Les religions trahies par les violents
Mustapha Cherif
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Mustapha Cherif rappelle qu’en justifiant la violence par la religion on la trahit. En découvrant les vraies causes de la violence, on reconnaît que les livres saints procurent la paix intérieure, rendent désirable la vie commune et révèlent la miséricorde de Dieu.


La juste place du sacré

Les religions, notamment monothéistes, ont une mauvaise réputation au sujet de la violence. C’est un immense quiproquo, à cause du comportement négatif d’une partie de leurs adeptes et des dérives de leurs institutions cléricales qui ont interféré dans le domaine profane.

Elles sont pourtant censées favoriser la paix et permettre la maîtrise des pulsions de violence. Ceux qui sombrent dans la violence, toujours injustifiable, sont des sectes qui trahissent les Messages spirituels.

C’est un problème qui concerne le respect de la vie humaine. Il n’y a rien de plus sacré que la vie humaine, la dignité humaine, la liberté humaine. Contrairement au totalitarisme des fondamentalistes, l’islam ne sacralise pas tout.

Les domaines du sacré en islam sont circonscrits à la vie humaine, au livre révélé et aux lieux saints. Tout en appelant à faire effort sur le chemin de Dieu, l’islam ne prône en aucun cas la violence, l’acte sacrificiel et le suicide. C’est un sacrilège.

En Europe, il a fallu des siècles de luttes pour distinguer entre le domaine du temporel et celui du spirituel, entre le religieux et le profane. Distinction naturelle en islam, mais qui ne verse pas dans l’opposition entre les deux dimensions. Dans la civilisation musulmane la part du sacré tient sa juste place, ni totalitarisme, ni marginalisation. Le fondamentalisme qui cherche à imposer le sacré partout est une dérive récente.

Dans le monde moderne, de par l’histoire douloureuse du christianisme et des idées philosophiques humanistes et matérialistes, le sacré s’est considérablement réduit. Il a quasiment disparu, subsistant dévitalisé, coupé de la marche du temps. Même si la foi subsiste et que des croyances de toutes sortes se multiplient.

Nous devons rechercher la juste place du sacré, de la norme supérieure. Sa disparition, le vide, ou au contraire sa domination, le trop plein, produisent des déséquilibres et des violences.

Il est sage, comme dit Jacques Berque de préserver « une étincelle de sacré, qui nous rendrait tout le reste par surcroît. Pourvu que l’étincelle subsiste, cela suffit. » (1) Il ne faut pas que le sacré disparaisse, sous prétexte d’émancipation, ni domine tout, sans quoi l’humanité ne serait ni guidée, ni responsable.

Liberté de l’homme et transcendance, guidance sacrée et responsabilité humaine, sécularité et foi, doivent pouvoir cohabiter, s’harmoniser, se conjuguer. Sans l’étincelle du sacré et un horizon de liberté, l’homme sera amputé de l’essentiel. Trop de sacré, ou absence de sacré conduisent à des déséquilibres et violences. L’islam vise la mesure, l’équilibre, le lien, sans confusion. Il y a aujourd’hui plusieurs sortes de violences. Toutes inacceptables. La violence n’a pas de nationalité, de race ou de religion.

Elle est liée à des contextes et peut être menée autant par des systèmes, que par des groupes et des individus. La violence des groupes extrémistes est un aspect de la violence de notre époque. Dans tous les cas, toute violence est injustifiable et inadmissible. Les causes sont multiples et complexes.


Les causes de la violence

La première cause est la désorientation, la crise du monde moderne, liée à l’absence de normes supérieures, de sacré, d’idéal, et au relâchement de liens sociaux. Cela suscite des déséquilibres, des souffrances psychiques, des névroses, des dépressions et des pulsions mortifères. La modernité, malgré ses avantages, s’est construite indirectement contre la religion.

L’individualisme, l’égoïsme et le consumérisme, au lieu et place du bien commun, de l’éthique et du savoir-être, déstabilisent l’humain. La perte de sacré, la désignification et la deshumanisation sont problématiques. La désorientation, la crise de l’humanisme et le vide existentiel, produisent de la violence.

La deuxième cause est la violence du système dominant, marquée par la non reconnaissance d’autrui, l’injustice, la misère économique, l’humiliation, les discriminations. La loi du plus fort, comme l’analyse Jacques Derrida, produit des réactions violentes « autodestructrices » (2). Le non respect de la dignité humaine est source de désordre et de réactions violentes.

Troisièmement, l’ignorance est une des causes de la violence. Des valeurs et principes religieux incompris et mal interprétés, conduisent à des contre-sens funestes. L’instrumentalisation de textes sacrés et les lectures arbitraires de versets isolés, non contextualisés, peuvent conduire à des violences. Cela trahit l’économie générale du Coran qui est clair, la finalité doit être la paix.

Le croisement de ces trois causes, perte de sens, injustice et ignorance, selon des situations diverses, de vide, ou de trop plein, d’excès, mènent à des dérèglements. Il faut discerner et éduquer pour tarir et assécher ces causes multiples enchevêtrées du phénomène de la violence multiforme aujourd’hui.

La paix est le bien le plus précieux que l’humanité puisse avoir. Ce n’est pas seulement l’absence de guerre. Ce n’est pas non plus le pacifisme, ou la soumission. C’est le respect des lois, du droit et des valeurs universelles, la tranquillité du cœur, la vigilance, l’éveil des consciences, la maîtrise de soi.

La paix est une valeur haute, un degré élevé de l’attitude humaine, pour dépasser les épreuves et apprendre à vivre ensemble. C’est un horizon toujours perfectible. Le but de toute personne et de toutes les nations est la paix durable.

L’adversité étant intrinsèque au monde, la religion a pour mission et vocation de faciliter les voies et moyens pour prévenir et régler pacifiquement les conflits, cerner et mettre en œuvre les conditions de la paix.

Même si parfois des croyants dévient et sont inhumains et violents, les religions visent la paix : « Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre.  » (Jean 14-27) et « par le rappel de Dieu s’apaisent les cœurs » (Coran, 13-28)

Paix intérieure

Le sens spirituel de la paix en islam est central. Tous les prophètes annoncent que Dieu exige la paix : « Paix sur les Messagers » (Coran 37-181). Le Coran est une guidance, une proposition, une promesse de paix faite aux croyants sur le chemin de la vie et pour l’au-delà. La paix du cœur, intérieure est essentielle.

En islam, le mot Paix est un des beaux noms de Dieu. La paix est répétée des dizaines de fois dans le Coran. L’islam signifie paix. Islam et paix sont des mots de la même racine.

Être musulman s’est s’en remettre à Dieu dans la paix et la confiance : « C’est en Dieu que les croyants doivent placer leur confiance ! » (Coran 14-11). Le paradis est nommé la Maison de la paix : « Le séjour de la paix leur est destiné au près de leur Seigneur en récompense de leurs actions » (Coran 6-127). Le Salut entre les humains, l’adresse à l’autre, se traduit par « salam  » la paix. La paix est un don que l’on adresse à l’autre : « Quant à vous, saluez par un signe de paix, saluez d’une façon encore plus polie. » (Coran 4-86). Selon la tradition prophétique, il faut toujours préférer la paix. Le meilleur de tous les hommes est le plus pieux, celui qui, pour la Face de Dieu, maîtrise ses passions, ses colères et ses pulsions, pour vivre en paix intérieurement. Paix avec soi-même et avec autrui : « Ô vous qui croyez ! Entrez tous dans la paix… » (Coran 2- 208). L’attitude de la paix, selon le Coran, consiste à tout faire pour éviter l’usage de la force.


La légitime défense de la vie

Le recours à la légitime défense pour que la vie paisible l’emporte est le dernier recours, selon des conditions humanitaires strictes, afin que la violence ne dégénère pas. Pour les religions, la paix n’est pas une utopie, mais une dialectique à protéger et qui se mérite. Il faut savoir la réaliser.

Jésus qui se veut amour et paix, affirme, selon Luc : « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non. » (Lc 12, 51) et en même temps : « Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » (Lc 19, 38).

C’est une problématique à méditer. De même, le Coran magnifie la paix et invite à défendre de manière juste et éthique la dignité humaine, à faire l’effort (jihad) pour réaliser la paix. Instaurer la paix nécessite de faire respecter des règles et normes. Tout comme il n’y a pas de liberté sans loi.

Le Coran ne demande jamais de combattre la pluralité, les différences, ou les autres croyances, mais seulement les agressions, en dernier recours comme légitime défense et de manière proportionnée.

Le Prophète demande au croyant de ne jamais s’emporter, ni donner raison aux violents en laissant faire. Mais au contraire d’agir dignement pour donner à penser et ramener les égarés au chemin droit. Cela signifie que pour bâtir une paix vraie et durable, il ne faut pas favoriser le rapport du loup et de l’agneau.

Au temps du Prophète, à la Mecque, après treize ans de patience, de non-violence héroïque et d’endurance, face à l’hostilité violente des polythéistes, Dieu autorisa les croyants à se défendre après avoir rejoint Médine, afin que la communauté naissante ne disparaisse pas. Cela se réalisa dans le respect de strictes règles humanitaires. Les extrémistes sont l’anti-islam, l’antihumanisme. La paix intérieure, la paix sociale et la paix universelle, le petit jihad, celui de la juste et légitime défense, qui relève de la responsabilité de l’État, et le grand jihad, individuel, celui intérieur contre les passions et les pulsions négatives, se cultivent et se construisent. Ils ont leurs conditions, dont la principale est la justice. La paix et la justice sont liées.

Le vivre ensemble

L’homme est responsabilisé pour respecter autrui. Il pour tâche majeur d’établir la paix en lui et dans le monde. Dieu, précise le Coran avec clarté « n’aime pas les agresseurs » (Coran, 2-190). Il appelle à respecter, à être équitable: « Dieu ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Dieu aime les équitables » (60- 8).

Il prône le rapprochement : « Dis : - Ô gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n’adorions que Dieu, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors de Dieu-. Puis, s’ils tournent le dos, dites : « Soyez témoins que nous, nous sommes confiants » (3.64).

Il interdit l’interférence dans la conscience humaine : « Nul contrainte en religion » (Coran, 2- 256). La liberté est le fondement de l’existence. Seul Dieu jugera les hommes. Découvrir et appréciez comment l’autre pratique l’adoration, honore la vie et prends soin de son âme, est salutaire.

Pour l’islam, reconnaître le droit à la différence, dialoguer et respecter les lois de la société, pour coexister pacifiquement, trouver des accommodements raisonnables, est à la base du vivre ensemble, de la politique sage. C’est cet art de vivre qu’il faut inculquer. La question du vivre ensemble en paix doit être abordée avec toutes les générations.

Avec les enfants, il est utile d’en parler de manière simple et directe : enseigner que rejeter autrui différent est un mal qui peut toucher tous les êtres humains. Il s’agit de rappeler un fait naturel : les différences sont une richesse.

Le but est de donner aux citoyens de tous âges des repères sur la diversité culturelle de la société et de les faire accéder à une représentation non essentialiste et féconde d’une communauté nationale ou universelle, afin de favoriser le vivre ensemble et la fraternité humaine.


La miséricorde

Après l’unicité de Dieu, si il y a un maître mot qui caractérise l’islam, l’originel, celui du Coran, du Prophète, c’est celui de Miséricorde : « Et Nous ne t’avons envoyé qu’en Miséricorde pour les Mondes » (21.107).

C’est le nom le plus usité de Dieu et le chemin, la porte, l’horizon, qui ouvre la possibilité d’une paix durable et juste. La miséricorde en islam est forte et large, elle englobe l’amour, l’estime et l’amitié.

Sur cette base, il est raisonnable et juste de pardonner, afin de préférer toujours la paix. L’islam interdit la vengeance, la rancune, la surenchère et tout ce qui perturbe et contrarie la vie humaine.

L’immense majorité des croyants, partout dans le monde, est opposée à la violence. Elle sait qu’aucune religion n’a le droit d’imposer sa conception de l’existence. Elle sait que tout comme l’inquisition n’est pas dans l’Évangile, le terrorisme n’est pas dans le Coran.

La terminologie n’étant pas innocente, les musulmans refusent le néologisme horrible de « djihadisme ». Car le terme jihad, l’effort pour se réaliser et défendre la vie, n’a rien à voir avec la barbarie. Les musulmans sont opposés au dévoiement de leur religion par les uns et les autres.

Ensemble des citoyens de toutes les communautés, convictions et cultures, dans la fraternité humaine, défendent la paix, la justice et toutes les victimes. Les musulmans, même si cela n’est pas assez mis en avant, dénoncent les usurpateurs qui trahissent l’islam et commettent des actes inhumains.

Les élites musulmanes répondent souvent à toutes les questions et élaborent même des contre-discours éducatifs, théologiques, spirituels et politiques pour s’opposer au fanatisme, au contre-sens et à l’instrumentalisation du sacré.

La résilience reste vivace, le Coran précise : « Si Dieu ne repoussait pas certains hommes en leur opposant d’autres hommes, des monastères seraient détruits, ainsi que des synagogues, des oratoires et des mosquées où le Nom de Dieu est invoqué » (Coran, 22-39). L’avenir est au vivre ensemble dans la paix.

Mustapha Cherif
MC est philosophe et islamologue, auteur notamment de L’émir Abdelkader, apôtre de la fraternité, éditions Odile Jacob, Paris 2016, prochain ouvrage L’éthique en islam »


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