L'imam et le curé

Imam à Gennevilliers
Mohammed Benali


Curé à Asnieres
Daniel Caruette

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Si l'on en croit le témoignage de Daniel Caruette, Curé à Asnières,
ou celui de Mohammed Benali,responsable de la mosquée Ennour de Gennevilliers,
ont s'aperçoit que les banlieues sont le terrain privilégié du dialogue islamochrétien.


Imam à Gennevilliers



Les jeunes ont évolué

On discute beaucoup, dans le cadre du débat sur l'identité nationale, de la place des jeunes dans les banlieues. On prétend parfois qu'ils ne se considèrent pas vraiment comme des Français. Le FN prétend que l'islam est un frein à l'intégration des jeunes générations. Tu vois beaucoup de jeunes non seulement dans la ville mais dans cette mosquée dont tu es responsable. Que dirais-tu de la jeunesse que tu vois évoluer et qui a fait beaucoup parler lors des émeutes de 2005 ?

A Gennevilliers, on n'a pratiquement pas connu d'émeutes : Gennevilliers a été épargné à part quelques poubelles brûlées.

Gennevilliers s'est beaucoup développé ; les jeunes ont évolué, au cours des dernières années. Dans les années 70, d'après ce que j'entends dire, c'était invivable. Une fois le soleil couché, on ne pouvait se promener dans Gennevilliers. Cela tient à l'évolution des parents : ils sont devenus capables d'éduquer leurs enfants. Maintenant nous avons atteint une génération de véritables éducateurs. Ceux qu'on appelait «  les grands frères » sont maintenant de vrais parents. Des obstacles ont disparu ; d'abord la langue entre les parents et les enfants est commune. Les adultes comprennent mieux la situation française. Dans les années 60 ou 70, ils débarquaient du Maroc ou d'Algérie, incapables de se situer par rapport à leurs enfants qui, élevés dans les écoles françaises, ne parlaient que le français. Ensuite les moyens ont changé. Aujourd'hui l'Etat, les communes, les collectivités ont donné beaucoup plus de moyens qu'il y a trente ans, dans les écoles et dans les quartiers, à l'époque des bidonvilles. Sur le port, il y avait une cité de transit qu'on appelait « Chicago » ! On ne pouvait y entrer sans prendre de risques. Un troisième facteur à prendre en compte, à mon sens, est le retour des jeunes à la religion. Ils ont acquis un peu plus de calme en découvrant la pratique religieuse.

Quand je parle des jeunes, je désigne la tranche d'âge des 15 à 30 ans. Mais je parle aussi des enfants qui accompagnent leurs parents. Dans la mosquée, les hommes viennent accompagnés de leurs enfants. La religion, jointe aux autres facteurs, a joué un rôle pour transmettre aux jeunes un certain sérieux. Restent quelques excités, violents. On vient de connaître, il y a trois jours, des bagarres entre jeunes de Gennevilliers et jeunes d'Asnières. Il suffit d'une vingtaine de garnements pour créer l'instabilité dans les cités. Mais ils sont une petite minorité. La plupart des jeunes d'aujourd'hui ont acquis une véritable sagesse.



La faute des partis politiques

Ne crois-tu pas que si les jeunes étaient intégrés on les verrait davantage engagés dans le débat politique  ? On ne voit pas d'élus issus de l'immigration à l'Assemblée Nationale. Est-ce que tu penses que les jeunes pratiquants que tu rencontres ont conscience qu'en pays démocratique on peut peser sur les décisions du pays ? Ont-ils conscience des devoirs attachés à la citoyenneté ou faut-il considérer que l'islam est leur seule patrie ?

Les jeunes sont assez peu représentés dans les instances du pouvoir ; la faute en est aux partis politiques. Ceux-ci, au niveau national, n'ont pas réussi à ouvrir leurs portes aux jeunes issus de l'immigration. A Gennevilliers, en revanche, ils sont très présents. Sur 42 conseillers municipaux, 14 sont d'origine immigrée. Un parti s'est créé (« alternative citoyenne  ») où sont engagés beaucoup de jeunes qui viennent à la mosquée, à l'heure de la prière. Les jeunes musulmans s'engagent à gauche : le P.C. et les Verts.

Certaines banlieues sont oubliées.

Revenons aux événements de 2005. La façon dont les jeunes s'exprimaient n'est-elle pas inquiétante ?

En 2005, les émeutes de Clichy sous Bois sont inexcusables. En France, nous avons un espace de liberté où tous les avis peuvent s'exprimer. Mais les événements de 2005 ont révélé un réel problème dans les banlieues dont les causes ne sont pas imputables aux jeunes. Ceux-ci sont souvent victimes d'une vraie ségrégation. Certaines banlieues sont oubliées. Quand on demande aux gens de ne pas mettre leurs prénoms sur le C.V., je trouve que c'est le symptôme de quelque chose de grave. Les jeunes sentent bien cette injustice. Le chômage parmi les jeunes est catastrophique. Par ailleurs, ils n'ont pas le goût d'aller jusqu'au bout de leurs études dans la mesure où elles ne conduisent pas à trouver un emploi. Après le brevet, ils cherchent des formations qui ne débouchent que sur des petits boulots ou dans le bâtiment.

Le CFCM a appelé les jeunes au calme, en 2005 ; ils n'ont apparemment pas été entendus. Comment expliques-tu cela ?

Il y a comme un fossé entre les représentants de l'islam et les jeunes. Mais un travail d'écoute a été fait à l'échelle des communes entre les mosquées, les associations locales et les jeunes. A l'échelle nationale la communication s'opère mal entre les responsables musulmans et la communauté. Ceux-ci ne vivent pas les vrais problèmes de la communauté. Reste qu'entre ces responsables et des gens comme moi, le respect et l'écoute sont réels.

Ces émeutes ont fait naître un mouvement : « Les indigènes de la République » dont on commence à parler ; ils contestent la politique de discrimination qui leur semble le prolongement du colonialisme d'autrefois ; en réalité, il n'a pas grande prise sur Gennevilliers. Il y a quelques membres mais leur impact est limité. Ces jeunes-là ont tenté d'attirer l'attention des Français et des pouvoirs publics pour les sensibiliser sur leurs problèmes.



La femme musulmane

Un mouvement féministe, né en 2003 (« ni putes ni soumises »), a fait parler de lui surtout du fait que sa fondatrice, Fadela Amara, est entrée au gouvernement et qu'elle a proposé « un plan banlieue ». Quelle emprise ce mouvement a-t-il autour de toi ?

Un mouvement comme « ni putes ni soumises », quant à lui, n'a pas d'existence dans la communauté musulmane. Il n'est connu que par la Télévision et ne correspond pas du tout aux attentes dont je suis témoin. Bien sûr, on est conscient qu'il y a un problème de la femme musulmane mais ce n'est pas là qu'il pourra être réglé ; il y a un travail de terrain, un travail intellectuel aussi qui s'imposent. Il faudra du temps pour le régler.

Il faut des cours d'alphabétisation pour celles qui n'ont pas grandi en France; il faut que les femmes sortent de leurs foyers, connaissent leurs droits ; il faut que les filles qui sont scolarisées puissent prendre leurs mères au sérieux. Les jeunes filles, maintenant, connaissent leurs droits ; elles savent en user. Beaucoup de femmes d'origine musulmane prennent des responsabilités ; on commence, par exemple, à en trouver qui deviennent conseillères municipales ; elles s'engagent dans les associations. A la mosquée on leur confie de nombreuses responsabilités. On les encourage à prendre des initiatives, à organiser des activités. Une formation leur est proposée.

Certains prétendent que le port du voile s'impose de plus en plus dans les banlieues. Qu'en penses-tu ?

Dans certaines familles, des jeunes femmes de trente ans sont habillées à l'européenne alors que leurs jeunes soeurs, dans les mêmes familles, portent le voile islamique : c'est leur choix. L'inverse se produit aussi. Ce n'est pas un phénomène caractéristique. De toute façon, cela ne les empêche pas de travailler : elles ôtent leur voile en arrivant à leur travail.

Le premier mal à dénoncer

Finalement, par rapport à notre point de départ, crois-tu que les questions posées par le débat sur l'identité nationale sont pertinentes ?

Je ne me prononcerai pas sur l'opportunité du débat. Je souligne seulement que le temps fait son travail. Je pense que si l'on arrive à réaliser un jour une véritable mixité sociale, si l'on arrive à lutter contre la xénophobie comme on a réussi à lutter contre l'antisémitisme, si l'accès à l'emploi est facilité pour les jeunes, si toute discrimination disparaît, il n'y aura plus de raison de s'interroger comme on le fait aujourd'hui. S'il y a des problèmes d'intégration pour certaines catégories d'immigrés, la solution n'est pas d'abord à chercher du côté des banlieues ni du côté de l'islam. Toutes les questions d'identité s'évanouiront lorsqu'on aura réussi à faire une société où l'exclusion serait le premier mal à dénoncer.

Mohammed Benali



Curé à Asnières



Diversité des populations

Pour répondre à l'invitation de "la Maison Islamo Chrétienne" et vous parler de quelques aspects de ma vie de prêtre en banlieue, dans des quartiers populaires, je vous invite à venir chez moi. Vous prendrez le métro ligne 13 direction Asnières-Gennevilliers, vous descendrez avant le terminus  ,à la station "Les Courtilles". Il y a toujours beaucoup de monde sur cette ligne de métro. Vous aurez déjà un aperçu de la diversité des populations que vous retrouverez dans les quartiers de la paroisse.

Sortant du métro, sept minutes de marche à pieds nous séparent de la maison. Le temps de faire connaissance! Sur le trajet, si vous êtes d'origine du Maghreb, vous ne serez pas trop dépaysés. Sandwicherie, pizzeria, traiteur, triperie, boucherie, charcuterie, tous ces commerces sont halals. Vous admirerez le joli magasin de mode féminine "L'élégance Marocaine"; vous passerez devant la libraire présentant des livres, vêtements et articles divers liés à la religion musulmane, sans oublier les coiffeurs toujours animés et l échoppe «taxiphone - internet» pour communiquer avec l'étranger. Seul le petit restaurant "Le tire bouchon" garde des racines bien gauloises.

Des jeunes désoeuvrés

Nous ne longeons pas que des boutiques. Devant cet immeuble HLM en brique rouge, il y a souvent des jeunes désoeuvrés qui "soutiennent les murs". Geneviève, une ancienne du quartier, avant de monter au 6° étage, s'arrête toujours pour leur dire un mot, demander des nouvelles d'un voisin de palier qui est en prison ou de la santé de la voisine. Depuis 3 ans, des locataires de cet immeuble se retrouvent chaque année dans la cour pour la fête des voisins et étant donné la taille de l'immeuble, cela demande des bonnes volontés. Un peu plus loin, c'est un vieil immeuble insalubre. C'est là qu' après avoir frappé à 5 portes, j'ai retrouvé ce couple Cap-Verdien qui venait d'accueillir leur fille de 15 ans, jusque là restée au pays avec une grand mère. Le papier peint de la salle à manger se décolle à cause de l'humidité et du manque d'aération. Ils sont 4 dans deux toutes petites pièces. Le mari est maçon, depuis dix ans en France et toujours sans papiers mais sans avoir jamais connu le chômage.

Sur la droite, la Cité des Courtilles. "Quand nous sommes arrivés là en 1955, ce fut un vrai bonheur" raconte ce monsieur venu préparer l'enterrement de son papa. "Nous habitions à 5 dans un minuscule logement à Paris 18°. Venir à Asnières, nous visiter le dimanche, c'était venir à la campagne. On a dû présenter aux HLM un certificat de moralité pour obtenir ce logement. Aujourd'hui le quartier a bien changé, on a du mal à s'y retrouver." C'est pourtant le même bonheur aujourd'hui pour cette maman camerounaise qui arrive là, seule avec ses 3 enfants. Depuis 3 ans, elle passait de foyer en chambre d'hôtel. Si la cohabitation n'est pas toujours simple pour certains anciens qui ont du mal à vivre ces changements et ce grand mélange de populations, ce n'est pas le cas de tous. Dans ce contexte la rencontre autour d'un thé de quelques femmes du quartier, françaises et maghrébines, a toute son importance. Une fois par an elles font ensemble une sortie laissant aux maris la garde des enfants !



Au Club de soutien scolaire

Nous arrivons à la place de la République. Si c'était mardi, je vous aurai emmené à droite, au Club de soutien scolaire. Sachant que j'avais passé dix ans en Amérique Latine, Chantal ma demandé de venir pour un coup de main en espagnol. En fait, c'est surtout le français, l'histoire ou les maths que je redécouvre aujourd'hui avec les ados du collège; avant de se quitter, on parlera des activités du mercredi, des vacances en Algérie, au Maroc ou au Mali, de la punition collective suite à une agression au collège, de la fierté d'arriver en finale du championnat de Volley.

Passée la petite place, nous tournons à gauche et c'est la rue de l'Abbé Lemire. Nous passons devant la mosquée Al Hidaya en construction. Il y a deux ans, vous auriez encore vu à cet endroit l'ancienne petite chapelle qui leur servait de salle de prière et au sommet de laquelle le croissant islamique avait remplacé la croix. C'est en effet un terrain de la paroisse qui a été mis à disposition puis vendu il y a près de cinquante ans à la communauté musulmane. Cela montre les liens qui se sont tissés entre nos deux communautés de croyants. Je bénéficie de cette histoire commencée longtemps avant moi ; je suis monté dans le train en marche, mais, lorsque nous participons à une fête à la mosquée avec quelques chrétiens, l'accueil est toujours chaleureux.

Encore 50 mètres, c'est la maison paroissiale et l'église.

Le temps d'écouter

Peut-être vous dites vous qu'il serait temps d'aborder le sujet sur le prêtre. Pourtant, être prêtre dans des quartiers populaires, tout ce que j'ai dit en chemin précédemment en fait partie. Être prêtre, cela commence dans la rue : ouvrir les yeux, aller à la rencontre des gens, ne pas en rester à la surface visible des visages et des façades, les rejoindre dans ce qu'ils ont de meilleur. Je parlerai ici de moi ; certes, les visages des prêtres sont différents mais je sais que nous sommes un nombre certain en quartiers populaires, en monde ouvrier, à partager cette manière de voir et de vivre. Cela, je le dois autant à la manière de faire de Jésus dans l'évangile qu'à des gens comme Michel, un militant chrétien ouvrier, père de famille qui me disait un jour :  Depuis que je suis militant syndicaliste, je ne marche plus aussi vite quand je me déplace dans l'usine. Il prenait le temps d'écouter, de s'arrêter. Lire dans la vie quotidienne ce qui fait la vie des hommes et des femmes avec leurs joies, leurs angoisses et leurs raisons de vivre, c'est devenu une dimension essentielle de ma vie d'homme, de croyant et de prêtre, de ma vie en Eglise.

Si, avant d'être un bâtiment, un clocher, l'Eglise est d'abord une communauté de croyants, l'église de la rue du Ménil est aussi un point de repère, un lieu de rassemblement, principalement le dimanche avec la communauté chrétienne. Ce jour- là, le prêtre est plus repérable pour les chrétiens au cSur de la prière de la messe. Mais ce rassemblement est d'abord celui des baptisés et il est important que des personnes puissent témoigner de leur foi vécue en lien avec les réalités de nos quartiers: les souffrances et les trésors d'humanité. Il revient ensuite au prêtre de dire la prière de louange à Dieu, notre Père, pour ses merveilles, pour ce que Jésus-Christ a fait, pour le souffle que nous donne son Esprit. On ne peut parler du prêtre sans parler de cela. Tout le service assuré par lui trouve ici sa source, sa raison d'être et son aboutissement.



Louange à Dieu

Se nourrir de la Parole de Dieu lue dans la Bible et reconnue dans nos vies suppose un vrai travail de compréhension des textes afin d'en dégager le sens pour les hommes aujourd'hui. C'est aussi le travail à entreprendre pour accueillir ce qui fait la vie de ces personnes qui viennent du monde entier, leur histoire, leur culture. Nous nous retrouvons régulièrement avec d'autres prêtres et des chrétiens pour réfléchir sur les événements qui nous entourent ; nous faisons appel à des personnes maîtrisant les sciences humaines. Cela nous permet d'orienter notre travail avec les différents groupes de chrétiens qui composent la communauté.

Je passe du temps aussi avec les familles pour célébrer des fêtes qui accompagnent les grands moments de leur vie : baptêmes, mariages, enterrements. Ce sont autant d'occasions pour échanger et se former. "Ce baptême fait de vos enfants des fils et filles de Dieu; et vous, parents, que faites-vous pour que le monde qui vous entoure soit plus juste, plus fraternel?" Aussi quand ce papa venu préparer le baptême de son second enfant me répond : "Cette année, nous avons rejoint l'association des parents d'élèves de l'école de notre aîné", pour moi c'est le bonheur de voir que le baptême s'accompagne d'une prise de responsabilité. Entrer en relation avec Dieu par le baptême et en même temps créer des liens entre familles, cela renvoie bien à l'amour de Dieu et du prochain qui sont un seul et même commandement.

J'étais d'autant plus heureux que la veille, un autre papa, parlant de la même école (qui rassemble des enfants dont les parents viennent du monde entier), me disait embarrassé : "Nous venons d'arriver (en cours d'année) et le premier jour, en récréation, mon fils en CM.2 a été abordé par un autre enfant de sa classe lui demandant, parce qu'il est blanc de peau : Qu'est-ce que tu fais là, ce n'est pas une école pour toi !" Souvent les personnes ne retiennent que ce qui fait difficultés, et celles-ci ne manquent pas. Sans les minimiser, comme un veilleur qui attend le retour de printemps, je passe du temps, comme beaucoup, à attirer l'attention sur tout ce qui peut être germe et signe de vie.

Social ou spirituel ?

En accordant de l'importance dans les rencontres aux conditions de travail, de logement, à la recherche de stages des jeunes, aux problèmes de développement, de la faim, je suis parfois questionné : "Tout cela Daniel (ou « monsieur l'abbé  »), c'est du social ; un prêtre ne devrait-il pas s'occuper un peu plus des questions spirituelles ?" Il y a sûrement de quoi se laisser interroger et il ne s'agit pas de remplacer les travailleurs sociaux mais comment prétendre aimer Dieu qu'on ne voit pas si n'on aime pas celui qui est tout proche ? Autre question : "Pourquoi prendre du temps avec les musulmans quand il y a déjà tant à faire avec les chrétiens". Il y a certes une dimension sociale dans le fait d'entretenir de bonnes relations avec les musulmans mais il ne s'agit pas seulement d'un travail social ; même si les municipalités apprécient ce type de travail, quand il existe, cela va plus loin. Les fêtes que nous avons réalisées en partenariat, le CCFD-Terre Solidaire, l'association culturelle de la mosquée, des mouvements chrétiens, d'autres associations et le concours de la mairie, ces fêtes autour des questions de l'eau ou de l'alimentation dans le monde, ont une vraie portée spirituelle, même si les familles qui participent vivent l'événement chacune à sa manière. Éduquer, développer le sens de la solidarité internationale n'est pas le monopole des croyants ; mais que devient notre foi si nous passons à côté de cela! Même si nos approches sont multiples, croyants, nous nous plaçons sous le regard d'un même Dieu .



Entre nous, des épreuves

Il faut bien cependant admettre que nos rencontres entre chrétiens et musulmans sont marquées bien souvent par l'épreuve. Il y a beaucoup de souffrances. Les amis africains parlent de la détérioration des relations inter-religieuses dans leur communauté d'origine au pays. Il y a les blessures exprimées par des femmes seules, la fatigue de personnes qui, travaillant de bonne heure, supportent mal le bruit qui accompagne très tard dans la nuit les prières du Ramadan. Je suis conscient que les souffrances ne sont pas d'un seul côté. Malgré la bonne volonté, je me vois souvent obligé de reconnaître que tout n'est pas si simple. Il faudra du temps, de la patience, il faudra des personnes courageuses dans la durée. Raison de plus pour retenir quelques belles histoires. Cette femme chrétienne était très contrariée par le projet de mariage de son fils avec une jeune musulmane. Cependant, elle n'a pas voulu se refermer sur sa peine, elle en a parlé. Progressivement elle a accueilli sa future belle fille, elle a été impressionnée par l'amour avec lequel ses parents élevaient un de leurs enfants handicapé. Cette femme a découvert la richesse de la foi musulmane de sa belle fille. Elle a pris le temps d'écrire cette histoire et de la faire paraître dans le bulletin de sa paroisse pour permettre à d'autres de ne pas se refermer sur leur tristesse et de rebondir.

Histoires d'amour

Souffrance aussi pour ce papa qui met sa fille à la porte parce qu'elle veut épouser un chrétien qui ne se convertira pas à l'islam. Après trois mois, voyant le sérieux de sa fille qui approfondit sa foi, fait des recherches sérieuses et qui lui dit que son attitude n'est pas conforme à ce qu'elle a pu lire dans le Coran, ce père ne se reconnaît pas le droit de l'exclure plus longtemps de la famille et lui redonne sa confiance. Oui, ce sont pour ces parents profondément croyants de véritables épreuves. Pourtant, quel chemin n'ont-ils pas fait ! Ce qui était pour certains des voies sans issue fait place à des portes qui s'ouvrent. C'est une espérance pour toutes ces situations qui semblent insurmontables. Elles me font vivre. Elles me font croire en Dieu : la mort n'aura pas le dernier mot, mais en attendant, pour vivre vraiment il faut mourir.

Je sens bien que c'est cela que nous vivons dans nos relations entre chrétiens et musulmans, Je ne suis pas naïf comme disent certains chrétiens à ceux et celles qui veulent vivre ensemble et partager y compris quelque chose de leur foi. Je suis amené à aller plus loin, à ne pas mettre la main sur Dieu, à ne pas parler de Lui comme si j'en avais l' exclusivité, sans pour autant renoncer à en parler. Il y a sûrement du côté de Dieu assez d'amour pour accueillir tous ceux et celles qui entendent se placer sous son regard, il les aime dans leur diversité.

Comme prêtre, je sais aussi que j'ai une responsabilité pour faire partager cette manière de vivre et de voir. Cela suppose une spiritualité de la rencontre, cela suppose de faire marcher nos connaissances, cela suppose des moyens. Le fait que deux personnes attentives au dialogue islamo-chrétien participent maintenant à l'équipe d'animation de la paroisse devrait nous permettre d'être plus attentifs à ce que nous vivons localement. Lorsque sera venu le moment de préparer la fête du centenaire de l'église en 2011, nous savons bien qu'il ne s'agira pas de laisser une place à nos voisins de la mosquée, ils l'ont déjà, ils font partie de cette histoire, beaucoup nous manquerait, pour qui sait voir, s'ils n'étaient pas là.

Daniel Caruette



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