La famille aujourd'hui et hier en islam
Mustapha Cherif

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« La famille est considérée - à en croire le Coran -
comme le domaine de la vie le plus important.»
Au cœur d’une modernité débridée,
Mustapha évoque la manière dont le Coran ouvre le chemin
qui mène à une vie épanouie et ouverte.

La famille musulmane menacée.

Le mariage en Islam est vivement recommandé. Il est considéré comme moitié de la religion. Le mariage entre une femme et un homme, donné allant de soi, naturel, religieux et éthique, repose sur des conditions précises pour être valide. Toute autre forme de mariage qu’entre un homme et une femme est inconcevable et illicite, portant atteinte à la biologie et à l’éthique. La pseudo-modernité actuelle, sous prétexte des droits de l’homme, s’est formée dans une métamorphose du rapport général au monde qui réalise une fragile autonomie et, surtout, ruine les valeurs abrahamiques et naturelles, dont celles de la famille… (p.290)

Dans le monde entier, par-delà le caractère hétérogène des sociétés, trois phénomènes sapent les fondements de l’humanité actuelle, et suscitent des réactions diverses, des violences, des troubles mentaux et des déviances :
- sur le plan religieux, la rupture entre les valeurs spirituelles et l’ordre social et, en réaction, le repli qui produit la religion refuge, instrumentalisée et répressive ;
- sur le plan politique, les injustices, le recul du droit et de la possibilité d’exister de manière responsable ;
- sur le plan des valeurs, la domination de la logique du marché et ses aspects inégalitaires, permissifs et déshumanisants.

La société musulmane, sur la base de la famille, résiste encore à ces facteurs déstabilisants, mais sans système politique mobilisateur et porteur, notamment au niveau éducatif et culturel, et faute d’une compréhension sans cesse renouvelée et intériorisée des valeurs religieuses, elle finit par subir doublement, comme les autres et de manière spécifique. (p. 296)

La famille est évidemment considérée par l’Islam comme l’instance d’intégration fondamentale et le rempart contre l’exclusion, la désorientation, les maux sociaux et psychiques ; elle demande de privilégier la relation contre la séparation, la durée contre l’instant, le mariage contre l’union libre, la coparentalité, sans confusion, contre l’arbitraire et l’exigence de l’avenir pour les enfants.

Les débats sur les fonctions de la famille, sur ses évolutions, sur la « crise » de la famille, sur les relations entre le droit et les évolutions sociales et les valeurs morales, sont au cœur de la vision du monde. La famille, entre ses modifications et ses recompositions, intéresse et inquiète nombre de disciplines. La famille est considérée comme « le domaine de la vie le plus important ». Les questions tournent essentiellement autour de la transmission des valeurs, de la parentalité, des liens éducatifs.

La famille, lieu de socialisation

La famille, selon le Coran, porte une part de responsabilité, mais une part seulement. La famille constitue l’unité élémentaire fondamentale de la vie en société dans le sens où elle permet une large part de la reproduction sociale. Il s’agit du premier groupe dans lequel les individus se socialisent et apprennent à vivre en société. La famille est aussi une unité de base dans le cadre duquel est réalisée une grande part de ces opérations quotidiennes essentielles.

La crise actuelle de la famille s’exprime par le relâchement parental  ; la perte de l’autorité familiale, à cause de la marchandisation du monde et de l’accent mis par le système capitaliste sur la priorité à la « libido », sans tenir compte d’aucune limite ou valeur éthique. La famille s’est transformée sous l’effet des changements économiques et de l’évolution des valeurs soumise à la logique marchande et libérale. La société institutionnalisée moderne a répondu à ces évolutions par des transformations du droit et des politiques familiales. Résultat, la famille traverse aujourd’hui une crise dont le coût risque d’être élevé pour la société.

On entre dans une société dite moderne où la valorisation de l’ego et du plaisir à tout prix compte plus que l’institutionnalisation du couple, où chacun cherche à créer, au cours de sa vie, des formes parallèles ou plurielles de famille et compter sur la solidarité publique, mais où on accélère la dislocation des liens ; tout en oubliant l’enfant.

Dans le contexte d'une modernité débridée

On ne parle plus de la famille comme d’un projet liant un homme et une femme à leurs enfants, mais d’un « moment de la vie d’un adulte qui peut prendre des formes variées ». Le problème de la relation entre les générations et celui des droits et devoirs envers les membres de la famille deviennent cruciaux. Dans ce contexte d’une modernité débridée, les enfants sont confrontés à des « moi narcissiques » et à des conflits entre leurs parents. Diverses études sociologiques sur la famille révèlent non seulement l’ampleur des changements dans la famille, mais surtout leur rythme accéléré. La famille comme lieu d’intégration, source de liens et fondements de l’humanisation est en train de laisser place à une unité où la concurrence et l’égoïsme dominent.

L’égalitarisme familial et la confusion ou l’opposition intégriste des fonctions engendrent frustrations et remise en question du rôle et de la place des pères, le refus de se voir dicter ses comportements de la part des enfants. La précarité économique et sociale aggrave la déstabilisation et engendre des peurs et des incertitudes, aptes à favoriser l’exaspération des conflits et des angoisses. Le relâchement du soutien intergénérationnel des parents envers leurs enfants en proie au chômage, aux difficultés d’insertion professionnelle et économique, sont aussi des facteurs à prendre en compte dans l’analyse des transformations familiales.

Coran : des points de repère

Le Coran donne des points de repères pour aider la famille à ne pas subir les transformations, mais les assumer selon une grille de lecture et un code de valeur ouverts, et inventer de nouveaux cadres, de nouvelles pratiques, sur la base de valeurs pérennes. L’égalitarisme, l’individualisme, l’épanouissement personnel, le primat de l’affectif sont quelques-unes des valeurs sur lesquelles repose la société contemporaine et dans lesquelles la famille tente de puiser désespérément de nouveaux moyens à sa socialisation. C’est pourquoi, plus que de crise, on peut parler de remise en cause du cadre ancien, naturel, et de mutation de la famille contemporaine.

La famille est féconde, selon l’Islam, si elle prend en compte les symptômes des dérégulations et ruptures de dialogue. Car le symptôme est déjà une réponse au malaise, à l’angoisse et aux névroses. La crise de la famille s’exprime donc souvent par ce qu’on appelle la « crise de l’autorité », crise de la fonction paternelle.

Ces symptômes sont des repères psychiques et cliniques, des repères de structure qui permettent d’être alerté sur ce qui ne va pas. La désagrégation de la fonction paternelle, devenue nouveau symptôme de l’époque, viendrait, selon l’Islam, du silence du « père », de l’incapacité des institutions à éduquer et inculquer un sens ouvert de la religion, et aussi certains discours démagogiques et d’endoctrinement qui, dans le cadre de la précarité sociale et économique, sont causes d’agitations.

Des problèmes de société

Les transformations rapides, voire déshumanisantes, n’ont pas été accompagnées socialement ni reconsidérées juridiquement, ce qui crée un déphasage regrettable et des tensions qui n’épargnent aucune couche sociale. Il ne s’agit pas d’un problème « religieux » classique mais d’un problème de société qui nécessite d’articuler et d’équilibrer entre les dimensions essentielles de l’existence. Le conflit n’est pas entre la foi et la raison (ni entre l’Islam et l’Occident) mais concerne l’instrumentalisation de l’une ou de l’autre. Ce qu’il faut rechercher, c’est un partage afin que chacun puisse confronter et désenclaver ses propres connaissances et se pratiquer une approche scientifique pluridisciplinaire qui ne néglige aucun effort pour se hisser au niveau de l’universel sociétal et familial.

Le projet d’autonomie en famille, selon l’Islam, est lié au vivre-ensemble, à l’interaction ; cela consiste à rendre les humains maîtres de leur vie et de leur société, à commencer par leurs proches, conscients et responsables de ce qui leur arrive, de ce qu’ils construisent et de la nécessité de garder la mesure en tout, se gardant de la tentation du trop, et de l’illusion de la puissance. C’est un projet marqué par l’usage de la rationalité, mais aussi de l’autolimitation, sur la base des valeurs de la foi : se lier sans s’aliéner, pour que les humains puissent vivre ensemble sans qu’une autorité les manipule.

La raison et l'exemple du Prophète

La culture musulmane vise, selon le Coran, à faciliter à chacun la possibilité de s’ouvrir, de se libérer des illusions, pulsions, fictions, et de se fixer des limites en tenant compte de l’exemple qui inspire, celui du Prophète, et en usant de l’outil clef, la raison raisonnable. Cela n’est pas donné d’avance et peut être perdu de vue dans un contexte d’injustices.

L’autonomie, selon la culture musulmane, en tant que liberté responsable ou autolimitation, est difficile dans la solitude, c’est-à-dire sans la famille, première expérience de l’être commun. Elle ne saurait donc céder à une expansion illimitée d’une permissivité qui rmpt les liens humains et sociaux. Des chercheurs en Occident, en général, comme l’affirme Lacan lui-même, font souvent prévaloir, articuler et mondialiser, sur le plan de l’expérience morale et culturelle de la famille, la seule expérience occidentale d’origine judéo-chrétienne.

Par conséquent, des concepts, même sécularisés, sont encore imprégnés d’une vision qui n’est pas identique ou applicable aux référents des autres cultures et singularités, en particulier ceux de l’Islam. La famille est conçue en Islam comme le lieu où se transmet la notion du bien distincte de l’illicite afin de former une communauté sociale équilibrée et viable : »Que de vos se forme une communauté qui appelle au bien, ordonne le convenable et proscrive le blâmable : ce seront eux les triomphants » (3,104). Il ne s’agit pas seulement de dimension religieuse du bien et du mal, mais d’éthique et de culture.

Mustapha Cherif


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