Curé à Asnières
Diversité des
populations
Pour répondre à l'invitation de "la Maison Islamo Chrétienne" et vous parler de quelques aspects de ma vie
de prêtre en banlieue, dans des quartiers populaires, je vous invite à venir chez moi. Vous prendrez le métro ligne
13 direction Asnières-Gennevilliers, vous descendrez avant le terminus ,à la station "Les Courtilles". Il y a toujours
beaucoup de monde sur cette ligne de métro. Vous aurez déjà un aperçu de la diversité des
populations que vous retrouverez dans les quartiers de la paroisse.
Sortant du métro, sept minutes de marche à pieds nous séparent de la maison. Le temps de faire connaissance!
Sur le trajet, si vous êtes d'origine du Maghreb, vous ne serez pas trop dépaysés. Sandwicherie, pizzeria, traiteur, triperie,
boucherie, charcuterie, tous ces commerces sont halals. Vous admirerez le joli magasin de mode féminine "L'élégance Marocaine";
vous passerez devant la libraire présentant des livres, vêtements et articles divers liés à la religion musulmane,
sans oublier les coiffeurs toujours animés et l échoppe «taxiphone - internet» pour communiquer avec l'étranger.
Seul le petit restaurant "Le tire bouchon" garde des racines bien gauloises.
Des jeunes désoeuvrés
Nous ne longeons pas que des boutiques. Devant cet immeuble HLM en brique rouge,
il y a souvent des jeunes désoeuvrés qui "soutiennent les murs". Geneviève, une ancienne du quartier, avant de
monter au 6° étage, s'arrête toujours pour leur dire un mot, demander des nouvelles d'un voisin de palier qui
est en prison ou de la santé de la voisine. Depuis 3 ans, des locataires de cet immeuble se retrouvent chaque
année dans la cour pour la fête des voisins et étant donné la taille de l'immeuble, cela demande des bonnes volontés.
Un peu plus loin, c'est un vieil immeuble insalubre. C'est là qu' après avoir frappé à 5 portes, j'ai retrouvé ce couple
Cap-Verdien qui venait d'accueillir leur fille de 15 ans, jusque là restée au pays avec une grand mère. Le papier
peint de la salle à manger se décolle à cause de l'humidité et du manque d'aération. Ils sont 4 dans deux toutes
petites pièces. Le mari est maçon, depuis dix ans en France et toujours sans papiers mais sans avoir jamais connu le chômage.
Sur la droite, la Cité des Courtilles. "Quand nous sommes arrivés là en 1955, ce fut un vrai bonheur" raconte ce monsieur
venu préparer l'enterrement de son papa. "Nous habitions à 5 dans un minuscule logement à Paris 18°. Venir à Asnières,
nous visiter le dimanche, c'était venir à la campagne. On a dû présenter aux HLM un certificat de moralité pour obtenir
ce logement. Aujourd'hui le quartier a bien changé, on a du mal à s'y retrouver." C'est pourtant le même bonheur aujourd'hui
pour cette maman camerounaise qui arrive là, seule avec ses 3 enfants. Depuis 3 ans, elle passait de foyer en chambre d'hôtel.
Si la cohabitation n'est pas toujours simple pour certains anciens qui ont du mal à vivre ces changements et ce grand
mélange de populations, ce n'est pas le cas de tous. Dans ce contexte la rencontre autour d'un thé de quelques femmes
du quartier, françaises et maghrébines, a toute son importance. Une fois par an elles font ensemble
une sortie laissant aux maris la garde des enfants !
Au Club
de soutien scolaire
Nous arrivons à la place de la République. Si c'était mardi, je vous aurai emmené à droite, au Club de
soutien scolaire. Sachant que j'avais passé dix ans en Amérique Latine, Chantal ma demandé de venir pour un
coup de main en espagnol. En fait, c'est surtout le français, l'histoire ou les maths que je redécouvre aujourd'hui
avec les ados du collège; avant de se quitter, on parlera des activités du mercredi, des vacances en Algérie, au Maroc
ou au Mali, de la punition collective suite à une agression au collège, de la fierté d'arriver en finale du championnat de Volley.
Passée la petite place, nous tournons à gauche et c'est la rue de l'Abbé Lemire. Nous passons devant la mosquée
Al Hidaya en construction. Il y a deux ans, vous auriez encore vu à cet endroit l'ancienne petite chapelle qui leur
servait de salle de prière et au sommet de laquelle le croissant islamique avait remplacé la croix. C'est en effet
un terrain de la paroisse qui a été mis à disposition puis vendu il y a près de cinquante ans à la communauté musulmane.
Cela montre les liens qui se sont tissés entre nos deux communautés de croyants. Je bénéficie de cette histoire commencée
longtemps avant moi ; je suis monté dans le train en marche, mais, lorsque nous participons à une fête à la mosquée avec
quelques chrétiens, l'accueil est toujours chaleureux.
Encore 50 mètres, c'est la maison paroissiale et l'église.
Le temps d'écouter
Peut-être vous dites vous qu'il serait temps d'aborder le sujet sur le prêtre. Pourtant, être prêtre dans des quartiers
populaires, tout ce que j'ai dit en chemin précédemment en fait partie. Être prêtre, cela commence dans la rue :
ouvrir les yeux, aller à la rencontre des gens, ne pas en rester à la surface visible des visages et des façades,
les rejoindre dans ce qu'ils ont de meilleur. Je parlerai ici de moi ; certes, les visages des prêtres sont différents
mais je sais que nous sommes un nombre certain en quartiers populaires, en monde ouvrier, à partager cette manière de
voir et de vivre. Cela, je le dois autant à la manière de faire de Jésus dans l'évangile qu'à des gens comme Michel,
un militant chrétien ouvrier, père de famille qui me disait un jour : Depuis que je suis militant syndicaliste,
je ne marche plus aussi vite quand je me déplace dans l'usine. Il prenait le temps d'écouter, de s'arrêter.
Lire dans la vie quotidienne ce qui fait la vie des hommes et des femmes avec leurs joies, leurs angoisses et
leurs raisons de vivre, c'est devenu une dimension essentielle de ma vie d'homme, de croyant et de prêtre, de ma vie en Eglise.
Si, avant d'être un bâtiment, un clocher, l'Eglise est d'abord une communauté de croyants, l'église de la rue du
Ménil est aussi un point de repère, un lieu de rassemblement, principalement le dimanche avec la communauté chrétienne.
Ce jour- là, le prêtre est plus repérable pour les chrétiens au cSur de la prière de la messe. Mais ce rassemblement est
d'abord celui des baptisés et il est important que des personnes puissent témoigner de leur foi vécue en lien avec les
réalités de nos quartiers: les souffrances et les trésors d'humanité. Il revient ensuite au prêtre de dire la prière
de louange à Dieu, notre Père, pour ses merveilles, pour ce que Jésus-Christ a fait, pour le souffle que nous donne son Esprit.
On ne peut parler du prêtre sans parler de cela. Tout le service assuré par lui trouve ici sa source, sa raison d'être et son aboutissement.
Louange à Dieu
Se nourrir de la Parole de Dieu lue dans la Bible et reconnue dans nos vies suppose un vrai travail de compréhension
des textes afin d'en dégager le sens pour les hommes aujourd'hui. C'est aussi le travail à entreprendre pour accueillir
ce qui fait la vie de ces personnes qui viennent du monde entier, leur histoire, leur culture. Nous nous retrouvons
régulièrement avec d'autres prêtres et des chrétiens pour réfléchir sur les événements qui nous entourent ; nous faisons
appel à des personnes maîtrisant les sciences humaines. Cela nous permet d'orienter notre travail
avec les différents groupes de chrétiens qui composent la communauté.
Je passe du temps aussi avec les familles pour célébrer des fêtes qui accompagnent les grands moments de leur vie :
baptêmes, mariages, enterrements. Ce sont autant d'occasions pour échanger et se former. "Ce baptême fait de vos enfants
des fils et filles de Dieu; et vous, parents, que faites-vous pour que le monde qui vous entoure soit plus juste, plus fraternel?"
Aussi quand ce papa venu préparer le baptême de son second enfant me répond :
"Cette année, nous avons rejoint l'association des parents d'élèves de l'école de notre aîné",
pour moi c'est le bonheur de voir que le baptême s'accompagne d'une prise de responsabilité. Entrer en relation
avec Dieu par le baptême et en même temps créer des liens entre familles, cela renvoie bien à l'amour de Dieu
et du prochain qui sont un seul et même commandement.
J'étais d'autant plus heureux que la veille, un autre papa, parlant de la même école (qui rassemble des
enfants dont les parents viennent du monde entier), me disait embarrassé : "Nous venons d'arriver (en cours d'année)
et le premier jour, en récréation, mon fils en CM.2 a été abordé par un autre enfant de sa classe lui demandant,
parce qu'il est blanc de peau : Qu'est-ce que tu fais là, ce n'est pas une école pour toi !"
Souvent les personnes ne retiennent que ce qui fait difficultés, et celles-ci ne manquent pas. Sans les minimiser,
comme un veilleur qui attend le retour de printemps, je passe du temps, comme beaucoup,
à attirer l'attention sur tout ce qui peut être germe et signe de vie.
Social ou spirituel ?
En accordant de l'importance dans les rencontres aux conditions de travail, de logement, à la recherche
de stages des jeunes, aux problèmes de développement, de la faim, je suis parfois questionné :
"Tout cela Daniel (ou « monsieur l'abbé »), c'est du social ; un prêtre ne devrait-il pas s'occuper un peu plus des questions spirituelles ?"
Il y a sûrement de quoi se laisser interroger et il ne s'agit pas de remplacer les travailleurs sociaux mais comment prétendre aimer Dieu
qu'on ne voit pas si n'on aime pas celui qui est tout proche ? Autre question : "Pourquoi prendre du temps avec les musulmans quand il y
a déjà tant à faire avec les chrétiens". Il y a certes une dimension sociale dans le fait d'entretenir de bonnes relations avec
les musulmans mais il ne s'agit pas seulement d'un travail social ; même si les municipalités apprécient
ce type de travail, quand il existe, cela va plus loin. Les fêtes que nous avons réalisées en partenariat,
le CCFD-Terre Solidaire, l'association culturelle de la mosquée, des mouvements chrétiens, d'autres associations
et le concours de la mairie, ces fêtes autour des questions de l'eau ou de l'alimentation dans le monde,
ont une vraie portée spirituelle, même si les familles qui participent vivent l'événement chacune à sa manière.
Éduquer, développer le sens de la solidarité internationale n'est pas le monopole des croyants ; mais que devient
notre foi si nous passons à côté de cela! Même si nos approches sont multiples, croyants, nous nous plaçons sous le regard d'un même Dieu .
Entre nous, des
épreuves
Il faut bien cependant admettre que nos rencontres entre chrétiens et musulmans sont marquées
bien souvent par l'épreuve. Il y a beaucoup de souffrances. Les amis africains parlent de la détérioration
des relations inter-religieuses dans leur communauté d'origine au pays. Il y a les blessures exprimées par
des femmes seules, la fatigue de personnes qui, travaillant de bonne heure, supportent mal le bruit qui accompagne
très tard dans la nuit les prières du Ramadan. Je suis conscient que les souffrances ne sont pas d'un seul côté.
Malgré la bonne volonté, je me vois souvent obligé de reconnaître que tout n'est pas si simple. Il faudra du temps,
de la patience, il faudra des personnes courageuses dans la durée. Raison de plus pour retenir quelques belles histoires.
Cette femme chrétienne était très contrariée par le projet de mariage de son fils avec une jeune musulmane. Cependant,
elle n'a pas voulu se refermer sur sa peine, elle en a parlé. Progressivement elle a accueilli sa future belle fille,
elle a été impressionnée par l'amour avec lequel ses parents élevaient un de leurs enfants handicapé. Cette femme a
découvert la richesse de la foi musulmane de sa belle fille. Elle a pris le temps d'écrire cette histoire et de la faire
paraître dans le bulletin de sa paroisse pour permettre à d'autres de ne pas se refermer sur leur tristesse et de rebondir.
Histoires d'amour
Souffrance aussi pour ce papa qui met sa fille à la porte parce qu'elle veut épouser un chrétien qui ne
se convertira pas à l'islam. Après trois mois, voyant le sérieux de sa fille qui approfondit sa foi,
fait des recherches sérieuses et qui lui dit que son attitude n'est pas conforme à ce qu'elle a pu lire dans
le Coran, ce père ne se reconnaît pas le droit de l'exclure plus longtemps de la famille et lui redonne sa confiance.
Oui, ce sont pour ces parents profondément croyants de véritables épreuves. Pourtant, quel chemin n'ont-ils pas fait !
Ce qui était pour certains des voies sans issue fait place à des portes qui s'ouvrent. C'est une espérance pour toutes
ces situations qui semblent insurmontables. Elles me font vivre. Elles me font croire en Dieu : la mort n'aura pas
le dernier mot, mais en attendant, pour vivre vraiment il faut mourir.
Je sens bien que c'est cela que nous vivons dans nos relations entre chrétiens et musulmans, Je ne suis pas naïf comme disent
certains chrétiens à ceux et celles qui veulent vivre ensemble et partager y compris quelque chose de leur foi. Je suis amené
à aller plus loin, à ne pas mettre la main sur Dieu, à ne pas parler de Lui comme si j'en avais l' exclusivité, sans pour
autant renoncer à en parler. Il y a sûrement du côté de Dieu assez d'amour pour accueillir tous ceux et celles qui entendent
se placer sous son regard, il les aime dans leur diversité.
Comme prêtre, je sais aussi que j'ai une responsabilité pour faire partager cette manière de vivre et de voir.
Cela suppose une spiritualité de la rencontre, cela suppose de faire marcher nos connaissances, cela suppose des moyens.
Le fait que deux personnes attentives au dialogue islamo-chrétien participent maintenant à l'équipe d'animation de la
paroisse devrait nous permettre d'être plus attentifs à ce que nous vivons localement. Lorsque sera venu le moment de
préparer la fête du centenaire de l'église en 2011, nous savons bien qu'il ne s'agira pas de laisser une place à nos
voisins de la mosquée, ils l'ont déjà, ils font partie de cette histoire, beaucoup
nous manquerait, pour qui sait voir, s'ils n'étaient pas là.
Daniel Caruette