L'arabe
langue du Prophète et des poètes
Michel Jondot
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Toute religion naît d’un désir de nouveauté
mais sombre souvent dans le totalitarisme.

La langue arabe semble véhiculer cette force de naissance et de renaissance
qui cherche à s’infiltrer dans les mouvements actuels du monde arabe.

N’est-ce pas cette force que protègent les mystiques et les poètes
contre toute emprise fondamentaliste ou occidentaliste ?


L'appel d'un peuple unanime

Les coptes d’Egypte étaient visés, à la Toussaint 2010, lorsque la branche d’Al-Qaïda qui se considère comme l’Etat islamique d’Irak prenait d’assaut une église chrétienne, en plein centre de Bagdad : 52 personnes furent tuées dans cette opération qui se produisait à l’heure de la célébration. La cible était atteinte moins de deux mois plus tard. Le 31 décembre, à la sortie d’une messe à Alexandrie, une explosion faisait 21 morts et 70 blessés.

Ces événements dramatiques, on pourrait le penser, manifestent que la cohabitation est impossible entre coptes et musulmans. Telle était peut-être la conviction de Benoît XVI lorsqu’il appelait tous les pays à venir au secours des chrétiens persécutés ? Il laissait entendre, ce disant, que leurs voisins musulmans étaient sinon responsables du drame, du moins indifférents à la situation douloureuse de leurs compatriotes. Toujours est-il que le 11 février, Moubarak, en se retirant du pouvoir, répondait à l’appel d’un peuple unanime. Celui-ci s’exprimait d’une seule voix bien qu’il se soit agi d’un ensemble à l’intérieur duquel coptes et musulmans ne cachaient pas les signes de leurs appartenances religieuses. La télévision a montré ces rassemblements impressionnants d’hommes et de femmes de toutes les générations, réunis sur cette place au nom symbolique (Tahrir signifie libération). Des mains chrétiennes brandissaient une croix et des bras musulmans élevaient un Coran ouvert au-dessus des têtes ; des doigts levés, formant un V, célébraient la victoire. Dans ce cadre, un imam d’Al-Azhar disait à un journaliste : « Je dors sur cette place depuis plusieurs nuits et mes amis chrétiens, à plusieurs reprises, m’ont couvert pour que je n’aie pas froid. Je veux dire ceci au Président Moubarak : ‘la meilleure chose que vous ayez faite, c’est de montrer au peuple égyptien qu’il est uni’ ». Une joie commune, en effet, éclairait les visages. Le dimanche suivant cette date historique, une messe était célébrée sur ces lieux où, pendant des jours et des nuits, des hommes et des femmes avaient vécu littéralement au coude à coude. A la suite de cette Eucharistie la foule des musulmans priait pour ses morts. La conscience d’appartenir à une même nation permet-elle de dépasser les conflits ?

Une coexistence impossible ?

Ne répondons pas trop vite. Moins d’un mois plus tard, dans un quartier populaire du Caire (Moqatam), une église était incendiée et une centaine de chrétiens étaient massacrés. Les événements semblent donner raison à Bernard Lewis : cet islamologue fameux prétend qu’un peuple musulman ne peut demeurer longtemps à l’intérieur d’une cohérence nationale au sens occidental du mot. Il fait remarquer que le mouvement nationaliste, en Egypte, s’est vite effacé, en devenant populaire, devant l’instinct communautaire. Pour illustrer cette conviction, il rappelle les manifestations qui eurent lieu à Suez en janvier 1952. L’Egypte s’insurgeait contre l’occupation par les Anglais de la zone du canal. A l’intérieur de cette insurrection les foules se ruèrent, comme au Caire en mars dernier, contre les Coptes : leur église fut incendiée et un nombre important de chrétiens furent tués. Bien que soumis à la même emprise que les musulmans, bien que présents sur la terre égyptienne depuis les premiers siècles du christianisme, bien que parlant l’arabe avc autant d’assurance que les autres, ils étaient assimilés à l’étranger contre lequel il fallait se rebeller. Un non-musulman est nécessairement un ennemi. Pour mieux convaincre, Bernard Lewis cite le hadith : « L’incroyance est une seule nation». (B.Lewis. « Islam » - Gallimard; pp. 1135-36). Faut-il désespérer que le monde occidental entretienne un jour des relations saines avec les peuples arabes ? Le lien entre l’Europe et eux ne sera-t-il jamais possible qu’à travers des jeux d’alliance intéressés avec des régimes autoritaires qui bafouent les Droits de l’homme et dont les peuples veulent se libérer?

Avant de considérer les chances ou les risques d’une rencontre entre deux religions et deux cultures portées par des langues différentes, il est sans doute utile de considérer comment une même langue, l’arabe, fonctionne dans une société où les clivages demeurent malgré l’unité linguistique. Pour ce faire, il n’est sans doute rien de mieux que de s’approcher d’un poète.

Langue arabe et religion musulmane

Adonis, à plusieurs reprises, a été nobélisable. Son amour pour la langue arabe est proverbial : « La langue arabe m’habite…Elle m’a aimé, encerclé», confie-t-il à sa fille. Comment se fait-il qu’enlacé par cette langue, il semble vouloir prendre du recul par rapport à son arabité ? Il recourt à la mythologie grecque pour trouver un pseudonyme, donnant ainsi l’impression qu’il renie son origine musulmane: son vrai nom est Ali Ahmed Saïd Esber. Adonis est un mortel dont Aphrodite s’est éprise ! En réalité, il semble ne s’écarter de la culture ambiante que pour mieux s’y enraciner. Un dialogue avec sa fille est éclairant. Celle-ci, prenant conscience que son père vit dans sa langue comme dans une demeure merveilleuse, s’afflige. Le fait de ne pas posséder l’arabe avec autant de maîtrise que le poète la met à distance d’un père qu’elle chérit. Il faudrait maîtriser la langue davantage pour se rapprocher de lui. Le fait de posséder l’arabe ou d’être possédé par lui crée des écarts entre Adonis et ses compatriotes ou même ses proches. Tout musulman prétend que l’arabe est la langue de Dieu. Mais, selon le poète, la langue est polluée à sa source par les religions et en premier lieu par l’islam. Celui-ci se prétend l’achèvement de la Révélation. Le poète ne peut admettre que son langage aboutisse à une double sacralisation.

Sacraliser le Coran est un blasphème qu’il dénonce : «(Une) langue est comme un horizon sans fin vers lequel on avance ». Prétendre que le Coran est le tout de ce que la langue peut dire, c’est la tuer. Avancer dans la connaissance de cette langue c’est renvoyer sans cesse à plus tard et non s’ancrer sur le définitif. Il faut sans doute rattacher à cette conscience que la religion prétend avoir le dernier mot, le fait qu’elle ait été facteur de violence: « Maudite soit la religion qui ne se parfait que par la guerre et le versement du sang» (Al Khitab, p.180).

Le danger du Tawhid

Une autre sacralisation, aux yeux d’Adonis, est dangereuse. En islam, l’unité est un idéal (Tawhid). Cette conviction expliquerait qu’un pays à majorité musulmane ait besoin d’avoir un chef autoritaire qui impose un comportement et une pensée uniques. Interviewé sur Al-Jazeera, il disait : «(Le chef) est un concept sécurisant pour ceux qui craignent la liberté…La liberté est un lourd fardeau ; elle n’est pas facile à vivre. On a besoin d’un patron. La liberté nous place en face de la réalité, du monde dans sa globalité. Elle nous oblige à affronter les problèmes du monde ». Dans le même contexte, il expliquait que, contraint à se soumettre, le monde arabe était voué à l’extinction comme le furent autrefois les Sumériens ou les Grecs. Il n’est de vie possible que là où tout reste à créer. Demeurer dans la langue arabe, y avancer conduit en « ce point où tout commence parce que tout sans cesse est à faire ».

Cette méfiance à l’égard de la religion et du Coran en accompagne une autre. Adonis croit-il à la démocratie ? La réponse est nuancée. Il faut refuser une manière de vivre en société qui serait le fruit d’une ingérence de l’Occident ; ce serait hâter l’extinction du monde arabe que de s’appuyer sur le colonisateur d’hier. En revanche, il souhaite - ou il rêve - que le monde arabe s’écarte des idées révolues et sorte d’un cadre dépassé pour envisager une nouvelle identité arabe, une nouvelle société. Il s’insurge contre des régimes où la parole est bâillonnée. « Dans le Coran, note le poète avec humour, il est dit qu’Allah a écouté son pire ennemi et que Satan a refusé de se soumettre. Allah n’aurait-il pas pu éradiquer Satan ? En réalité… Allah a prêté l’oreille au refus de Satan de lui obéir. Nous demandons au moins que les musulmans aujourd’hui écoutent ceux qui émettent des avis différents ». Il poursuit en exprimant sa conviction qu’il ne peut y avoir de véritable démocratie que si elle est l’œuvre des arabes eux-mêmes ; plutôt que la recevoir il leur revient de la créer. Lorsqu’on se rappelle que le mot poésie signifie « création », on comprend cette phrase lapidaire : « Comment transformer la vie en poésie? Voilà la question ».

Louis Massignon : une expérience de langue arabe

De ces intuitions du poète, est-il artificiel de rapprocher celles d’un intellectuel français - un « grand chrétien » - du siècle dernier - qui, comme Adonis, a vécu, grâce à la langue arabe, une expérience singulière qu’on pourrait également qualifier d’amoureuse ? Louis Massignon, en 1908, était incroyant ; il faisait des recherches archéologiques en Irak. Soupçonné d’espionnage et arrêté il ne dut sa liberté qu’à l’intervention de la famille arabe qui l’hébergeait. Naissait alors en lui la conscience que la culture arabe était inséparable de l’hospitalité : accueillir autrui revient à lui donner sa parole. L’hôte qui est reçu peut s’appuyer sur elle.

Au cours de ces événements, Massignon tomba gravement malade. Au sortir d’un coma, l’agnostique qu’il était s’aperçut qu’il priait et que c’était en arabe. Pour rendre compte de cette expérience, il parla d’une « visitation de l’Etranger » ; « Visitation » et « hospitalité » sont deux mots corrélatifs ; on accueille le visiteur, Dieu en l’occurrence, comme autrefois Abraham au chêne de Membré.

Commençait alors une aventure et une réflexion à la fois scientifiques et mystiques qui ne l’abandonneraient plus. Il habita la langue du Coran avec sans doute une maîtrise que les plus grands poètes auraient pu lui envier. Se référant à Ismaël rejeté au désert, il disait que l’arabe était la langue de l’exilé et que lorsqu’on réussissait à y pénétrer, on faisait l’expérience de l’hospitalité. Ismaël, rejeté au profit d’Isaac, recherchait un asile qu’il trouva dans ce langage qui se prolonge jusqu’à nous. Y parvenir suppose un décentrement. Il faut aller de l’avant pour entrer dans le fonctionnement bien particulier de l’arabe afin de s’y considérer chez soi. Massignon emploie le mot « pèlerinage» pour désigner cette sortie de soi et cette démarche sans lesquelles on n’entre pas dans la culture de l’autre. Expérience spirituelle, l’exercice de la langue arabe fut aussi pour lui instrument de recherche scientifique. Il faisait une thèse sur un mystique arabe, Al-Halladj, condamné comme hérétique à Bagdad en 922. Comprendre la démarche de ce personnage lui semblait impossible sans entrer dans son langage, tant il est vrai que l’originalité de la langue arabe ne peut être transposée. Cette démarche, on s’en rend compte, est audacieuse. Entrer chez un mystique musulman en empruntant sa langue pour mieux le comprendre sans sortir pour autant de la cohérence chrétienne est une gageure. A en croire Adonis, avancer dans la langue arabe conduit en « ce point où tout commence parce que tout sans cesse est à faire ». Massignon, étudiant la démarche de Halladj et avançant avec lui dans son discours, fait le même constat. Il découvre, dans le mystique de Bagdad, la conscience qu’au cœur de chaque homme il convient de découvrir un point mystérieux que rien ne peut supprimer, à savoir l’impact d’un appel à vivre que le langage véhicule lorsqu’il est pur. Toute créature est portée par l’impératif divin («sois»! Kun). Ce point qui, en chaque créature, serait ce lien à Dieu qui fait jaillir la vie, Massignon l’appelle « le point vierge » : il s’agit de le débusquer dans nos discours.

Il semblerait que cette découverte de Massignon soit aussi celle du poète Adonis. Dans l’entretien avec Ninar Esber auquel nous nous référions il prétend que sa plongée dans la langue est pour lui comme une naissance : «On naît au sein d’une langue qui constitue notre peau, nos veines et notre sang…Elle est comme le premier cri que tu pousses à ta naissance, ton premier sanglot ». Le poète comme le mystique ont la même intuition et boivent à une même source, celle où la vie jaillit ; on peut l’appeler « création » ou «poésie », naissance ou…Renaissance (Nahda) ! Rappelons les mots d’Adonis: « Comment transformer la vie en poésie ? Voilà la question ! »

Le contact avec le monde technique, c’est-à-dire avec l’Occident, a altéré le monde arabe plus sûrement que juifs et chrétiens n’ont altéré, aux dires de l’islam, la révélation originelle qu’ils ont reçue. Plutôt que d’entrer dans la modernité avec une langue qui avait fait ses preuves dans le passé, ils se sont aliénés dans le jargon technique des peuples qui les ont colonisés. On comprend la réaction d’Adonis refusant toute démocratie qui serait le fruit d’une ingérence étrangère. Entrer dans la langue arabe révèle ce « point vierge » qui, loin de renouer, comme le veulent tous les fondamentalismes, avec un passé révolu, est point de départ de liberté et d’humanité, d’invention, autrement dit de création ou de poésie (les deux mots sont équivalents).

La tentation du repli

Si un Etat arabe réussissait à accéder à son indépendance en ayant comme pouvoir un parti religieux, Adonis affirme qu’il serait de son devoir de le combattre. La religion musulmane ne peut, selon lui, comprendre le mystère de la langue arabe. Elle a besoin d’être réinterprétée correctement, de se débarrasser de son attirail juridique dans lequel une religion l’a enfermée pour devenir « une expérience spirituelle qu’il convient de respecter ». On pourrait s’étonner que cette espèce d’islamophobie rencontre les intuitions d’un homme qui fut amoureux de l’islam. En réalité l’un et l’autre militent contre une tentation trop fréquente en humanité. Ils font l’expérience que la vie est création jaillissante mais que l’ouverture qu’on peut déceler au cœur d’une langue peut être bloquée dans sa cohérence. Certes, la langue permet qu’on se parle et que, se parlant, on forme un ensemble humain : ainsi naissent les sociétés, religieuses ou non. Mais peuvent-elles résister à la tentation de se replier sur elles-mêmes ?

La question est posée par Massignon. Il constate que le totalitarisme de la culture occidentale a envahi des peuples en pervertissant leur langue. Un instrument d’hospitalité au service des « visitations » a été abîmé par les colonisations. L’arrivée dans les pays musulmans loin d’être une sortie de soi pour rejoindre autrui a consisté à l’annexer et à s’imposer à lui. (« J’entends une sommation de justice surhumaine, qui monte des croyants musulmans désavantagés, colonisés, méprisés, elle a réveillé en moi … le chrétien.» )

L’œuvre d’Adonis affronte la réalité d’une manière analogue. Al Khitab est traduit en français. Il s’agit d’une fresque historique faisant apparaître de façon dantesque les actes de violences de l’islam au fil des siècles. Le titre (qui littéralement signifie « le Livre »), n’est pas traduit ; il désigne le livre de ceux, juifs, chrétiens ou musulmans qui se réclament d’une révélation. Le poète, en effet, ne veut connaître que l’univers des mots composant le Livre en échappant à la religion que l’histoire a vu naître avec les guerres qui tissent l’histoire musulmane. Autrement dit le poète prend la place du prophète. (Le thème de l’hospitalité attachée au langage souligne la parenté avec Massignon) :

« Nous habitons, mais n’habitons que
Les mots
Locution est la demeure
Est-ce pour cette raison que tu dis à ce monde :
Sois mon hôte
Et que tu lui édifias dans ta poitrine une maison
Où il se libère
Al Khitab ; p. 193

Mohammed, le premier homme de l'arabité

Un disciple de Massignon est évoqué par Boutros Hallaq dans ce numéro; Youakim Moubarac, un maronite libanais, pionnier du dialogue islamo chrétien, était bien conscient du risque de repli qui menace la source de la vie et de la liberté. Les mots cités par Boutros permettent de discerner le point de « Renaissance » et le carcan (appelons-le « institutionnel ») qui vient l’occulter. Il est éclairant de le reprendre ici : « L’arabité est fondée sur l’expérience d’un homme né orphelin, analphabète et méprisé par les siens comme ‘abtar’ (incapable d’avoir un garçon). Mahomet est, au mépris et au sortir de l’arabisme, bédouin ou sédentaire, de la Jâhiliyya, le premier homme de l’arabité. Contre sa cité, où prévaut la loi du plus fort, et contre toutes les tribus de la presqu’île arabique, où prévaut la seule loi du sang, versé et vengé, cet homme institue en s’expatriant une nouvelle cité où les liens ne sont plus ceux du sang et de l’argent, mais un pacte de libre allégeance garanti par la foi. Tout le destin du monde arabe est ainsi engagé et commandé par ce point de départ de la première cité musulmane » (cf. supra: pp 60-61).

Cette échappée hors du tribalisme afin d’entrer dans l’ordre de la parole échangée, du « pacte de libre allégeance » pour parler comme Youakim Moubarac, est un phénomène qui ressemble à ce qui s’est passé Place Tahrir. Le Prophète échappait au tribalisme oppressant pour entrer dans une vie libérée où l’avenir était à construire. De même, coptes et musulmans d’Egypte échappaient pour un temps à la double aliénation de l’unité imaginaire autour du Chef allié de l’Occident et de celle d’une religion – musulmane ou chrétienne – qui chacune se crispe sur une vérité qu’elle protège de toute « altération ». Que quelques démons se soient réveillés par la suite ne doit pas occulter que, par-delà toutes les oppositions qui déchirent, une brèche s’est ouverte : elle a manifesté la possibilité d’un monde nouveau. Si par malheur elle se refermait, on peut espérer que, dans le peuple, des poètes et des prophètes, sauront se maintenir en ce « point vierge » où sont promises la dignité et la liberté pour chaque individu.

Sauver la source

Il n’est sans doute pas inutile de souligner que chacune des grandes religions monothéistes a pris naissance dans la volonté d’échapper à un système politique ou religieux étouffant. Le Judaïsme naît de L’Exode qui est arrachement à l’oppression du Pharaon pour entreprendre une marche vers une terre de liberté. Le christianisme naît de la sortie hors du temple pour s’ouvrir sur toutes les nations, au jour de la Pentecôte et l’islam, la citation de Youakim Moubarac le rappelait à l’instant, naît de l’Hégire, la sortie de La Mecque. Pourquoi, demandera-t-on, ces moments d’ouverture se changent-ils en système oppressif? Pour cette simple raison que les individus ne savent pas se maintenir là où jaillissent les sources d’eau vive. « Celui qui a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive », disait Jésus. Adonis a sans doute raison de voir dans les religions un danger. Il convient de lui rappeler que les saints y échappent. Massignon ne s’y est pas trompé en reconnaissant la liberté qu’Al-Halladj prenait par rapport aux prétentions juridiques de l’islam de son temps. Les chrétiens savent bien que le christianisme se manifeste moins par les discours des prélats ou par les Encycliques, par les impératifs et les menaces d’excommunication, que par le génie de ceux qui, en toute liberté, inventent une façon neuve de vivre l’Evangile et qu’on appelle les saints. « Comment transformer la vie en poésie ? Telle est la question ». François d’Assise répond au poète arabe: «Soyons les troubadours de Dieu ! ». Que chacun, dans sa langue, s’abreuve à la source d’où jaillit la parole et les frontières seront franchies. Le copte alors tiendra la main de son voisin musulman et l’Occident entendra les appels du monde arabe.

Michel Jondot


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