués, ni d’introduire une forme d’ordre moral ou d’ordre religieux, mais d’appliquer la Loi, qui implique des droits et des devoirs. Être humain, citoyen, militant de la liberté signifie aussi s’ouvrir, écouter, partager.

L’humour, la satire, la moquerie, la critique, et nommer les choses, n’interdisent pas d’accepter la discussion et de respecter la loi. Des limites sont énoncées par elle, interdisant d’injurier ou d’inciter à la haine. De plus, la liberté d’expression doit être appliquée pour tous. Car la critique des discours de l’amalgame que subissent les musulmans est comme refusée par certains.

Une liberté d’expression sélective, à double vitesse, est contreproductive et dangereuse. Elle produit le ressentiment. La société doit respecter ses minorités, en conséquence, elle devrait leur permettre l’accès à des canaux d’expression démocratique, qui diminueront l’impact désastreux des réseaux sociaux instrumentalisés et des prêches de radicaux.

L’insulte, la vulgarité obscène, l’huile sur le feu, tout comme l’idéologie « fondamentaliste », perturbent l’espace de respect et de compréhension mutuelle. Dénoncer la stigmatisation ce n’est pas vouloir imposer une loi religieuse, mais la loi profane du peuple souverain.


Principes universels

L’islam, pour l’essentiel, dit la même chose que les lois civiles et la philosophie sur les libertés fondamentales. Il ne faut pas se méprendre. L’illettrisme et l’inculture de nombre de populations à travers le monde sont un problème socio-politique et non point religieux.

La pédagogie n’est pas démagogie, ni agressivité, mais intelligence et bonté. Elle s’appuie sur la modération et des médiations. Elle s’adapte à la psychologie des publics pour donner à penser, cultiver et rendre meilleur. Vouloir imposer par la force et le militantisme idéologique une conception particulière de la liberté et refuser le débat est voué à l’échec.

Les défenseurs intransigeants de l’expression qui provoque ne semblent pas mesurer les conséquences de leurs actes dans le cadre de la mondialisation. Alors que l’histoire mondiale montre que l’ethnocentrisme et la loi du plus fort sont contre-productifs et néfastes, l’extrémisme, des uns et des autres, veut imposer sa conception particulière du sacré.

Dans les pays hyper-sécularisés, les religions sont perçues comme une borne contre les libertés. Cela peut arriver, mais ce n’est ni systématique ni intrinsèque. Suite aux actes de violence commis au nom de la religion, certains appellent à la résistance pour défendre disent-ils la liberté d’expression et les valeurs humanistes. Face à un problème réel, celui de l’extrémisme violent, le diagnostic est erroné. Le musulman est autant attaché à la liberté d’expression et à l’humanisme que quiconque.

Que le veuillent ou non certains, le fait religieux et l’attachement à l’éthique font partie de l’humanité et des cultures du monde. La religion n’est pas une maladie infantile de l’humanité. La reliogiophobie et l’islamophobie sont une dérive aussi grave que le fanatisme religieux. En cherchant à rendre neutre l’espace public, livré par contre à la marchandisation, ils portent atteinte à la paix, à la laïcité, à la dignité humaine. C’est une forme de nihilisme.


Répondre par la maitrise de soi et le bon comportement

Les musulmans condamnent l’atteinte à la liberté d’autrui, tout en critiquant les discours racistes et les expressions outrageantes, considérées comme blessantes et offensantes, gratuitement méchantes, vulgaires. D’autres musulmans affirment qu’il faut les ignorer et rappellent en particulier que le Prophète est inatteignable, au-dessus de tout. Le bon comportement pour défendre le Prophète est celui de la miséricorde et de la patience.

Il est important de souligner que le terme de « blasphème » n’existe pas en langue arabe, ni dans le Coran. Ce dernier demande de ne pas insulter : « n’injurie pas ceux qui ne sont pas le Divin et auxquels ils adressent leurs prières, de crainte qu’en retour ils n’insultent Dieu par vengeance et pure ignorance » (6 -108) L’insulte, (shatm) et l’injure (sabb) sont prohibés.

Dieu encourage les musulmans à ignorer les polémistes et à faire preuve d’intelligence et de retenue : « Lorsque vous entendez que l’on renie les versets de Dieu et que l’on s’en raille, ne vous asseyez point avec ceux-là jusqu’à ce qu’ils entreprennent une autre conversation. Sinon, vous serez comme eux. » (4-140) Le Prophète disait que la punition de ceux qui injurient Dieu et ses symboles était inutile.

Le bon musulman sait qu’il ne faut pas accorder d’attention aux injures et confusions proférées par des médias ou des polémistes politiciens ou intellectuels, mais il est choqué d’entendre des propos maladroits à des fins électorales de responsables politiques censés rassembler et protéger les minorités, plutôt que jeter le trouble et de diviser la communauté nationale.

Les caricatures ne sont qu’un aspect infinitésimal du problème qui est celui de la désignation de l’islam comme un problème et du musulman comme une menace. Appeler à discerner, à ne pas faire d’amalgame et ne pas stigmatiser n’est ni une coquetterie, ni une tactique.

C’est primordial pour isoler les radicaux et gagner l’appui des populations musulmanes. C’est la stratégie efficace. Il sera plus aisé de convaincre que la liberté d’expression n’est pas l’anti-religion et le mépris des minorités.

L’islam authentique, du juste milieu, en son cœur la mystique du soufisme, résiste aux dévoiements et représente la majorité des musulmans. Nous sommes loin de la fin de cet islam tolérant, paisible et populaire, malgré les avancées du rigorisme.

La religion ne peut être incriminée quand on l’utilise comme un masque. Elle ne peut être souillée. L’Émir Abdelkader l’Algérien, qui a inspiré Mandela, qui a fondé le droit humanitaire dans la fidélité aux préceptes du Prophète et sauvé des milliers de chrétiens à Damas en 1860, disait dans son ouvrage « Lettre aux Français » : « Le musulman est parfois une manifestation contre sa propre religion. »


Interconnaissance et coexistence

Les croyants éclairés savent que « Dieu est Miséricorde » et que le Prophète est envoyé comme miséricorde. Le Coran exige de respecter la liberté d’expression et le pluralisme. Le meilleur croyant, dit-il, est celui qui, pieux et compatissant, est le plus utile à l’humanité.

Le respect de la liberté est fondamental : « Nulle contrainte en religion  » (2-256) ; « Si ton Seigneur l’avait voulu, auraient cru tous ceux qui sont sur Terre sans exception. Est-ce donc toi qui pourrais contraindre les hommes jusqu’à ce qu’ils deviennent croyants ! » (10-99) ; « Dis : La vérité émane de votre Seigneur. Quiconque le veut, qu’il croie, quiconque le veut qu’il mécroie. » (18-29) Il est possible d’être citoyen tolérant tout en pratiquant la religion islamique.

La tolérance est cardinale : « Dis : ô dénégateurs ! Je n’adore pas ce que vous adorez, vous n’adorez pas ce que j’adore (...). Vous avez votre religion et j’ai la mienne. » (109-1 /6). Il est demandé de bien agir : «  Repousse la mauvaise action par ce qu’il y a de meilleur. Celui qu’une inimitié séparait de toi deviendra alors pour toi un ami chaleureux » (41, 34). Le respect de la diversité est central et fait partie du mystère du projet Divin : « Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait des humains une seule communauté. » (11-18)

L’heure est au dialogue et à la pédagogie. Interconnaissance et coexistence : « Nous avons fait de vous des peuples et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux. » (49-13) Éduquer, expliquer la religion et la liberté est nécessaire, mais non pas suffisant. Il y a lieu d’assurer la justice, l’équité et l’égale dignité, afin que la paix advienne. C’est un enjeu civilisationnel.

Mustapha Cherif

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