Les signes de Dieu
Saad Abssi et Mohammed Benali
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Saad et Mohammed soulignent que le cosmos et le livre du Coran se ressemblent.
Tous les éléments composant le monde sont comme les versets du Coran:
des signes de Dieu.
Ils invitent au respect de la nature.


La nature fait corps avec la civilisation

Poussez la porte d’une maison dans un quartier ancien d’une ville arabe. Vous ne débouchez pas sur un couloir ni dans un salon où vous pourrez vous asseoir. Vous pénétrez dans un jardin ombragé que surplombent les chambres et les salles. Une fontaine très souvent jaillit en son milieu. Des arbres répandent leur ombre et leurs parfums : jasmins, orangers, citronniers. La nature fait corps avec la civilisation ; elle est inséparable de la présence humaine. Le touriste qui s’en va à Grenade et à Séville reconnaît l’influence arabe aux jardins intérieurs magnifiquement ordonnés. Une sorte de canal traverse un espace rectangulaire entouré de murs où grimpent des plantes colorées. Des fontaines alignées lancent leurs jets qui retombent, avec une musique légère, en formant des courbes dont la forme s’harmonise admirablement avec les arcades de pierre. Les piliers qui les soutiennent s’alignent sur le tronc des citronniers qui porteront du fruit. Quelle fraîcheur, lorsqu’en plein été on pénètre en ces lieux !

La parabole des deux jardins

La civilisation musulmane semble sortie directement du Coran. Le monde, dans le Livre, est confié à l’homme; il a accepté d’en assumer la responsabilité (XXXIII, 72). C’est sans doute la raison pour laquelle la culture islamique a eu le souci d’aménager la nature avec ordre et beauté. Le musulman a cherché à faire avec les éléments de l’univers une image du paradis. Ceci est d’ailleurs cohérent avec le Coran lui-même. Il est bon, à ce sujet, de relire la jolie parabole des deux jardins (XVIII 32-45). Deux hommes avaient un terrain qu’ils avaient reçu de Dieu. L’un des deux est décrit avec minutie ; en fait les deux jardins, où des vignes sont plantées, entourent un champ. Ils sont entourés eux-mêmes de palmiers. Un ruisseau coule pour irriguer le tout. Le décor est bien planté et l’ordonnancement fait plaisir à voir. Certes, l’homme travailla et se dépensa pour le bien de son coin de terre et pour que ses treilles portent du raisin. Certes, ses efforts, à première vue, ne furent pas inutiles : « Les jardins donnèrent leur récolte sans leurrer leur maître et il eut des fruits». Tout aurait été pour le mieux si le personnage n’avait oublié qu’il n’est pas le maître de cette terre. Il oublie que ces champs, ces jardins, ces vignes et ces palmiers lui sont confiés. Il devrait les recevoir comme des cadeaux. S’il oublie la source d’où ils proviennent, l’ordre du monde est bouleversé: «Or, les fruits furent détruits et le maître du jardin se tordit les mains d’avoir tant dépensé pour rien». Le bonheur pour lui aurait été possible s’il avait reconnu que la nature où il travaillait était don de Dieu et s’il avait considéré son travail comme une réponse à la bienveillance de son Seigneur. Certes la nature est belle si l’homme sait la recevoir, en discerner l’ordre et la beauté et ajuster ses efforts à la générosité de son Seigneur. Tout est chambardé si l’homme oublie que l’ordre du cosmos d’une part dépend de lui et d’autre part est don de Dieu. Qu’on retire un des éléments de cette triade et tout disparaît. Que l’homme soit fidèle à la tâche qui lui est confiée, qu’il accueille le don qui lui est fait: le monde alors manifestera la volonté de Dieu. Il est bon, lorsqu’on admire les traces de la civilisation musulmane, de déceler cette dimension mystique sans laquelle elle n’aurait jamais existé.

Cette insistance sur le rapport de l’homme à la nature devrait être un stimulant pour nos contemporains. Prenons l’exemple de l’eau. Plus que jamais nous sommes conscients qu’il s’agit là d’un bien précieux dont l’humanité risque de manquer. Des instances internationales militent pour que l’accès à l’eau potable soit reconnu comme un droit fondamental de la personne humaine; jusqu’à une époque récente le fait d’aller à la fontaine pour se désaltérer ou au fleuve pour irriguer les cultures allait de soi. Aujourd’hui, nous nous interrogeons.

La réalisation de travaux gigantesques serait nécessaire pour alimenter les populations au Sahel ou ailleurs. Un grand nombre de pays n’ont pas, à l’intérieur de leurs frontières, les capacités de répondre aux besoins de leur population.

L’accès à l’eau : un droit fondamental


Les réserves d’eau seront-elles suffisantes pour y faire face? Il importe de rappeler que s’il faut respecter le droit de tout être humain à la vie, cela implique que chacun puisse s’hydrater, boire, se laver. Mais en réalité, les nappes phréatiques se vident, les fleuves sont pollués par les usines qui y rejettent leurs déchets. L’humanité s’interroge. Des lois fixent des taxes pour pénaliser les usines qui polluent. Il faut inventer une manière de vivre nouvelle ; des consignes de modération sont prodiguées. En périodes de canicule, ceux qui travaillent la terre se doivent de tempérer leur façon d’arroser et les agronomes sont acculés à inventer des façons nouvelles et plus économiques de cultiver. Il faut assainir les eaux souillées afin de les sauver. Des politiques sont à mettre en place pour harmoniser les besoins des uns sur ceux des autres. Dans beaucoup de pays, des organismes se constituent pour faire face au problème: les différentes catégories d’acteurs et d’usagers y sont représentées pour prendre des décisions et gérer la situation. En France, par exemple, dès 1964 on créait le Conseil National de l’eau. Son président est nommé par le premier ministre et aucun texte législatif, sur cette question dont nous parlons, ne peut être pris sans qu’il ait été consulté.

Rien n’est gagné, c’est vrai ! Beaucoup de pays se mettent à l’écart de ce genre de comportements de type démocratique. Par ailleurs la question des fleuves est particulièrement délicate. Au Proche-Orient, le détournement des eaux du Jourdain est générateur de conflits dont les plus faibles – en l’occurrence les Palestiniens – font les frais.

Pourtant, et malgré les menaces souvent formulées, de plus en plus se dessine une conscience internationale; l’homme se rend compte, collectivement, qu’il est responsables de son environnement.

L'homme vicaire de Dieu

On insiste parfois pour dire que l’islam est fataliste. En réalité, lorsqu’on lit le Coran, le jugement se nuance. Non seulement, comme on le rappelait, l’univers est confié à l’homme par Dieu, mais son créateur a fait de l’homme son «Vicaire» ou son «Calife». D’aucuns traduisent son « héritier ». Il est vrai qu’en bien des pages du Livre, Adam et ses descendants sont décrits comme des êtres fragiles: «Dieu veut alléger les contraintes qui pèsent sur vous car l’homme a été créé faible»(IV 28). A en croire le livre, ses défauts sont nombreux (il est souvent présenté comme inique, querelleur, enclin à l’avarice et à l’impatience). Le récit de la création d’Adam est assez révélateur à cet égard (II 30-34). Allah est entouré de ses anges lorsqu’il s’apprête à confier à l’homme sa propre maîtrise sur celui qu’il a créé. Ceux-là s’insurgent ; on ne peut confier l’univers à un semeur de désordre et à un verseur de sang! Dieu pourtant insiste et fait entrer dans le langage celui qui présidera aux destinées du cosmos: «Adam alors révéla aux anges ce qu’ils ignoraient: les noms qui désignent les choses». C’est bien le fait de parler, de se tourner les uns vers les autres, qui fait naître la civilisation. Quand l’humanité aujourd’hui est aux prises avec les désordres qu’entraîne le monde technologique et industriel, quand on se désole devant les rivières souillées, le musulman se rappelle l’effroi des anges mais sa foi est réveillée. Il a le pouvoir et la charge de sauver le don divin.


L'eau et la prière

L’eau, en effet, dans le Coran, vient de Dieu ! Elle est, pour le croyant, attachée à la prière puisqu’elle permet les ablutions; au moins à ce titre elle invite au respect : en un certain sens elle donne accès à Dieu. Par ailleurs, on ne peut la séparer de la vie que Dieu fait jaillir. A plusieurs reprises, revient l’affirmation : « Dieu a créé les êtres vivants à partir de l’eau» (XXI 30). Elle a un caractère dont l’ambigüité est belle. Elle est, par un certain côté, l’instrument dont use le créateur pour le bien-être non seulement des humains mais des végétaux et des animaux. Elle est à la fois l’eau qui, tombant du ciel, fertilise la terre pour qu’en sortent les plantes et l’eau jaillissante qui arrose les pâturages comme le ruisseau qui traverses les jardins de la parabole dont on a parlé. Par un autre côté, l’eau permet de deviner la vie future promise à ceux qui auront reconnu les appels de Dieu au cours de leur vie terrestre, ceux que le texte désigne comme «les gens de la Droite». «Ils seront parmi des jujubiers sans épines et des acacias alignés, sous d’amples ombrages, près d’une eau vive...». A trente trois reprises, quand il est question du Paradis, on nous parle, dans les mêmes termes, «des jardins sous lesquels coulent des fleuves». En ces lieux de l’Eden, certaines fontaines ont des noms. «En des vases d’argent et des coupes de cristal...ils boiront à une coupe dont le mélange sera de gingembre, source là-bas nommée Salsabil» (LXXVI 17). Les plus saints, les élus qui auront vécu proches de Dieu s’abreuveront «à l’eau du Tasnim, source dont s’abreuvent les Rapprochés» (LXXXIII 25-28). Salasabil, Tasnim : ces noms sont familiers aux musulmans et les parents n’hésitent pas à les transformer en prénoms pour les petites filles qui naissent à leurs foyers.

Entre le paradis et ce bas monde, l’histoire, telle que le Coran la rapporte, a connu des moments privilégiés où la Parole de Dieu rejoignait l’humanité. Le jaillissement d’une source est lié à Abraham lorsqu’Agar se trouve à la Kaaba avec Ismaël, à l’heure où il allait mourir de soif. Aujourd’hui encore, les pèlerins, lors du hadj, viennent puiser à la fontaine Zemzem et remplissent des gourdes qu’ils rapportent avec eux: ils en donneront à leurs amis. L’eau leur parlera de Dieu ! Lorsque Marie mit au monde Jésus, alors qu’elle était angoissée à la pensée des réactions de son entourage, « l’enfant qui se trouvait à ses pieds l’appela : ‘ne t’attriste pas ! Ton Seigneur a fait jaillir un ruisseau à tes pieds’» (XIX 24).

A coup sûr dans l’Arabie du VIIème siècle où ces paroles furent entendues pour la première fois, cette référence à l’eau était suggestive. Elément rare dans un pays désertique, elle est associée aux oasis où elle permet culture et vie urbaine. Aujourd’hui, nous, musulmans, dans un monde où nous devenons conscients que cette pénurie touche la planète entière, nous devrions trouver dans la parole de Dieu un appel très fort à rejoindre les efforts des plus humanistes de nos contemporains.


Tout est signe de Dieu

L’eau n’est pas le seul élément naturel qui parle à la conscience musulmane. L’univers tout entier fait signe aux humains, aux croyants en particulier. Avant de s’attacher à son Seigneur, Abraham a pris le temps de contempler l’alternance de la nuit et du jour, le cours des astres et de la lune, le lever du soleil et son coucher. Au terme de ses questions, il peut se tourner plein d’assurance «vers le Créateur du ciel et de la terre» et se détourner de son peuple et des idoles de son peuple.

Une notion importante est attachée au cosmos ; chaque élément qui le compose est un signe que le Créateur adresse à ceux qui ont de l’intelligence, une manière de faire entendre ses intentions et ses appels. « Dieu qui fend le grain et le noyau, fait sortir le vivant du mort et le mort du vivant. Tel est Dieu. Comment vous en êtes-vous détournés ? Il fend le ciel à l’aurore, il vous a donné la nuit pour repos, le soleil et la lune pour comput. Tel est le décret du puissant qui sait. Il vous a donné les étoiles pour guides dans les ténèbres de la terre et de la mer. Nous expliquons les signes à un peuple qui peut savoir. Il vous a fait naître d’un seul, par réceptacle et par dépôt. Nous expliquons les signes à un peuple qui peut comprendre. Il a fait descendre l’eau du ciel. Nous suscitions ainsi la germination des plantes, et nous en suscitions la verdure où naissent les grains agglomérés et, de la spathe du palmier, les régimes de dattes qui pendent. Et des jardins de vignes, des oliviers, des grenadiers mêlés et différents. Regardez leurs fruits, quand ils donnent, et leur maturation. Oui ce sont des signes pour un peuple croyant». On a coutume de dire que la poésie du Coran est signe de son origine miraculeuse ; les lignes qui précèdent aident à comprendre notre conviction. Au cœur de de ce poème, revient le refrain qu’on trouve en maints et maints lieux du Livre «Il y a là des signes ».

Ce qui est vrai de l’eau des pâturages et des fruits l’est aussi des animaux. Tout ce qui existe –minéral, végétal, animal – est au service de l’homme, soumis à l’homme et signe de Dieu : « Il vous a soumis les êtres des cieux. Tous les êtres de la terre viennent de lui. Certes, ce sont là des signes pour ceux qui réfléchissent» (XLV 13). Certains Européens sont indignés par l’immolation de l’agneau au moment de l’Aïd. Ils oublient le respect pour la victime de la part du sacrificateur qui a appris les gestes pour éviter que l’animal souffre. Donné par Dieu pour le bien de l’homme et sa nourriture, l’Aïd donne l’occasion de reconnaître que ce qui lui permet de nourrir son corps et de le maintenir en vie est «signe de Dieu».


Contempler l'univers ou lire le livre

« Signe de Dieu » traduit en français le mot arabe qui désigne non seulement chaque élément composant l’univers mais chaque verset du Coran: «ayat». A cette première remarque, il faut en ajouter une seconde. Le mot « Créateur » attribué à Dieu a une signification bien précise. Ce qui existe est réponse à un appel de Dieu. Aucune réalité, aussi concrète fût-elle, n’existerait si elle n’avait pour racine l’impératif «sois» («kun» en arabe). «Dieu crée ainsi ce qu’il veut : lorsqu’il a décrété une chose, Il lui dit ‘Sois !’ (Kun!) Et elle est »(III 47). Lorsqu’on tient compte de ces deux remarques, on comprend ce que peut être le regard du musulman croyant lorsqu’il regarde les nuages du ciel ou le visage de son voisin, le sommet des montagnes, l’immensité de la mer ou le grouillement des villes. Ouvrir les yeux sur la réalité ou prendre le livre du Coran pour le lire ou le psalmodier procèdent d’un même esprit. Lire le livre ou contempler l’univers conduisent, dans les deux cas, à se rappeler que Dieu nous demande de nous retourner vers Lui et de retourner à Lui. On sait quel respect le croyant musulman porte à son livre; il ne supporte pas que quoi que ce soit de profane repose sur sa couverture. La langue arabe elle-même est objet d’une véritable vénération. N’est-elle pas la langue de Dieu? Lorsqu’un texte arabe, même profane, traîne à terre, le musulman le ramasse, par respect. S’il est cohérent avec sa foi, il s’indignera lorsqu’il prendra conscience que la technologie moderne, inséparable du culte de l’argent, gâche l’atmosphère, accroît l’effet de serre, abîme la création qui fait entendre la volonté et le désir que Dieu a de l’homme, son lieutenant, son héritier.

Revenons à la parabole des deux jardins d’où nous sommes partis. Cet homme qui vit sa récolte ravagée avait un voisin moins fortuné mais plus sage que lui. Lorsque le privilégié entrait dans son champ, il disait: «Je ne pense pas que ceci périsse jamais. Je ne pense pas que l’Heure vienne». Cette Heure, bien sûr, est celle du dernier jour. La tentation est de l’oublier et de prendre ses propres désirs pour la volonté de Dieu. Cette confusion qui remplace la volonté de Dieu par la volonté de l’homme est le péché par excellence en islam ; les musulmans y voient une forme d’idolâtrie. Son voisin tentait de le lui rappeler : « Ne sais-tu pas gré à celui qui te créa de terre puis de sperme et te donna forme humaine? Pour moi, Dieu est mon Seigneur et je n’ajoute rien à mon Seigneur ». Se souvenir de l’Heure, se rappeler que la vie qui nous est donnée avec l’environnement qui nous est confié, doit retourner à Dieu, telle est la conviction de celui qui se soumet à la volonté d’Allah. Lorsque ses contemporains, chrétiens, juifs ou agnostiques ont des raisons d’exercer leur vigilance, le musulman se doit de les rejoindre. Plus qu’un autre il devrait être conscient des responsabilités de l’homme pour la marche de l’univers, sa sauvegarde et sa beauté.

Stephan Hessel est né d’un père juif et rien ne laisse entendre qu’il soit croyant. Il vient d’écrire un beau texte. Fort de son expérience lors de la seconde guerre mondiale face à l’oppression des forces nazies, il s’adresse aux jeunes générations dans une sorte d’appel qu’il intitule «Indignez-vous». C’est une invitation à la résistance contre les forces du mal. Nous nous devons de le citer avant de conclure: «Nous avons eu une crise économique mais nous n’en avons pas davantage initié une nouvelle politique de développement. De même le sommet de Copenhague contre le réchauffement climatique n’a pas permis d’engager une véritable politique pour la préservation de la planète. Nous sommes à un seuil, entre les horreurs de la première décennie et les possibilités des décennies suivantes. Mais il faut espérer, il faut toujours espérer». La raison d’espérer apparaît dans les toutes dernières lignes : « Créer, c’est résister. Résister c’est créer.»

Musulmans de « La Maison Islamo Chrétienne » nous faisons nôtre cette conviction. Nous nous y rallions d’autant plus volontiers que nous sommes à une époque où l’islam s’enferme parfois dans des attitudes qui compromettent son message. On tue des hommes dans l’espoir de faire advenir une société musulmane où les préceptes de la Sharia feront loi. En réalité, les versets du Coran à caractère juridique sont en nombre infime. Le message qui doit nous faire vivre nous tourne vers la sauvegarde de la nature beaucoup plus que vers une morale politique étriquée. A la suite de Stephan Hessel, nous appelons à la résistance contre les forces de l’argent et de la concurrence pour sauver la création de Dieu.

Saad Abssi
Mohammed Benal




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