Les villes méditerranéennes
et l'ouverture politique
Ghazi Hidouci et Luc-André Leproux
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Les événements déclenchés le 17 décembre 2010 en Tunisie
avaient conduit Ghazi Hidouci à rédiger une étude sur la situation
dont il nous faisait part en mars 2011.
Cette étude, trop longue pour ces cahiers, a été résumée par Luc-André Leproux
dans les termes qu’on trouve ici et que Ghazi a relus et approuvés.
Est-il besoin de rappeler que Ghazi, un ami de « La Maison islamo chrétienne »,
est un économiste et qu’il fut ministre en Algérie de septembre 1989 à juin 1991 ?


Proposer un islam pour les pauvres

La dynamique urbaine et sa marque politique, l’illustration en est réelle et immédiate dans les capitales tunisienne et égyptienne. La simultanéité est le signe d’un nouveau cycle. Le triptyque « chef charismatique, parti unique, pouvoir autoritaire » déjà évacué au Nord de la Méditerranée (après Salazar, Franco, les généraux grecs) l’est maintenant au sud, après des années de luttes internes, de menaces de recolonisation au prétexte de la fatalité d’un islam antidémocratique. Ainsi les itinéraires se rejoignent. Et ce sont les villes de l’intérieur, et non les villes côtières aux élites discréditées, qui sont à l’origine du mouvement comme elles le furent des chutes des dynasties. Après les oasis, les villes de l’intérieur sont porteuses de solidarités ; l’espace et l’urbain produisent par capillarité l’évolution du mental.

La communauté internationale, vecteur du « consensus de Washington » et du capitalisme spéculatif, tout comme la police d’Etat au service des oligarques ont été surprises par la relation humaine et pacifique née d’une jeunesse urbaine, pauvre et exclue mais capable d’effacer avec élégance les tensions : hommes – femmes, religieux – laïcs, classe moyenne – nouvelle génération. Finie la « soumission consentie » que la politique et l’anthropologie, otages de la représentation occidentale, présentaient comme un retard à entrer dans l’histoire. Les barrières migratoires actuelles illustrent le désarroi des « tartuffes » d’une liberté supposée monopole génétique de l’homme blanc.

Inversion des représentations en effet : point de barbus religieux ni de leaders charismatiques ; les deux mots fétiches de liberté et démocratie, au sens en perdition au nord, ressurgissent dans la révolution du sud, nationale et démocratique. Ni drapeau américain, ni drapeau israélien brûlés, ces longues luttes ne sont plus confisquées par les oligarques dominateurs qui en faisaient des alibis.

Les grandes lignes de la rupture

La démocratie, c’est aussi le marché intérieur au service des besoins de la population. Clôturés par l’arrivée des jeunes, les vieux modèles sont dépassés, que ce soit celui inauguré par l’époque nassérienne ou celui qui l’avait remplacé, reposant sur le libéralisme économique comme sur la pression religieuse sous Khomeyni. Il faut maintenant proposer un islam pour les pauvres et sortir du long chloroforme des conditions sociales de grande misère. Autrement dit, en harmonie avec la culture traditionnelle, inventer un autre capitalisme, construire une région démocratique en évitant de recourir aux médecines apocryphes importées.

Le rapport politique aux partenaires européens nécessite une remise en cause. Ainsi, pour la question légitime de la limite des ressources naturelles, la surconsommation du nord s’inscrit dans le réexamen du face à face économique et commercial avec les pays européens. Dans le modèle dominé par l’impératif de l’exportation, les mesures foncières, fiscales ont empêché la satisfaction des besoins des classes populaires et conduit à la privatisation des services publics. Ainsi les besoins endogènes sont en contradiction avec les besoins immédiats en devises : « le serpent se mord la queue ».

La rupture s’annonce ; reste à en trouver le moment favorable ; on peut déjà en définir les grandes lignes techniques : l’articulation du court terme et du long terme avec une stratégie de développement s’appuyant sur la planification ; la régulation donnant la priorité à trois facteurs, la stabilité des changes, le coût écologique mieux réparti, le contrôle financier et fiscal permettant l’arbitrage entre exportations et besoins des populations.

Se défier de la démocratie octroyée

Que faire après ces événements ? Le « oui » au changement requiert une option au sujet de l’intégration régionale, d’une union monétaire en aval d’une zone de libre-échange, union douanière, marché commun. Avec examen de ce qui se fait ailleurs (pays asiatiques, pays américano-andins), avec évaluation du coût d’un rejet d’intégration pour le Maghreb. Une unité de compte donnerait accès aux mécanismes de compensation, aux échanges régionaux et finalement à la création d’emplois, en se gardant des dérives de gestion, comme la contrebande, la corruption.

Peut-on le faire ? Assurément, mais en prenant en compte le voisinage avec l’Union Européenne. Le vote démocratique tout comme la modernisation de l’approche religieuse doivent se défier de la démocratie « octroyée ». De même sans justice sociale il n’y aura ni paix ni démocratie. Le changement de paradigme appelle un compromis.

Ghazi Hidouci
Luc-André Leproux


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