La formation des imams
Anne-Sophie Vivier Muresan
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Ouvrir les imams à la culture laïque de la France fut l’objectif que se fixait l’Institut Catholique de Paris, en 2008, à la demande de l’Etat français. L’expérience fut concluante puisque plusieurs universités ont suivi cet exemple.


Un débat déjà ancien

On a beaucoup parlé d’une « formation pour les imams » inaugurée à l’Institut Catholique de Paris il y a quelques années. Mais on en sait généralement très peu. L’image parfois véhiculée, erronée, serait celle d’une formation théologique des imams par des prêtres de l’Institut Catholique. Paradoxe s’il en est ! En réalité, le diplôme délivré par l’Institut Catholique de Paris (un DU), intitulé «  Interculturalité, Laïcité, Religions », est une formation complémentaire à la formation théologique reçue au sein des instituts d’études islamiques.

Ce diplôme est le fruit d’un débat déjà ancien. À la fin des années 1980, qui voient la mise en œuvre du regroupement familial des travailleurs immigrés, il apparaît clairement que l’islam est une réalité appelée à prendre racine sur le sol français. Alors que pointe l’affaire du foulard, la question surgit de savoir comment penser l’encadrement de ce futur islam français ainsi que son acculturation et son émancipation à l’égard des pays d’origine. L’Etat français s’empare du dossier et, avec l’aide de certains islamologues réputés pour leur ligne moderniste, comme Mohammed Arkoun et Ali Mérad, monte le projet d’un Institut Islamique Français. Cet Institut, dédié à l’enseignement et à la recherche en islamologie, devait promouvoir un « islam des Lumières »(1), en phase avec les réalités françaises, grâce à une large ouverture aux sciences humaines et à l’assurance d’une totale liberté de pensée et de recherche. Ce projet fut d’abord envisagé dans le cadre de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes mais rencontra vite de nombreuses résistances. Du côté des universitaires comme des hauts fonctionnaires de l’Etat, beaucoup n’acceptaient pas que dans le cadre de la laïcité française puissent exister des enseignements en sciences religieuses confessants, destinés à former des « ministres du culte ». Du côté des communautés musulmanes, on reprochait aussi à l’Etat français de vouloir s’immiscer dans un domaine qui ne dépend pas juridiquement de lui et sur lequel il n’a aucune compétence : comment déterminer les programmes, les orientations données à l’enseignement ? Est- ce à l’Etat de promouvoir tel ou tel courant particulier de l’islam, en l’occurrence la pensée moderniste ? Même la solution strasbourgeoise, envisagée un temps à cause du statut concordataire dont jouit l’Alsace-Moselle, qui permet l’enseignement de la théologie au sein de l’université de Strasbourg, ne parvint pas à s’imposer.


A l’ouverture des portes

Force fut alors de constater qu’il fallait trouver d’autre biais pour encourager le développement d’une formation des imams allant dans le sens d’une acculturation et d’une intégration des réalités françaises dans le discours religieux. Et ce d’autant qu’entretemps, certaines fédérations musulmanes s’étaient également emparé du dossier et avaient fondé leur propre institut de formation : en 1992, l’IESH (Institut Européen des Sciences Humaines) voit le jour dans la Nièvre sous la houlette de l’UOIF et en 1993, c’est au tour de la Grande Mosquée de Paris de se doter de son propre lieu de formation, l’Institut Al-Ghazali. C’est alors que naquit, en 2002, l’idée de proposer aux futurs imams une formation complémentaire, ouverte à l’apport des sciences humaines et axée sur la connaissance du cadre sociologique et juridique français, en particulier dans sa dimension laïque et républicaine. Le dossier rencontra toutefois à nouveau de telles résistances au sein de l’université publique que l’Etat finit par se tourner vers l’Institut Catholique de Paris, qui accepta d’emblée de mettre ce projet en œuvre.

Le DU ouvrit pour la première fois ses portes en 2008, accueillant quelques dizaines d’étudiants. Très vite, toutefois, son public s’étiola. En effet, un problème majeur insuffisamment pris en compte au départ était le débouché offert à ce diplôme : celui-ci n’apportait en fait aucune garantie d’emploi. Tout au contraire, dans nombre de communautés musulmanes, ce diplôme était loin d’être bien perçu, en partie du fait d’une communication désastreuse laissant planer l’idée que ces futurs imams étaient formés (en théologie musulmane !) par des prêtres !


Toutes religions confondues

Il fallut penser une refonte du DU et de son cadre. D’une part, pour assurer un certain débouché, on lia fortement le diplôme à la fonction d’aumônier qui commençait alors à se développer dans les hôpitaux et au sein des prisons. Plus encore, pour casser l’image d’un « diplôme musulman chez les cathos » et écarter plus généralement tout risque de stigmatisation de la communauté musulmane, dans un esprit plus conforme à la neutralité laïque, ce DU fut officiellement ouvert à tout ministre du culte étranger désirant officier en France, toutes confessions confondues.

Cette nouvelle version vit le jour en 2012. Même si les étudiants musulmans restent au cœur de la formation et le premier public visé, l’ouverture aux autres confessions ne fut pas un vain mot : depuis 2012, le séminaire russe orthodoxe d’Epinay-sous-Sénart envoie régulièrement chaque année une dizaine de ses étudiants. La promotion 2015-2016 compte ainsi une vingtaine de musulmans, une dizaine de séminaristes russes et un pasteur tahitien. Ce compagnonnage inédit crée une situation d’interculturalité étonnante qui n’est pas le moindre intérêt de cette formation. Sur le plan strictement académique, celle-ci s’organise désormais autour de 4 pôles : valeurs et institutions de la République française ; droit et liberté des religions dans le cadre français ; religion, philosophie et interculturalité (impliquant une introduction au judaïsme, au christianisme, à l’islam et aux religions orientales) ; techniques de médiation et de communication ; à quoi s’ajoute un mémoire final.


Une expérience contagieuse

Depuis 2008, d’autres DU similaires ont progressivement vu le jour : en 2011 à Strasbourg, en 2012 à Lyon, puis à Aix et Montpellier. Les graves évènements de l’année 2015 ont précipité le mouvement : dès février 2015, le ministre de l’Intérieur annonçait le désir de l’Etat de développer les formations civiles et civiques des futurs responsables du culte musulman. Fortement encouragées pour les imams, elles seront désormais obligatoires pour les aumôniers de prison et de l’armée – toutes confessions confondues, laïcité oblige. Un accord passé avec le Maroc en septembre dernier pour l’envoi d’une cinquantaine d’aspirants imams dans le nouvel institut de formation islamique créé par le roi Mohamed VI , prévoit également que ceux-ci seront tenus, à leur retour en France, d’obtenir ce diplôme. La frilosité des premières années est désormais loin et de nombreuses universités ont répondu à l’appel, si bien qu’en 2015-2016, on dénombre déjà une douzaine de DU.

Anne-Sophie Vivier-Muresan


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