Derrière les barreaux à la prison de la Santé
Yves-Marie Clochard-Bossuet
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A la prison de la Santé,
l'aumônerie catholique regroupe des auxiliaires,
un diacre et un prêtre.
Ce dernier a bien voulu se faire l'écho
de ce que vivent six-cents détenus
et deux-cents surveillants.

Yves-Marie, tu es prêtre, aumônier de prison.
Peux-tu nous dire dans quel milieu tu vis ?

La prison de La Santé, à Paris: six-cents détenus. Deux cents surveillants. Je suis aussi bien l'aumônier des uns que des autres. Bien sûr, ce sont les détenus qui forment le gros de mes ouailles. Les musulmans sont les plus nombreux mais le nombre des chrétiens est important, d'origine africaine, d'origine antillaise, indienne, asiatique et d'origine française. On trouve des juifs, des agnostiques, des gens qui ne croient à rien.

Je rencontre en priorité ceux qui me demandent ; ensuite, je vais voir les nouveaux arrivants. Je voudrais le faire de façon systématique, mais je manque de temps. J'essaie de me rendre disponible pour toutes les rencontres dans les coursives. C'est un peu comme dans un navire : des passerelles longent les portes des cellules sur trois étages. Là se vivent de nombreuses rencontres, des conversations impromptues, à bâtons rompus. C'est le lieu où se nouent beaucoup de contacts.

La Santé est principalement une maison d'arrêt. La majorité des détenus y sont en attente de jugement. Il y a des garçons qui font des petites peines, entre trois et cinq ans. D'autres restent parce qu'ils font des études et qu'à La Santé, on est bien placé pour les poursuivre. Il y a certains détenus qu'on doit mettre à l'abri des autres : des policiers, des avocats. On a beaucoup de violeurs qu'il faut isoler. J'ai même rencontré des prêtres : deux garçons soupçonnés d'avoir participé au génocide rwandais. On peut parfois s'étonner. Certains détenus, dans l'attente de leur procès, n'ont rien à faire en prison. Ils ne sont absolument pas un danger pour la société ni en situation de nuire.

Comment perçois-tu ton rôle au milieu d'eux ? Es-tu perçu comme jouant un rôle social ou comme un homme de Dieu ?

Les assistants sociaux, les psychologues font très bien leur boulot. Je peux servir de courroie de transmission entre les détenus et eux. Je vais parler avec les psychologues ou les médecins. J'ai les clefs des cellules ; je frappe à la porte et je les écoute. Mais je me refuse à endosser d'autre rôle que celui de prêtre.


J'accorde, par exemple, une grande importance à la liturgie : la messe est célébrée tous les dimanches, trois fois. Sur les six cents détenus on compte entre 70 et 80 présences, chaque semaine. Le culte, dans les années passées, n'était pas une priorité. Nous faisons maintenant des efforts au niveau liturgique. On multiplie les fonctions : lecteurs, thuriféraires, porteurs d'icône, de cierges. En développant ce type de liturgie eucharistique, les participants se sentent davantage présents. Lorsque des musulmans demandent s'ils peuvent venir à la messe - cela peut arriver -, on leur précise les limites à respecter : « ne communiez pas ». On les prévient qu'ils risquent d'être étonnés, perdus.

Je suis également témoin de nombreuses expériences spirituelles vécues en prison. Je songe à un détenu de formation orthodoxe pour qui la lecture de la Bible a été une riche expérience. La Bible est très lue par les détenus. Elle est le vecteur par où passe la grâce. C'est pourquoi nous avons des groupes bibliques. Les trois auxiliaires qui font partie de l'équipe de l'aumônerie catholique animent des cours une fois par semaine (une heure dans chaque division. Chaque groupe réunit une dizaine de personnes).

Est-ce que la souffrance est grande parmi les détenus ?

Je suis témoin d'une souffrance épouvantable. Ces garçons réalisent qu'ils ont commis l'irréparable. A mes yeux, là est le plus dur. Quand ils sont dans la solitude de leur cellule ils comprennent la gravité de leur acte (crime de sang, crime passionnel). J'aurais les moyens de connaître leur situation pénale. Je ne le fais jamais. Je rencontre des personnes et non des « cas » ! C'est à eux de se confier ou de se taire. Certains le disent tout de suite. Ils le disent parce qu'ils ont l'impression que leur faute les étouffe. Ils ont besoin de parler. D'autres attendent pour s'exprimer ; ils préparent leur discours : « Jaimerais bien un jour, Père, que nous puissions nous parler, que vous sachiez pourquoi je suis là ».


Une deuxième souffrance que je constate est celle qu'ils éprouvent lorsqu'ils réalisent ce qu'ils imposent à leurs familles. Quelle que soit la nature du délit ou du crime, très souvent ils mettent leurs familles dans des situations difficiles.

Certains d'entre eux sont très seuls. Je pense à un détenu condamné pour un viol. Il est tenu à l'écart par les détenus, la famille est au bled. Pour que ceux qui traversent pareille solitude ne fassent pas de tentative de suicide, il faut un équilibre psychologique étonnant. Certains détenus ne sortent absolument jamais de leur cellule, pas même pour la promenade. Ils sont ostracisés.

Oui, il y a des tentatives de suicide mais ce sont des coups de colère. Ils sont assez bien repérés grâce à un centre médical qui peut observer et surveiller. Pour ma part, j'essaie d'être attentif aux cas dépressifs. Je frappe à la porte des bureaux du médecin ou de la psychologue. On peut me demander également d'aller voir tel ou tel qui ne se sent pas bien dans sa peau.


« La Santé » est une vieille prison qui aurait dû être démolie depuis dix ans. Elle doit être réaménagée. On a bricolé un peu n'importe comment. Chaque fois que change le ministre de la justice, les travaux sont repoussés. On fait du replâtrage. Le cadre est dur. Les peintures sont sales. Il y a des souris. Les cuisines ne sont pas brillantes. Les sanitaires, n'en parlons pas ! Au parloir, ils ne peuvent disposer de la moindre intimité. Quelques surveillants, parfois, ont la discrétion de ne pas regarder dans la cabine. Ce qui est pénible aussi, c'est l'ensemble des petites humiliations ou vexations que la vie carcérale impose du fait des difficultés administratives. On complique la vie pour des bricoles matérielles. Des prisonniers attendent leur courrier pendant quinze jours. Parce qu'il leur manque quelques centimes sur leur compte, ils ne peuvent faire appel à la cantine et doivent attendre la semaine suivante. Une multitude de bricoles de ce genre gâchent la vie.


Ceci dit, quand on est seul dans une cellule, si vous aimez lire, si vous regardez la Télévision, si par ailleurs vous aimez le sport, vous arrivez à vivre. Certains ne peuvent pas tenir dans leurs 9 m², mais ce n'est pas le cas de la majorité. Quand je suis arrivé à La Santé, voici un peu plus de deux ans, je ne connaissais le milieu que par ce que la presse peut en dire. J'ai été plutôt agréablement surpris. La plupart des prisonniers reconnaissent leurs bêtises et ils sont prêts à payer. On parle beaucoup, à l'extérieur, de violences sexuelles ; en réalité on fantasme beaucoup. J'ai vu deux cas de menaces en l'espace de plus de deux ans que je suis là. Peut-être que je ne vois pas toute la réalité. Les détenus n'abordent ce sujet que très difficilement. Contrairement à ce qu'on peut dire ou lire, l'homosexualité est très peu répandue, à moins d'un viol. Peut-être suis-je aveugle mais même des détenus avec qui je suis vraiment en confiance ne font pas allusion à des comportements aberrants.

Si je comprends bien, tu vis une expérience de dialogue permanent.


Oui, avec tous. Le fait d'être perçu comme ayant un rôle spirituel me facilite le dialogue, surtout avec les musulmans. A « La Santé », la moitié des personnes sont seules dans leur cellule ; les autres vivent à deux ou à trois. En réalité, on ne peut pas parler de surpopulation carcérale à «  La Santé ». La plupart de ceux qui sont plusieurs en cellule sont contents de ne pas être isolés. La plupart des jeunes de banlieue se sentent doublement punis s'ils se retrouvent seuls. Ils préfèrent être avec des jeunes de leur âge, jouer aux cartes, faire de la cuisine. Le fait qu'ils soient plusieurs peut me faciliter le dialogue. Quand je vais voir quelqu'un qui m'a demandé et que je me trouve dans une cellule où ils sont plusieurs, c'est pour moi l'occasion de saluer les deux ou trois autres. Si la conversation doit être un peu plus intime, j'ai la possibilité de m'isoler dans une autre cellule.

Les musulmans sont nombreux. Est-ce pour toi l'occasion de faire une expérience de dialogue islamochrétien ? Travailles-tu avec l'imam ? On parle de conversions à l'islam : qu'en est-il vraiment ?

Je ne connais pas l'imam. Je l'ai rencontré au début, quand il est arrivé ; il avait besoin d'être orienté. Mais par la suite, les occasions de rencontre sont rares. Je suis présent à la prison le matin et lui l'après-midi.

Au cours des discussions dans l'escalier, parfois des musulmans me font l'apologie de l'islam. C'est l'amorce de conversations très intéressantes. Cela m'amène à me situer : « Tu es persuadé que Mohammed est le prophète d'Allah ! Je te comprends. Essaie de te mettre à ma place ; j'ai la même conviction que toi par rapport à la foi chrétienne. Je suis persuadé que Jésus est le Fils de Dieu ». Si on est vraiment soi-même, si on est convaincu, si on leur dit en face nos convictions, cela peut permettre de beaux débats dans les cellules. J'ai rencontré des musulmans qui, s'ils étaient restés plus longtemps, seraient devenus de vrais amis. D'abord, ils sont très sensibles, au plan humain. Ils ont le sens de l'attention à l'autre et beaucoup de délicatesse dans les relations. Je sens cela quand ils me parlent de leurs familles, de leurs enfants. Je découvre chez eux une grande richesse humaine.


On voit quelquefois des conversions à l'islam en prison. Mais les motivations ne sont pas toujours des raisons religieuses. C'est une manière de trouver un compagnonnage et un point d'appui. Il s'agit d'une sorte d'embrigadement. Parfois ils cèdent à une certaine violence proposée par quelques islamistes. Les jeunes sont séduits par une certaine radicalité dans les choix. On adopte des codes, par exemple dans la façon de se saluer mais cela reste superficiel. On parle assez peu de la démarche inverse qui existe également. J'ai régulièrement des demandes de musulmans qui désirent entendre parler de Jésus. Ils sautent le pas, parfois avec un courage extraordinaire. Les musulmans convertis au christianisme n'ont peur de rien. Ils encourent la condamnation des autres musulmans et ils assument. Ils tiennent le coup, même après leur sortie. Je pense à un garçon que j'avais connu, qui s'était converti. Il a récidivé et je l'ai retrouvé récemment. Il s'affirme toujours comme chrétien, avec le chapelet autour du cou. Là aussi, il y a une recherche d'identité mais cela me paraît plus sérieux que l'inverse. C'est une forme de rédemption qu'ils trouvent.

Par ailleurs, la personne de Jésus fascine un certain nombre aussi bien chez les musulmans cultivés que chez les musulmans plus simples.

Avec les aumôniers des autres religions y a-t-il une action commune, en faveur des plus défavorisés, par exemple ?


Non. Actuellement le protestantisme est très marqué par toutes les églises évangéliques. Ils sont beaucoup plus centrés sur le culte proprement dit que ne l'étaient naguère les calvinistes ou les luthériens.

Par exemple, ils ont préféré ne pas participer à ce qu'on appelle la « commission d'indigence ». L'aumônerie catholique est la seule aumônerie qui ait accepté d'y participer (il s'agit de répartir les 900 euros dont dispose l'administration pour aider les plus démunis). Tous ceux qui n'ont pratiquement rien sur leur compte personnel y sont inscrits automatiquement. La commission se réunit une fois par mois. On se penche sur les cas difficiles et on veille à ce que personne n'ait moins de 20 euros par mois. S'ils sont fumeurs, ils peuvent acheter leurs cigarettes ou améliorer leur nourriture. Ceci leur permet d'échapper à tous les chantages qu'on trouve à l'intérieur d'une détention Les risques de racket se produisent dans les cellules où l'on est deux ou trois : si quelqu'un ne peut payer sa part de Télévision, il est en danger.

Ceux qui viennent des cités font partie de ces défavorisés ?


Ceux qui viennent des cités sont plutôt des trafiquants de drogue même si quelques uns font appel à la « commission d'indigence ». Certains ont monté des affaires plus ou moins louches de trafic de voitures d'occasions, par exemple. Apparemment, ils ont de l'argent. Le problème des jeunes, pour nous, est de savoir comment les sortir des bandes et s'ils sont prêts à faire quelque chose à la sortie, de leur trouver un centre qui les accueille, de les loger, de les mettre à l'abri de leurs bandes, de leurs quartiers, de leurs familles, pour certains. Plusieurs garçons ont vraiment envie de s'en sortir. Ceci dit, je ne vois pas de situation sociale dramatique parmi les jeunes qui viennent des banlieues. Je leur parle de leurs familles, des difficultés économiques qu'elles peuvent connaître ; apparemment ils ne sont pas dans des situations financières catastrophiques.


Le problème à leur sujet est celui de la réinsertion qui me tient à coeur. Au moment où ils vont quitter les lieux, il faut pouvoir leur faire des propositions quand ils n'ont personne pour les accueillir, à condition, bien sûr, que nous sachions le jour de leur sortie, ce qui n'est pas toujours le cas. S'ils sont pris dans des réseaux de drogue, on leur propose des centres de désintoxication. Celui qui veut s'en sortir, réapprendre à travailler, il faut lui trouver une formation. Je tente de repérer ceux pour qui je puis être utile. Il faut reconnaître qu'à « La Santé », l'engagement sur le plan social met le christianisme à part des autres confessions (protestantes, musulmanes ou juives). Nous, les catholiques, pour des raisons historiques, nous avons de multiples réseaux. Le « Secours catholique » fonctionne d'une façon remarquable. Pour ma part, j'ai deux communautés religieuses à proposer à des jeunes. Une association, près de Bois d'Arcy, recueille des sortants de prison pendant un an. Ils vivent en communauté, avec une assistante sociale qui cherche du travail pour eux. Les Frères Trinitaires reçoivent des anciens détenus. Des monastères acceptent d'accueillir des gens sortant de prison et désirant se mettre à l'abri. L'Eglise catholique dispose de possibilités assez grandes.

Propos recueillis par Christine Fontaine
Sculptures de Pierre Meneval

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