Jérusalem,le sacré et l'universel
Christian Lochon
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Christian Lochon est professeur à Paris II. Arabisant, spécialiste des pays du Proche-Orient, il a bien voulu nous autoriser à publier ce texte qu’il avait préparé pour l’université d’hiver de « Chrétiens du Proche-Orient ».
Cette vision panoramique de l’histoire de la Ville à travers les siècles peut servir d’introduction à ce dossier sur Jérusalem.

Rappel historique

Jérusalem (signifiant « On y voit la paix »), dont les lieux de pèlerinage étroitement imbriqués appartiennent à trois religions. En 1000 av. J.C., le roi David en fait sa capitale  ; son fils Salomon construit sur le Mont Moriah, lieu du sacrifice d’Abraham, le premier temple divisé en trois parties sur le modèle égyptien. Nabuchodonosor, en -597, rase l’édifice et déporte 10 000 habitants en Mésopotamie. Hérode au Ier s. reconstruit le temple qui sera définitivement détruit en 70 après J-C par Titus et les habitants juifs dispersés. Ainsi, dans un périmètre de 500 m, les Juifs du monde entier se recueillent devant le vestige du mur occidental « des Lamentations » tandis qu’au sommet de la colline qui les surplombe, se trouve les Mosquées du Rocher élevée en 691 et d’Al Aqsa en 719, tandis que la ville est parcourue par des processions de pèlerins chrétiens. Cette ville bénéficie ainsi d’une triple sacralisation de son espace. Les Lieux saints proprement dits sont les églises du Saint-Sépulcre et de la Nativité (Bethléem), les Mosquées du Rocher et d’Al Aqsa et le Mur Occidental. La question diplomatique des Lieux Saints est un problème pérenne d’équilibre international. Les biens des Églises de Terre Sainte bénéficiaient d’un statut spécial depuis l’époque ottomane, dit des Capitulations, remis en cause aujourd’hui.

Jérusalem juive

En 1492, l’expulsion des juifs d’Espagne les fait se réfugier au Maghreb et dans l’Empire Ottoman. En 1517, dans la Palestine ottomane, se reconstituent des communautés juives à Jérusalem suivies par des Hassidim des Pays Baltes et de Pologne. En 1882, la Palestine compte 24 000 juifs sur 600 000 habitants. En 1897, à Bâle, Theodor Herzl, journaliste hongrois fonde le sionisme politique et le nombre de juifs double jusqu’en 1915. La déclaration Balfour du 02/11/1917 d’un « foyer national juif » attire de nombreux juifs d’Europe Centrale. En 1934, le Conseil Municipal de Jérusalem compte 6 Juifs, 4 Musulmans et 2 Chrétiens. En 1948, l’indépendance d’Israël divise Jérusalem en deux parties ; l’Est devenant jordanien. En 1967, Jérusalem réunifié s’étend alors à 73 km2 puis à 440 km2 au lieu de 6. Le Quartier des Maghrébins est complètement détruit, dégageant ainsi la vaste esplanade devant le Mur Occidental. En 1980, la ville est proclamée capitale d’Israël malgré les résolutions 470 et 478 de l’ONU qui le contestent.

Pour Joseph Maïla, « le judaïsme revendique Jérusalem comme le point central de symboliques spirituelles. Le sionisme fera au 20e siècle du retour à Sion le but d’une entreprise de reconstitution de l’espace étatico-national du peuple juif ».

Jérusalem chrétienne

Hélène, mère de l’Empereur Constantin redécouvre le tombeau du Christ et bâtit en 335, la Basilique « Anastasis » (Résurrection), attirant des pèlerins européens. En 614, Chosroes II prend Jérusalem, massacre la population, brûle l’Anastasis et emporte la Vraie Croix. En 629, Héraclius la rapporte. En 629, le Patriarche Sophronius remet les clés de la ville au calife Omar. En 710, le Saint Sépulcre est détruit  ; il sera reconstruit de 1017 à 1048 par l’Empereur byzantin Michel Ier. De 1099 à 1187, les Croisés occupent Jérusalem. En 1333, les Franciscains obtiennent du Sultan Al Malik Al Nasser la garde des Lieux Saints (Custodie) jusqu’en 1662 puis de 1690 à 1757 ; les Orthodoxes leur succèdent avec l’appui des Russes. En 1774, le traité de Koutchuk Kaînandji reconnait Catherine II « protectrice des Slaves et des chrétiens orthodoxes ». En 1808, le Saint Sépulcre détruit par un incendie, est reconstruit par les Russes et le clergé orthodoxe malgré les protestations des Franciscains. En1841, les Protestants européens créent un évêché anglo-prussien. En 1848, le Patriarcat latin est confié à un missionnaire italien, venu de Mossoul. En1852, un firman du Sultan Abdelmadjid reconnaît définitivement les Grecs, les Latins et les Arméniens comme triples gardiens des Lieux Saints. En 1875, la ville abrite 15 couvents orthodoxes, 4 latins et 3 arméniens. En 1980, le Patriarche latin est enfin un Palestinien, Mgr.Sabbah. En 2015, deux Saintes palestiniennes sont canonisées à Rome  : en mai 2015, Sœur Maryam Baourdi de Galilée (1846-1878) du Carmel de Bethléem et Mère Alphonsine Ghattas de Jérusalem (1843-1927) de la Congrégation du Rosaire.

Selon un protocole remontant à l’époque ottomane, le Consul de France à Jérusalem (depuis 1850) protecteur de 43 établissements regroupant 300 religieux, reçoit chaque année les clés du Saint-Sépulcre et assiste à la messe en l’honneur de la France à la basilique Sainte-Anne.

Les Chrétiens locaux appartenant aux rites catholiques chalcédoniens, de langues liturgiques arabe, syriaque, copte, arménienne, sont arméniens (200), chaldéens (200), syriaques (100), coptes (100), melkites (200), maronites (100), latins orientaux (300). Le Statut de l’Église catholique en Israël, signé en 1993, n’a pas été ratifié et les menaces actuelles d’expropriation du Gouvernement israélien remettent en cause ce statut.

Les orthodoxes arabophones (2000) dépendent en partie de leur Patriarche à Damas, hellénophones (500), de leur Patriarche à Jérusalem et plusieurs milliers de russophones du Patriarcat de Moscou.

Les non-chalcédoniens sont les Arméniens grégoriens (300), dont leur Patriarche résidant depuis 638 est subordonné à celui d’Etchmiadzine, les Coptes égyptiens (1000) rattachés au patriarcat du Caire, les Coptes éthiopiens à celui d’Addis Abeba, les Syriaques monophysites à celui de Damas. Les Luthériens arabophones (1600) ont conservé un évêque local. Le Saint-Sépulcre, géré par les Arméniens, les Grecs orthodoxes et les Latins (Franciscains), accueille aussi les autres rites chrétiens de même que la basilique de la Nativité à Bethléem. L’École biblique et archéologique française, a été fondée en1890 par les Dominicains ; l’Hôpital Saint-Louis est confié depuis 1848 aux Sœurs de St Joseph de l’Apparition ; la Basilique de l’Annonciation aux Franciscains.

Jérusalem musulmane

L’islam primitif oriente la prière vers Jérusalem pendant 18 mois. En 638, le calife Omar s’empare de Jérusalem. Moawiya y sera proclamé calife. Le calife Abdelmalek (687-691) bâtit sur le Mont Moriah la Mosquée du Rocher (1200 m2), creusée dans le rocher sur un modèle de martyrium chrétien. En 719, le calife El Walid construit la mosquée Al Aqsa qui comporte 17 nefs accueillant 5000 fidèles. Le voyage mystique que le Prophète de l’islam entreprit sous la direction de l’Archange Gabriel jusqu’à la ville sainte de Palestine puis vers le Ciel a ancré Jérusalem dans l’imaginaire religieux. C’est vers 690 que la ville appelée chez les chroniqueurs arabes « Ilia » d’après son toponyme romain, prendra le nom d’Al Qouds (La Sainte). La ville attirera désormais les mystiques  ; Rabia Al Adawiya y meurt en 810. Des membres de confréries musulmanes d’Iran s’y installeront également. Le théologien Al Ghazali y demeura au XIe siècle. La sacralisation de Jérusalem aura transformé la reconquête de Saladin en guerre de « jihad ». Les Ottomans occupent Jérusalem de 1517 à 1917. Les panégyriques Louanges de Jérusalem encouragèrent la visite de la ville par les bienfaits qu’on pouvait en tirer comme « Une prière à Jérusalem vaut 500 prières  ». Aussi, l’incendie provoqué dans cette mosquée en 1969 souleva une émotion considérable dans le monde musulman.

Répartition confessionnelle et fait accompli

En 1267, on dénombre deux familles juives à Jérusalem  ; en 1525, 616 familles musulmanes, 199 juives, 119 chrétiennes ; en 1621, 11000 musulmans, 5000 juifs, 3000 orthodoxes et arméniens et 800 latins ; en 1844, 7120 Juifs, 5000 Musulmans, 3390 Chrétiens ; en 1922, 34 000 Juifs, 13 500 Musulmans, 9000 Chrétiens ; en 1948,100 000 Juifs, 40 000 Musulmans, 25 000 Chrétiens ; en 2015 525.700 Juifs, 307 300 Musulmans et 12 400 Chrétiens. En Israël, 8 millions d’habitants se répartissent en 15% d’Arabes israéliens, dont 120 000 Chrétiens, 50 000 autres illégaux et 10% des 1. 200.000 Russes immigrés.

Le grave blocage dans les institutions politiques israéliennes et palestiniennes vient de la montée des radicalismes religieux. Les Israéliens ne veulent plus entamer de négociations. Le Président Abbas appelle en vain les dirigeants arabes à une position ferme et unifiée face à Israël poursuivant la colonisation. Ni l’Arabie Saoudite, ni les Émirats, ni l’Égypte, en 2018, ne veulent désormais s’engager dans la recherche d’une solution qui leur a déjà coûté cher en investissements financiers et humains. La plupart des États arabes ont reconnu discrètement le fait accompli de l’annexion de la Palestine.

Le « mur de l’apartheid » a été conçu pour provoquer l’émigration définitive des Palestiniens. Ce qui prend quelques minutes pour se rendre de la banlieue de Jérusalem au centre-ville pour un Israélien exige d’un Palestinien 4 heures de contournement. Le mur a touché durement les Chrétiens du point de vue économique ; Bethléem à dix minutes de voiture au sud de Jérusalem est isolée depuis 2005 ; les permis sont rarement accordés contribuant au drame de la liberté de circulation. Dans la rue, les affrontements sont constants entre ultra-orthodoxes et policiers, et dans les colonies, entre résidents ultranationalistes anti-arabes et forces de l’ordre. Dans ces conditions, comment renouer des négociations apaisées avec les Palestiniens ?

Entre Israéliens et Palestiniens, existera-t-il un jour une commission Vérité et Réconciliation ? Pour l’instant, tout est bloqué et ce qu’on retient de la politique israélienne, c’est que le projet sioniste de peuplement par des Juifs uniquement de toute la Palestine est le seul permanent.

Christian Lochon

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