La fin des temps pour les Chiites
Yann Richard
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Malgré l’hostilité qui, en notre temps, les sépare, sunnites et chiites sont héritiers du Coran. La fin des temps est un sujet qui les distingue.


Un jour redoutable

La fin des temps préoccupe les croyants. La description imagée qu’en propose l’islam, dans le Coran et dans la Tradition, permet de se préparer pour une vie bienheureuse dans l’au-delà. L’étape centrale est bien sûr le Jugement dernier, au cours duquel notre entrée dans la félicité ou la damnation sera décidée. Le Coran décrit certaines modalités du jugement et de la rétribution qui attend l’homme. Ce jour est redoutable, car nos actions sont connues de Dieu : « Le jour où il sera soufflé dans la Trompe du Jugement dernier et où s’effraieront ceux qui sont dans les cieux et sur la terre – excepté ceux qu’Allah voudra -, le jour où tous viendront, en suppliants, où tu verras les montagnes que tu crois immobiles passer ainsi que font les nuages, […] ceux qui viendront avec une mauvaise œuvre seront précipités face dans le Feu et il leur sera dit  : “Êtes-vous récompensés pour autre chose que ce que vous faisiez ?” » (XXVII, 87-90)


La croyance au Mahdi

La croyance au Mahdi, le « bien guidé » qui doit régner sur le monde avant la résurrection, n’est pas coranique. Il fallait en effet, au temps des Omeyyades, espérer qu’un chef viendrait restaurer la justice après l’oppression. Cette croyance prit bientôt une dimension eschatologique : de même que les chrétiens espéraient le retour glorieux de Jésus, un Sauveur, que certains musulmans identifièrent à Jésus lui-même (ou derrière lequel Jésus se prosternerait), viendrait du ciel avant la fin du monde pour diriger la prière rituelle. Des traditions non concordantes décrivent les conditions de reconnaissance de ce Mahdi qui serait de rang prophétique, aurait le nez aquilin et le front dégarni… Mais surtout il apporterait pour quelques années à la communauté des croyants une prospérité plus grande que jamais et distribuerait généreusement des richesses à ses partisans. « Il remplira la terre d’autant de justice qu’elle aura été remplie d’oppression. »

Certaines traditions disaient que le Mahdi, qu’on peut appeler désormais le Résurrecteur, puisqu’il présidera à la résurrection finale, serait un descendant du Prophète Muhammad (ahl al-bayt) et porterait également son nom. Les premiers califes Abbassides portèrent dans leur titulature les qualificatifs messianiques, comme « le Généreux » (al-Saffâh) caractéristiques du Mahdi. Bientôt la famille des Imams chi’ites revendiqua cette prestigieuse dignité, puisqu’ils descendaient directement du Prophète par Fâtima.

Les soufis, à la suite d’Ibn al-Arabi, se sont emparés des traditions qui font du Mahdi le Sceau des Légataires (awsiyâ) comme Muhammad avait été le Sceau de la Prophétie : le Mahdi sera infaillible, et les docteurs de la loi s’opposeront à lui, alors que les soufis se rallieront à lui.


Le restaurateur de la justice

Dans le chi’isme, la croyance dans l’avènement d’un restaurateur de la justice et de la religion est devenue centrale. Le Mahdi qui est de la descendance du Prophète, et qu’on identifie au Douzième imam, est occulté mais il reviendra dans la gloire à la fin des Temps. On l’appelle également le Qâ’em, « celui qui ressuscite ». L’Imam aurait mis, d’après la tradition, les chi’ites en garde : « Je ne me montrerai plus à personne, sinon quand en viendra la permission divine. Mais cela n’aura lieu qu’après l’écoulement d’une longue durée. Les cœurs deviendront inaccessibles à la pitié. La terre sera remplie de tyrannie et de violence. D’entre mes chi’ites il se lèvera des gens qui prétendront m’avoir vu matériellement. Attention ! celui qui prétendra m’avoir matériellement vu avant les événements de la fin, celui-là est un menteur et un imposteur. Il n’y a de secours et de force qu’en Dieu le Très-Haut, le Sublime. »

L’attente du Dernier Jour

Les chi’ites croient également que peu avant la Résurrection, aura lieu la réincarnation ou « retour » (raj’a) des justes et des corrompus : les premiers seront récompensés par la vision du royaume de vérité et par des richesses ; les seconds seront punis sévèrement par la vengeance divine. Certains réformateurs iraniens du 20e siècle (Shari’at Sangalaji, m. 1946) ont contesté cette croyance trop humaine.

D’après une tradition chi’ite, le Prophète aurait dit du Mahdi : « …Ses fidèles sont illuminés par sa Lumière ; ils profitent de sa dilection (walâya) pendant son Occultation, comme on profite du soleil même lorsqu’il est recouvert de nuages. » Avant son retour, la terre sera envahie par le Mal, et il viendra comme un sauveur universel du monde. Nul étonnement que cette croyance occupe, chez les chi’ites, une place centrale. Elle est associée à des pèlerinages dans les lieux où aurait lieu le retour de l’Imam à la Fin des temps. On prie Dieu de hâter son retour et on anticipe parfois cet événement en lui laissant une place d’honneur lors des réunions. Autrefois, à la porte des villes, on tenait prêt un cheval blanc pour porter l’Imam quand il se présenterait. Le président Ahmadinejad (2005-2013), partisan d’un chi’isme littéraliste, laissait une place pour l’Imam à la table du Conseil des ministres et se disait parfois nimbé de sa lumière quand il prononçait un discours (comme à la tribune de l’ONU à New York). La mosquée de la ville de Khorramshahr, détruite par les Irakiens pendant la guerre de 1980-88, est décorée de fresques représentant le retour triomphal de l’Imam, une manière, lors des opérations de contre-offensive, de galvaniser le moral des jeunes volontaires auquel on distribuait également une clé factice censée les conduire au Paradis s’ils mouraient en « martyrs » pour la cause sacrée en traversant les terres minées par l’ennemi.

Ainsi, tous les musulmans attendent le Dernier jour, mais les chi’ites ont investi autour de cette attente une croyance très forte qui les tourne encore plus fortement vers l’avenir, et qui leur fait espérer le salut dans les conditions d’adversité les plus extrêmes.

Yann Richard

Lire : Md-Ali Amir-Moezzi, Le guide divin dans le shî’isme originel, Paris, Lagrasse, Verdier, 1992. Y. Richard, L’islam chi’ite, croyances et idéologies, Paris, Fayard, 1991


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