La vie dans la cité du Parc à Nanterre
Jean-Pierre Bardeau
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Etranger dans son pays :
Jean-Pierre n'a pas voulu quitter la cité
à l'heure où l'immigration l'envahissait.
Son témoignage permet de percevoir l'évolution des communautés
chrétiennes et musulmanes dans les banlieues.


Que de changements !

Dans le quartier du Parc à Nanterre, il y a une petite église au toit pointu, des chrétiens et un prêtre accueillants depuis toujours, comme si c'était une tradition. Une communauté qu'il m'a été facile de rejoindre dans les années 80.

Je ne l'ai pas quittée, mais que de changements depuis cette époque !

Il reste des traces de ce que les paroissiens ont semé, comme cette association Môme Aillaud, qui propose l'alphabétisation-socialisation pour des mères de famille et l'accompagnement scolaire de leurs enfants - ou la communauté des soeurs du Prado qui est toujours là, une présence aimante dans nos Tours HLM.

Le quartier que j'ai découvert était paisible, à vocation artisanale, avec une certaine mixité sociale. Mais comme dans beaucoup d'endroits, le chômage arrivant, il s'en est suivi des dégradations, dont une partie due à des jeunes, oisifs, et à une municipalité qui n'agissait pas suffisamment pour que le quartier trouve son équilibre.

Cela a entraîné le départ de beaucoup de familles vers le Centre-Ville ou ailleurs, et finalement le sauve-qui-peut de ceux qui pouvaient partir, parmi lesquels bon nombre de paroissiens.

D'autres sont arrivés. L'église est toujours pleine, mais à la place des « visages pâles », les chrétiens sont devenus des personnes originaires d'Afrique noire, des Antilles, ou d'autres pays lointains.

Dans ce quartier de 22 000 habitants, l'arrivée massive des populations d'origine étrangère inclut beaucoup de personnes de confession musulmane.


Une expérience de voisinage

J'ai eu envie de rester, mais je devenais « étranger » et j'avais à faire connaissance avec mes nouveaux voisins. De plus, les amis sur lesquels je m'appuyais pour être actif dans le quartier. Ceux qui animaient les réunions de quartier, les parents d'élèves, les Amicales des Locataires... sont partis.

Dans le même temps, les musulmans se sont organisés autour de deux associations confessionnelles (Orientation et Entraide) et d'une salle de prière, aménagée dans une cave.

Chrétiens et musulmans ont commencé à se rencontrer, à dialoguer, et à s'apprécier. Un temps fort pour ce premier contact avec des gens simples, directs, dont certains vivent une situation de pauvreté matérielle avec beaucoup de dignité.

Nous avons organisé une fête autour du « vivre ensemble ». Une étape où les chrétiens ont appris les fondements de la religion musulmane, et où ils ont incité leurs interlocuteurs à participer aux réunions de quartier.

Initiatives islamo-chrétiennes

Nous avons tous le même désir que cela aille mieux dans la cité, en particulier pour les jeunes.

Des chrétiens proposent de tisser un réseau de prévention autour des éducateurs de rue, pour guider ceux qui sont en galère vers une formation, puis un emploi. Un responsable musulman, lui, évoque ses rencontres avec ces jeunes, des discussions au cours desquelles il leur parle parfois de Dieu.

En quelques années, les associations Orientation et Entraide ont pris un essor considérable. La salle de prière accueille le vendredi des centaines de fidèles dont beaucoup prient dehors, faute de place. Bientôt, un Centre Culturel et Cultuel va naître à proximité.

Ils organisent des fêtes presque tous les trimestres. Elles sont familiales, avec plein de jeux pour les enfants et, en fin de journée, elles accueillent des tribuns comme Tariq Ramadan. Cela attire à chaque fois plus de 1000 personnes.

La présence chrétienne dans le quartier est plus modeste. L'association Môme Aillaud insiste sur la nécessité de mettre en place dans notre secteur un vaste plan d'alphabétisation-socialisation, ce qui ne plaît pas à la Municipalité parce qu'elle veut contrôler cette activité. Le débat devient politique : « assistanat ou émancipation » des populations concernées ?


L'essor des communautés musulmanes

Pour cette cité, l'essor des communautés musulmanes tranche singulièrement avec le retrait des chrétiens dans la vie de la paroisse et la sphère privée.

On constate des évolutions au niveau des commerces, des écoles  : lors des fêtes musulmanes, les enfants du primaire ne vont pas à l'école, - dans les cantines, des responsables musulmans demandent que les menus soient compatibles avec leur religion - la notion de laïcité évolue aussi. Un nouvel équilibre du « vivre ensemble » est à établir. La Municipalité investit peu dans notre secteur et laisse cette majorité d'habitants sans véritable représentation politique, sans souci d'intégration malgré un taux de chômage qui dépasse 40% chez les jeunes. Les musulmans de Orientation incitent les jeunes à aller voter, mais pour qui ?

Mon réflexe est plutôt de vouloir responsabiliser les habitants (d'où le plan d'alphabétisation), pour que la société civile comprenne les enjeux et exigent des partis de droite comme de gauche qu'on ne nous laisse pas dans des zones de relégation, et qu'il y ait un traitement équitable pour tous.

Face à une société qui se dégrade

Dans cette société en mouvement, je garde l'Evangile, la Communauté Chrétienne, des amis et la vie associative comme points d'ancrage. Cependant, là où je vis, je suis interpellé par les musulmans dont la principale communauté grandit de façon spectaculaire, avec des hommes qui sortent journellement en nombre pour aller prier.

Malgré certaines pratiques que je trouve rétro, je ressens de leur part une volonté de réagir face à notre société qui se dégrade.

Côté chrétien, trop peu se mobilisent face aux événements extérieurs à l'Eglise (de mon point de vue). J'apprécie cependant les débats qui ont lieu dans le quartier, au sein du CCFD, pour dénoncer les paradis fiscaux et autres corruptions.

Impossible de globaliser ce qui se vit dans une société aussi complexe que la nôtre, mais dans le quartier du Parc à Nanterre, nous sommes des acteurs de toutes confessions qui faisons en sorte que notre cité se développe, avec en particulier des échanges interreligieux, comme nous les propose La Maison Islamo-Chrétienne. Ces échanges portent des fruits qui contribuent à construire la société de demain.

Jean-Pierre Bardeau




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