Le père d'Isamël et d'Isaac
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Le nom d'Abraham nous vient du Coran et de la Bible.
Nos Ecritures amorcent des traditions qui ne se confondent pas
mais qui demeurent vivantes
aussi bien en islam qu'en christianisme.


Abraham et nos Ecritures

Abraham ! Le mot signifie « père de beaucoup de peuples ». Les historiens ne peuvent affirmer avec certitude qu'il ait vraiment existé.

Son nom accompagne une sorte d'osmose, près de deux mille ans avant l'ère chrétienne, entre les populations sédentaires résidant en terre cananéenne et les clans semi-nomades qui y transitaient. Des contrats et des traités réglaient les rapports entre les uns et les autres. Par ailleurs, deux tribus venant d'Egypte rencontrèrent ces populations en voie de métissage. L'une venant du Nord s'installa à Sichem après avoir franchi le Jourdain, l'autre vint s'installer aux portes du désert, à Bersabée et à Hébron. Ce croisement, aux dires des savants, aurait permis l'avènement du peuple hébreu grâce à l'élaboration d'un système généalogique. Chacun de ces groupes se référait à un ancêtre dont il portait le nom. « Jacob-Israël » serait le nom des populations contenues sur la terre de Canaan. «Abraham» et «Isaac» seraient les noms attachés à chacune des deux tribus venant d'Egypte. En devenant un seul peuple, le peuple aux douze tribus, une tradition se fit jour où Abraham fut considéré comme l'ancêtre commun aux occupants de la terre de Canaan. Isaac devenait son fils et le père de « Jacob-Israël ».

En réalité qu'Abraham, aux yeux des historiens, ait existé ou non importe peu. Son nom est plus important que son histoire. Pour les lecteurs de la Bible, juifs et chrétiens, il évoque ce qui traverse toute histoire humaine : un appel ; cet appel est singulier à un double titre. D'une part il parvient à l'humanité entière : l'universalité lui est attachée. D'autre part cet appel véhicule le désir d'un Autre dont le mot Dieu évoque le travail. Ce que la Bible dit de lui commence par l'invitation qui lui est adressée : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père ». Pour les lecteurs du Coran, le nom d'Abraham est de tous les personnages de l'histoire sainte, celui qui est le plus souvent cité : six sourates suffisent pour parler de Jésus, il en faut vingt-cinq pour raconter l'action d'Abraham.


La promesse d'une terre

Dans la Bible, au nom d'Abraham est attachée la promesse d'une terre. L'appel qui lui est adressé est le point de départ d'une aventure qui se prolonge à travers le Cinq livres du Pentateuque. A l'appel de YHWH, Abraham se déplace pour arriver en Canaan, à Sichem. D'Abraham à ses descendants, en passant par Isaac et Jacob, naissent douze tribus que la famine contraint à émigrer en Egypte. A travers le désert, les douze tribus, arrachées à la servitude du Pharaon, remontent jusqu'en Canaan. Au terme d'une longue marche étalée sur quarante ans, les tribus se retrouvent là où tout avait commencé. Avec Abraham, à en croire la Bible, l'histoire est celle du passage en Canaan de l'ancêtre d'un peuple. Avec Moïse qui meurt, le passage en Canaan est ouvert pour la descendance d'Abraham. A travers les événements, la promesse demeure inébranlable. Les époques ne se ressemblent pas, les personnages bougent mais la promesse reste intacte. Abraham la reçoit au départ de l'histoire d'un peuple ; elle se retrouve au terme du long périple de l'Exode. Sur le Mont Nebo où arrive Moïse on découvre la terre, objet des promesses. Moïse mourra sans y pénétrer mais avant de disparaître il reçoit cette annonce : «  Voici le pays que j'ai promis par serment à Abraham, Isaac et Jacob en ces termes : 'je le donnerai à ta postérité'. Je te l'ai fait voir des yeux mais tu n'y passeras pas » (Dt 34,4).

Certes, pour le Coran, Dieu est fidèle à ses promesses mais Abraham est surtout le modèle de la foi pure et de l'obéissance absolue. Il est à lui seul « tout un peuple ». « Docile envers Dieu, c'était un vrai croyant... Suis la religion d'Abraham, un vrai croyant » (16,120-123).

A l'époque où retentissait le message coranique, la société, mecquoise ou médinoise, reposait sur les liens du sang et sur la volonté du père. Le comportement d'Abraham devait paraître révolutionnaire : il n'hésite pas à s'affronter à celui qui lui a donné la vie. Ce dernier refuse de quitter ses idoles. Le fils alors préfère les liens qui l'unissent à Dieu aux liens du sang qui l'unissent à celui que le texte appelle Azar : Il se soumet de façon absolue à la volonté de Dieu, se manifestant ainsi comme le premier des «  soumis » ; le mot arabe, « muslim », peut aussi bien se traduire par « musulman ». D'une certaine façon, en le présentant aux fidèles de Médine, le Coran conteste que le père d'Ismaël reste aux mains des juifs ou des chrétiens qui se réclamaient de lui (3,67 ; 16,120). Il fait ainsi de l'islam - la religion qui rassemble les « soumis » - un ensemble qui précède le judaïsme comme le christianisme. Dans le même mouvement il fait de Mohammed le Prophète du commencement, celui qui rétablit la foi des origines avant que l'humanité ne sombre dans l'idolâtrie ou n'altère le message de Dieu. Il fait de Mohammed celui qui précède Abraham lui-même.

Parlant de la foi d'Abraham, il faut évoquer la page sublime où, méditant sur le caractère éphémère des astres et du cosmos, il découvre le créateur, Celui qui dépasse les étoiles, la lune ou le soleil. (6,75-79) « Dieu plus grand : Allahou akbar ! »


Abraham, Agar et Ismaël

On peut, certes, être sensible aux nuances que le Coran apporte à la figure du premier monothéiste par rapport à ce qu'en dit la Bible. Certains y verront matière à polémique. Ces différences ne doivent pas masquer la parenté entre les textes. Les oiseaux découpés, placés sur des collines séparées et revenant à la vie (2,260) évoquent le sacrifice d'alliance où, dans la Genèse, les rapaces se précipitent sur les animaux mis en pièces (Gen. 15,9-10). L'histoire de Sodome, de Loth, le neveu d'Abraham, de l'intercession en faveur de la ville menacée puis détruite telle qu'elle est narrée dans le Coran est l'écho de ce qu'on lit au livre de la Genèse (18-19). Le rire de Sara à l'annonce d'une naissance, la promesse d'une descendance sont, en chacun des livres, matière à développements parallèles.

Comment expliquer cette parenté ? Laissons la question aux historiens ou aux théologiens. Il est sans doute plus important de souligner comment, chez les uns et les autres, lecteurs de la Bible ou du Coran, la figure d'Abraham s'incarne aujourd'hui dans le comportement religieux des uns et des autres.

Entre le Livre et le Pèlerinage à La Mecque - un des cinq piliers - le lien est étroit. La ville elle-même est inséparable du nom de celui qui aux yeux de l'islam est le premier des musulmans. Il convient à ce propos de souligner que si ces derniers se considèrent ses « héritiers » c'est par l'intermédiaire d'Ismaël, le fils d'Agar, la servante de Sara. Celle-ci, chassée par sa maîtresse, se serait retrouvée avec un bébé sur les bras. Ce n'est pas le Coran mais la tradition qui rapporte l'épisode. Le départ de la servante et de son fils marque le premier voyage d'Abraham à La Mecque : il accompagne son premier fils et sa mère jusque dans le désert. Le croyant, aujourd'hui, raconte la scène avec émotion. La femme devine qu'elle va être abandonnée ; elle interroge le Maître et le Père : « où vas-tu ? ». La réponse se fait attendre et la question se répète par trois fois. Abraham, à en croire la tradition, ne prononce pas un mot mais il hoche la tête sans lever les yeux. Le cSur brisé, il quitte ceux qu'il lui faut abandonner. « Son Seigneur lui dit : soumets-toi ! ». La scène illustre cette parole du Coran (2,131 ).

Ultérieurement le père les aurait rejoints et, avec son fils Ismaël, aurait construit la Kaaba comme le Temple par excellence, le « premier qui fut placé pour les hommes » (3,96), « la Maison... lieu de visite et refuge pour les hommes » (2,125). Ce point de repère, bien visible dans le texte, fait naître le premier des rites qu'accomplit le fidèle lors du Hajj. Il rappelle le commandement adressé par Dieu : « Nous avons confié une mission à Abraham et Ismaël : ' Purifiez ma maison pour ceux qui accomplissent les circuits ; pour ceux qui s'y retirent pieusement, pour ceux qui s'inclinent et se prosternent'! » (2,125). En effet, ayant à peine revêtu les vêtements qui le mettent en état de sacralisation, les processions rituelles entraînent le pèlerin à faire le tour de la Kaaba. Autour de ce point gravite la vie des musulmans du monde entier. C'est vers lui qu'ils se tournent, quel que soit le lieu du globe où ils se trouvent. Comment mieux faire sentir la place centrale d'Abraham ?


Le fils sacrifié ?

« Safa et Marwa font partie des repérages de Dieu. Quiconque visite la Maison (entendons la Kaaba) en pèlerinage communautaire ou privé pourra sans faillir tourner de l'un à l'autre » : ce passage du Livre (2,158) commande, en effet, le rite du hajj qui reproduit, par sept fois, le va-et-vient affolé d'Agar abandonnée dans le désert à la recherche d'une source pour abreuver Ismaël, l'enfant assoiffé. Safa et Marwa désignent deux monticules à courte distance l'un de l'autre ; lorsqu'Abraham fut parti, lorsqu'Agar se retrouva seule avec l'enfant, une source aurait alors miraculeusement jailli. La tradition raconte de manière très belle l'événement. Le bébé, posé à terre, aurait frappé le sol du talon. A ce contact un flot violent aurait jailli et pour en amortir la force, Agar aurait dit « doucement ! doucement ! ». En arabe cela donne « zem-zem ! » L'expression est restée attachée à cette fontaine qui coule encore ; les pèlerins rapportent l'eau qu'ils viennent y puiser.

Au neuvième jour, la foule des fidèles se retrouve dans la plaine d'Arafat, lieu marqué lui aussi dans le Coran (2,198). On y prie du lever du soleil jusqu'à son coucher. C'est le prélude à la journée où se déroule l'immolation de l'agneau, l'Aïd, en souvenir du sacrifice demandé à Abraham.

Celui-ci mérite qu'on s'y arrête. Il fait l'objet d'une description dans la Bible comme dans le Coran. Il n'est pas sans intérêt de comparer les deux versions du même événement. Les textes sacrés des uns comme des autres soulignent la dimension miraculeuse des naissances dans la maison d'Abraham : Ismaël et Isaac. Dans le Coran, l'expression de la volonté de Dieu vient du fils. En rêve il a vu son père en train de l'immoler et il voit, dans ce songe, un ordre adressé à Abraham ; père et fils sont unis pour se soumettre à la volonté de Dieu. «  Le fils dit : ' mon père, fais ce qui t'est ordonné'. Tu me trouveras patient si Dieu le veut ! ».

La volonté divine, dans le récit biblique, s'exprime par un appel qui ressemble, ce n'est sans doute pas un hasard, à celui qui marque le début de son aventure spirituelle : « Abraham ! Abraham ! ». Celui-ci, comme au premier jour, doit partir ; la parole entendue déclenche les gestes du patriarche. Il selle son âne, prépare le bois de l'holocauste, s'assure la compagnie de deux serviteurs et part en un lieu dit « le Mont Moriyya ». Au bout de trois jours, arrivant sur les lieux où Dieu les conduit, le père et le fils vont « ensemble » au lieu où doit avoir lieu l'immolation. « Où est l'agneau pour l'holocauste ? » demande Isaac. Dieu y pourvoira, répond Abraham. Dieu pourvoit, en effet. Voici l'enfant lié sur le bois et comme le père lève le couteau, par l'intermédiaire de l'Ange, Dieu appelle encore  : « Abraham  ! Abraham ! ». Dieu arrête ce geste cruel : « Abraham leva les yeux et vit un bélier qui s'était pris par les cornes dans un buisson, et Abraham alla prendre le bélier et l'offrit à la place de son fils ».

Le récit coranique est plus sobre. Le fils à immoler est-il Isaac ? Le texte ne le dit pas. La tradition affirme que c'est Ismaël qui est en cause. Cette circonstance aura été l'occasion pour Abraham d'un nouveau voyage en Arabie. La mise en scène est évitée. Le fils est simplement présenté « le front à terre  », comme le fidèle lors de la prière rituelle et les deux personnages sont qualifiés de «soumis». L'épreuve est concluante, dit le texte, et « le fils est racheté par un sacrifice solennel » (98, 103-109).


La fête de l'Aïd

Ces deux textes s'incarnent dans la vie religieuse des uns et des autres.
Le dixième jour du pèlerinage, chaque fidèle est censé immoler un agneau en souvenir de ce jour où Dieu épargna la vie d'Ismaël. A la même date, les musulmans du monde entier sacrifient eux aussi un animal. Le souvenir d'Abraham unit dans un même acte symbolique les disciples du Prophète de la Mecque, où qu'ils soient dans le monde. Il est important de souligner que cette communion dans le souvenir est un geste de solidarité. L'animal immolé lors du Hadjj est laissé sur place : il sera envoyé en des pays souffrant de la faim. Le mouton égorgé loin du pèlerinage n'est pas réservé à la famille mais partagé avec l'environnement. Ce jour est celui de l'Aïd El Kebir.

C'est aussi lors de la plus grande fête chrétienne, la Pâque, que le sacrifice d'Isaac est rappelé par les chrétiens. Le récit de la Bible, au livre dit de la Genèse, fait partie des lectures qu'on entend lors de la veillée où l'on célèbre la Résurrection de Jésus. On voit dans la menace qui pèse sur Isaac comme une préfiguration du mystère de Jésus. Dieu demande à un père de sacrifier son fils. Celui que les baptisés prient en l'appelant « Notre Père  » n'hésite pas à livrer son propre fils, Jésus, le Verbe fait chair. Ce dernier, au cours du repas qui précédait son procès et sa mise à mort sur la Croix s'est présenté lui-même comme l'agneau immolé en sacrifice. En chaque eucharistie, lorsque les chrétiens évoquent la mort et la Résurrection du Christ, en recevant le pain où, dans la foi, ils reconnaissent sa présence, ils disent « Voici l'agneau de Dieu ».


Le sacrifice de Jésus

Cette conception du sacrifice de Jésus gêne beaucoup les musulmans. Ils souffrent d'entendre les chrétiens parler de Jésus en le présentant comme Fils de Dieu. Certes, Jésus n'est pas, par rapport à Dieu, comme chaque homme vis-à-vis de son géniteur. Quand les chrétiens affirment, eux aussi, la virginité de Marie, ils affirment que Jésus n'est pas né « de la chair et du sang ». Il est Dieu né de Dieu. Jésus est, le Coran lui-même le souligne, « parole de Dieu ». Les mots d'un discours sont inséparables de ceux qui parlent. Dieu parle aux hommes, chrétiens et musulmans sont d'accord sur ce point. Cette parole qui ne fait qu'un avec Dieu a pris chair en Jésus ; ceux qui se présentent comme ses disciples en l'affirmant « fils » désignent le lien qui unit Dieu à son Verbe.

Eclairer la mort de Jésus à partir du sacrifice d'Isaac gêne les musulmans pour une autre raison encore. Dieu ne peut accepter pour ses amis une souffrance comme celle qu'aurait subie le fils de Marie en mourant sur la Croix. Les chrétiens eux non plus ne peuvent ni comprendre ni accepter que ce que Jésus a connu au Calvaire ait été voulu par Dieu. Mais son Verbe, en rejoignant l'humanité, rencontre nécessairement la mort. Jésus est vraiment homme et tout homme connaît la mort. Dans la tradition chrétienne, mort et péché ne font qu'un en ce sens que l'un et l'autre coupent de Dieu et sont contraires à sa volonté. Mais lorsque la mort elle-même est assumée par Dieu qui s'est fait homme, lorsqu'elle est assumée par le Verbe, elle devient elle-même un message : tel est le mystère de la Résurrection. La mort n'est plus la mort puisqu'en Jésus l'humanité reste en alliance avec le Père. L'humanité, par la Pâque, est réconciliée avec Dieu. En ce sens,la Pâque est le sacrifice par excellence : le Saint-Sacrifice, disent les chrétiens.


Dieu est-il cruel ?

Chrétiens et musulmans, autour du mystère de Jésus, sont séparés sur la signification à donner au sacrifice de la croix en tant qu'il est préfiguré par celui d'Abraham. Mais les uns et les autres sont soumis à une même question : comment le Dieu d'Abraham peut-il demander à son serviteur un geste aussi cruel ?

Des grands penseurs se sont penchés sur cette question. Le nom de Kierkegaard, bien sûr, s'impose quand on réfléchit sur la démarche d'Isaac. Le philosophe danois décèle, dans la démarche du Patriarche, tel que la Bible la décrit, une étrange contradiction. D'une part le Tout-Autre pousse à un acte immoral : la conscience s'insurge devant ce devoir de faire mourir un fils. D'autre part le commandement vient de celui qui a promis une descendance. Certes, les dieux antiques avaient exigé qu'Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie pour que se lèvent les vents favorables. En l'occurrence, le sacrifice avait sa raison d'être. Le Dieu d'Abraham en exigeant la mort d'un fils ne promet rien en échange. La marche d'Abraham jusqu'au mont Morrya, lieu de l'holocauste, laissait le temps de méditer sur ce meurtre sans raison, absurde. Seul l'amour pour Dieu peut expliquer cette soumission qui laisse la place à pareille cruauté. Mais, selon Kierkegaard, l'amour qui habitait le père n'allait pas sans la foi. Abraham, en effet, devient le modèle du croyant. Il avait entendu la promesse d'une postérité ; se soumettant à l'appel de l'Autre, il accédait à un stade dépassant celui de la morale et de la raison. Non seulement il aimait son Créateur mais il avait foi en ses promesses. Il savait qu'en allant jusqu'au bout de l'obéissance, il retrouverait son fils. Bref, l'épisode est compris comme le modèle du croyant en qui se rejoignent l'amour de l'Autre et la Foi en Lui.

De nos jours, on apprend à lire les textes sacrés avec des instruments nouveaux. C'est ainsi que certains théologiens, recourant à la linguistique et à la psychanalyse, font apparaître dans le texte de la Bible comme le témoignage d'une rupture dans la conscience qu'Abraham a de Dieu. Celui-ci, au départ, est conçu comme le Tout-Puissant. En tant que père il se doit d'en reproduire le pouvoir. Le père est d'abord présenté par rapport au fils dans une attitude de possession, persuadé qu'il dispose, à la manière du paterfamilias romain, du droit de vie et de mort sur les siens. Le texte insiste sur le fait qu'Isaac est son bien (« ton fils, ton unique »). En entendant Dieu lui interdire d'achever le sacrifice, il voit disparaître en lui la volonté de dominer et de posséder. Il cesse de considérer le fils comme « son unique  ». Isaac est désormais « délié » de lui. Il n'est plus possédé mais de nouveau reçu de Dieu. D'objet, il devient partenaire ; le fils est autre que le père et ceci est la condition pour que ce dernier puisse parler de Dieu en vérité. La référence à l'Autre est impossible sans rencontre de l'autre.


Héritiers d'Abraham

Pour conclure faisons allusion encore aux travaux d'un anthropologue qui peuvent nous être utiles ; René Girard voit dans la rivalité entre les hommes la source de la violence. La volonté par un groupe d'acquérir un bien que possède un autre groupe déclenche des rivalités qui déchirent la société. Les humains se seraient dévorés s'ils n'avaient trouvé le moyen de se réconcilier par le biais du sacrifice. On se met d'accord en trouvant une victime, un « bouc émissaire », qu'on désigne comme le coupable: on l'expulse et on le met à mort pour que la société se remette à vivre. A partir de ce phénomène on peut comprendre l'intérêt de la Révélation. Nos Ecritures font apparaître que la culpabilité de la victime n'est qu'une illusion et qu'en réalité c'est toujours l'innocent qu'on met à mort. Le sacrifice du fils, Isaac ou Ismaël, dans nos Ecritures, pourrait bien être, en effet, l'appel à respecter les victimes quel que soit le mécanisme qui les broie.

Abraham signifie, étymologiquement, « père d'une multitude de peuples  ». Chrétiens et musulmans, sans oublier les juifs, nous nous considérons ses héritiers. Aidons-nous à gérer l'héritage qui nous est transmis.

L'équipe de rédaction :
Saad Abssi, Mohammed Benali, Christine Fontaine, Michel Jondot



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