Un islam européen ?
Saad Abssi, Mohammed Benali, Christine Fontaine
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Les musulmans sortent
du «Dar el islam» (la maison de l'islam.
Ils cherchent leur place à l'intérieur
des pays de culture occidentale.



Illustrations de Pierre Meneval

Naissance d'un islam européen

L'année 1989 est sans doute un point de repère important pour la reconnaissance, dans la conscience des différentes nations, d'un islam européen.

Cette année-là, l'Ayatollah Khomeiny fulminait une fatwa condamnant à mort Salman Rushdie, un anglais de religion musulmane, pour avoir écrit un livre considéré comme sacrilège, « Les Versets sataniques ». L'Angleterre et tout le continent en étaient ébranlés. Jusqu'à cette date, la France, par exemple, était consciente de la présence d'immigrés venus sur son sol depuis le début des Trente Glorieuses. Certes, depuis longtemps, les cimetières militaires comptaient un nombre impressionnant de tombes marquées d'un croissant, mais les soldats maghrébins des armées françaises pendant les deux grandes guerres du siècle dernier étaient considérés comme des « indigènes » plus que comme des musulmans. Certes, depuis la fermeture des frontières pour limiter les flux migratoires, les familles maghrébines, par peur de ne pouvoir revenir dans l'hexagone au terme d'un séjour au bled, faisaient venir leur famille ; nombre de Marocains, Tunisiens, Algériens se sédentarisaient. Certes, depuis 15 ans, le Père Michel Lelong essayait d'éveiller la conscience de l'épiscopat et des chrétiens de France sur la dimension religieuse de ces populations.

L'Eglise de France, pourtant, était sensible, dans son ensemble, aux droits de séjour, aux questions de travail, de logement, d'enseignement plus qu'aux attentes spirituelles de ces hommes et de ces femmes qui n'avaient à peu près aucun moyen d'exercer leur droit à pratiquer une religion. Depuis 1982, les étrangers pouvaient se constituer en associations conformes à la loi de 1901 ; cela avait permis que prolifèrent des associations islamiques : de manière anarchique naissait ce qu'on a appelé « l'Islam des caves ». Avec l'aide des pays d'origine ou avec l'argent de l'Arabie Saoudite, par le biais de la Ligue Islamique, quelques ouvriers prenaient des initiatives. On achetait un vieux garage, un pavillon de banlieue, on obtenait des salles dans les foyers Sonacotra et on s'équipait tant bien que mal pour assurer le culte et réunir les enfants pour des cours d'arabe ou d'initiation au Coran. Un imam venait du Maghreb ne parlant pas français, la plupart du temps. La population française percevait avec assez d'agacement cette effervescence mais ses réactions étaient moins islamophobes que xénophobes : c'était l'époque de la montée du Front National et le chrétien venu du Congo ou du Bénin était aussi peu toléré que le musulman du Mali.

A la rentrée scolaire de cette année 1989, se produisit un événement qui obligeait le pays à ouvrir les yeux sur la réalité : l'islam faisait partie du paysage républicain. On avait connu cent ans plus tôt l'affaire Dreyfus et, dans les années 42, celle du camp de Drancy; au début du siècle, la séparation de l'Eglise et de l'Etat avait braqué les projecteurs sur le catholicisme. L'islam prenait le relais des religions établies en s'imposant aux regards avec l'affaire du foulard ; l'incident permettait aux musulmans de tenir leur rôle dans l'histoire conflictuelle des religions à l'intérieur de la France laïque et républicaine. En ce mois de septembre 89, en effet, quatre adolescentes de 13 ou 14 ans (Fatima, Leïla, Aïcha, Samira) sont exclues du collège Gabriel-Havez, à Creil, dans le département de l'Oise, parce qu'elles refusent, pour des motifs religieux, de retirer leur voile en classe (à l'intérieur d'un établissement de 876 élèves dont 500 étaient musulmans); l'événement fit grand bruit dans tout le pays. La polémique aujourd'hui encore est loin d'être dépassée. A cette date, il était devenu impossible de ne pas voir que l'islam était la deuxième religion du pays. Jusqu'alors on savait qu'il y avait des musulmans en France ; désormais il fallait reconnaître un islam de France. L'UOIF l'a bien compris ; sous l'effet de l'événement, elle a cessé de s'appeler Union des Associations islamique EN France pour devenir l'Union des Organisations Islamiques DE France.

Face aux institutions républicaines

C'est encore en 1989 que l'Etat français prenait conscience qu'aucune instance musulmane reconnue ne pouvait servir d'interlocuteur autorisé. Le CRIF et le Consistoire pour les juifs, l'assemblée des évêques pour le catholicisme, la Fédération de l'Eglise Réformée de France pour les protestants, étaient des partenaires institutionnels clairement identifiés. Rien de tel vis-à-vis de l'islam.

Le ministre de l'Intérieur de l'époque, Pierre Joxe, fit une première tentative en créant le CORIF (Conseil d'Orientation et de Réflexion sur l'Islam de France). Sa composition est assez révélatrice des regroupements qui s'opéraient entre les différentes associations. Le recteur de la Grande Mosquée était le porte-parole des Algériens; la Fédération Nationale des Musulmans de France était aux mains de leaders marocains; la Fédération Française des Associations Islamiques d'Afrique, des Comores et des Antilles regroupait des hommes et des femmes de race noire; le mouvement piétiste « Foi et pratique » qui, de fait, n'est rattaché à aucun pays mais fortement actif dans toute l'Europe, avait sa place dans le Conseil. L'UOIF, idéologiquement proche des Frères musulmans égyptiens, regroupant plusieurs associations liées à la Tunisie, était également représentée. Quelques intellectuels, reconnus pour leur sagesse, étaient invités.

Le CORIF eut au moins le mérite de rendre hommage à la présence de l'islam devenu la deuxième religion de France, d'en respecter l'extrême diversité, de faire face à quelques problèmes concrets : la viande hallal dans l'armée, les carrés musulmans dans les cimetières. Il a fait apparaître, de manière officielle, l'originalité d'un islam implanté pour la première fois hors du Dar El Islam et du Dar El Harb. L'islam européen fait partie de ce que l'on commence à appeler « Maison du contrat ». Cinq à six millions de musulmans inventent la façon de demeurer fidèles à leur religion dans une société sécularisée. Ils sont acculés à se tourner vers les pouvoirs publics pour faire valoir leurs droits et résoudre des problèmes typiquement religieux : constructions de mosquées, marché de la viande hallal, sacrifices du mouton pour l'Aïd, recrutement des imams, prêts de salle pour les fêtes, carrés musulmans dans les cimetières.

Réciproquement l'Etat français, malgré sa volonté de refouler le religieux dans la sphère individuelle, s'est vu obligé de faire face à des demandes d'ordre communautaire. Le problème le plus symbolique est sans doute celui par lequel la visibilité de l'islam s'est imposée : le problème du voile islamique. L'enflure médiatique, la jurisprudence du Conseil d'Etat, la création de la Commission Stasi furent autant d'étapes pour aboutir à la loi sur la laïcité, le 3 mars 2004 : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».

Le CORIF n'eut qu'une existence éphémère. Mais, de manières différentes, les ministères de l'Intérieur successifs se sont affrontés au problème ; Monsieur Pasqua, s'appuyant sur la Grande Mosquée de Paris, d'obédience algérienne, prônait un islam gallican, bien explicité par une Charte de l'Islam en France. Il revient à Monsieur Chevènement d'avoir lancé l'idée d'un Conseil Français du Culte Musulman(CFCM) pour tenter d'accorder les différentes composantes de cette religion nouvelle. Aux fédérations existantes s'est ajouté le « Comité de Coordination des Musulmans Turcs de France » (CCMTF).

Unifier l'islam de France

L'opération ne fut pas simple ; unifier l'islam de France conduisait à des conflits de pouvoir entre personnes, à l'intérieur du pays, mais aussi entre les puissances étrangères dont sont issues les populations musulmanes. Relativiser l'influence de la Grande Mosquée de Paris, par exemple, risquait de compromettre les relations avec l'Algérie ; il fallut l'interventionnisme de Monsieur Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, pour que le 13 avril 2003, 4000 délégués élisent les membres du premier CFCM et de 25 conseils régionaux (CRCM). L'entreprise était risquée  ; elle était fortement contestée par des jeunes fréquentant des mosquées non affiliées aux grandes fédérations et, de ce fait, plus libres à l'égard de l'étranger mais qui n'étaient pas représentées.

Cinq ans après leur naissance, l'efficacité du CFCM et des Conseils régionaux est contestée. Reste qu'il fut pour la France un allié puissant à l'étranger. Au moment où des preneurs d'otages retenaient deux journalistes pour obtenir le retrait de la loi sur la laïcité ils se rendaient à Bagdad pour affirmer, en septembre 2004, que la loi sur la laïcité n'était pas dirigée contre l'islam de France. On lui est redevable de la nomination d'un aumônier national pour les prisons et d'un autre pour l'armée. S'il s'est avéré incapable de contribuer à la formation d'imams en France, néanmoins il a contribué à la mise en place, en janvier 2008, d'une formation destinée à tous les cadres religieux y compris les cadres musulmans. Bien sûr, les questions islamiques n'y sont pas abordées mais les questions ayant trait à la laïcité et à la rencontre des cultures y sont traitées avec sérieux. Les élections de juin 2008 furent particulièrement troublées : la Mosquée de Paris et la Mosquée de Lyon se retiraient de la compétition. Le RMF (Rassemblement des Marocains de France) obtenait alors 51% des voix et l'UOIF 40%. La Présidence du CFCM était alors confiée à Mohammed MOUSSAOUI.

Les Conseils Régionaux n'ont pas encore fait leurs preuves mais l'expérience de celui de Rhône-Alpes est encourageante. Grâce à la personnalité et la compétence de son Président, Azzedine Gaci, chercheur en sciences physiques, les associations, les préfets et leurs chefs de cabinet ont un interlocuteur capable de faire avancer efficacement les dossiers de constructions de mosquées ou de mise en place de carrés musulmans. Azzedine Gaci a fait la preuve que les CRCM peuvent être des moyens efficaces pour inventer un islam ajusté à la situation française.

C'est bien d'invention qu'il s'agit lorsqu'on parle d'islam en France. Après le tournant des années 75, des pères de famille prenaient des initiatives dans « les banlieues de l'islam », pour reprendre l'expression de Gilles Kepel. Le témoignage des expériences d'Asnières et de Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine illustre à merveille cette volonté de s'équiper, sans doute pour pouvoir transmettre aux enfants un patrimoine spirituel. Ce qui se passait en France avait ses équivalents dans les différents pays d'Europe. Deux types d'accueil se dessinaient. On parlait en France d'intégration. Le pays laïc ne s'est occupé ouvertement de cette religion nouvelle qu'à contrecoeur et sous la pression des faits. Le souci des gouvernants était d'abord de forger les immigrés sur le modèle du citoyen sécularisé qui refoule dans la vie privée sa pratique et ses convictions religieuses ou idéologiques. En réalité la laïcité française s'était construite surtout face au catholicisme et s'est avérée mal ajustée aux exigences de l'islam.

Un autre modèle s'imposait en Angleterre ou aux Pays-Bas que désigne le mot « multiculturalisme » ; chaque communauté idéologique est promue et affichée ouvertement dans la vie publique. Au Royaume-Uni, il ne peut être question d'interdire le voile islamique ou le turban des sikhs. En Allemagne, le Land de Berlin paie, dans les écoles, les cours de religion musulmane, au même titre que les cours de religion dispensés par les catholiques et les protestants. En Espagne également, des jeunes professeures musulmanes, voilées lorsqu'il s'agit de personnel féminin, enseignent l'islam dans les écoles et les lycées. Des salles de prière, au Danemark, permettent aux lycéens de faire la Salat à l'heure convenue.

Par-delà ces diversités, peut-on parler d'un islam européen ? Ils sont près de millions, d'origines très diverses  : Algérie, Maroc, Turquie, Tunisie, Proche-Orient, Afrique Subsaharienne, Pakistan et Asie. Toutes les écoles juridiques y sont représentées. Peut-on parler d'unité dans ces conditions ? Toujours est-il que l'Union des Organisations Islamiques en Europe (à laquelle l'UOIF de France est affiliée) travaille à la réaliser. C'est ainsi que fut créé en 1997 le Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche dont le siège est à Dublin. Son but explicite : « orienter le comportement des musulmans d'une Europe rebaptisée « Maison de la Promesse », dans les domaines qui relèvent de la société nationale (école, famille, sexualité) ». Il n'est pas rare que des jeunes de banlieue leur téléphonent pour répondre à des questions de conscience précises. Il a édité un « Recueil de fatwas, guide du licite et de l'illicite ». Il s'agit de permettre de vivre conformément à la Sharia en tenant compte du contexte nouveau où un aussi grand nombre de musulmans sont amenés à vivre.


Islam et islamisme

On parle de « choc de civilisations » à propos de la rencontre de l'islam et de l'Occident. Samuel Huntington s'est rendu célèbre par ce livre où il explique que les conflits internationaux sont le fruit de la rencontre des religions. Peut-on dire que l'islam européen est une illustration de cette thèse  ? La réponse est malaisée. Manifestement, pour ne parler que de la France, il faut reconnaître que l'Education Nationale et les différentes institutions républicaines ont permis à beaucoup de jeunes issus de l'immigration de trouver leur place dans la société et que beaucoup de ceux qui sont doués acquièrent des compétences réservées à une élite : chirurgiens, ingénieurs, chercheurs et même ministres ! On ne peut que se réjouir aussi de constater que, de plus en plus, les élus écoutent les demandes qui leur sont adressées pour des constructions de mosquées par exemple.

En revanche on ne peut pas nier non plus que le monde musulman, en France du moins, souffre d'islamophobie. On l'a constaté à propos de la demande de la Turquie d'entrer dans la communauté européenne : ceci engendre des réflexes de refus. Quand le feu est mis à une mosquée ou quand des tombes musulmanes sont profanées, peu de Français s'émeuvent. En revanche tout sacrilège à l'égard d'une synagogue entraîne le déplacement d'un ministre voire du Président. Deux poids, deux mesures ? Sans doute faut-il s'interroger ur la sincérité de ceux qui, se référant aux Droits de l'Homme, stigmatisent la condition faite à la femme musulmane. On ne peut s'empêcher d'être mal à l'aise quand les médias s'emparent d'un fait divers comme le désappointement d'une nuit de noces pour crier au scandale et dénoncer le machisme musulman !

Allons plus loin ! Beaucoup de Français ont peur parce que la rencontre de l'islam et de l'Europe s'accompagne de terrorisme. Comment oublier les attentats à la mosquée de la rue Myrrha à Paris le 11 juillet 1995 et, deux semaines plus tard, l'attentat au métro «Saint-Michel»(8 morts et 111 blessés ! ). On parle de jihadisme pour désigner les comportements qui ont provoqué, en mars 2004 , les attentats de Madrid et en juillet 2005 ceux de Londres.

Ce qu'on appelle le terrorisme est-il une conséquence du choc des civilisations ? Certains écartent la question en y voyant le fruit des injustices sociales dont les musulmans, en tant qu'immigrés, font les frais. En réalité, des études sérieuses ont montré que s'il est bien vrai que les « poseurs de bombes » sont souvent recrutés dans les prisons ou dans les cités défavorisées, les leaders ne font pas partie des exclus. Ils ont souvent fait des études supérieures et plus de 90% d'entre eux n'ont eu aucune formation religieuse.

L'année 1989 qui marque l'avènement officiel de l'islam en France est aussi une date marquante pour la manifestation de l'islam dans le monde; le 15 février de cette année-là, les dernières troupes d'URSS évacuaient l'Afghanistan. Des « brigades internationales » composées de jeunes de tous les pays, y compris des pays européens, soutenus par l'Arabie saoudite faisaient la Guerre Sainte. En réalité, croyant s'attaquer à l'impie soviétique, ils servaient les intérêts américains. Des légions de jeunes musulmans, une fois la guerre terminée, se trouvaient dépossédés de leur idéal ; ils s'éparpillaient partout dans le monde à l'affût d'un ennemi imaginaire pour le profit d'une Oumma non moins utopique. Ainsi naissaient le GIA et d'autres bandes qui s'infiltraient un peu partout faisant naître une nébuleuse de gangs difficile à cerner.

Antoine Garapon, dans une conférence à l'Ecole Normale Supérieure (30 mai 2006), s'est efforcé de comprendre le phénomène tel qu'il se manifeste aujourd'hui. Il y voit un problème de reconnaissance. Certes, beaucoup de jeunes immigrés commencent par profiter de l'Occident et des facilités qu'ils y trouvent ; ils entrent dans une culture qu'ils sont capables d'assimiler. Un jour ils sont entraînés par un discours radical qui les retourne complètement ; ils se précipitent dans un islamisme qui fait naître des comportements aberrants. Ils ont l'impression que l'Occident les a trompés et, s'ils ont pactisé avec lui, ils en éprouvent une grande culpabilité. Leur conversion s'accompagne d'un désir de rédemption. Ils le trouvent dans un islam imaginaire aux dimensions de la planète, un islam pour lequel ils sont prêts à donner leur vie. Naguère, l'individu accédait à la reconnaissance dans un état-nation ; aujourd'hui, le musulman est le colonisé d'hier qui ne peut acquérir sa reconnaissance qu'à un niveau mondial. Cette situation appelle, certes, une présence à un niveau local : il convient de garder les pieds sur terre. Mais il convient aussi de repenser le lien politique à un niveau international. « Redéfinir un nouveau pacte politique et réaffirmer l'unité du corps politique pourrait avoir deux effets : tout d'abord, étancher le vivier potentiel, couper les furieux de leur communauté et également créer un langage commun avec des intellectuels musulmans ».

Une coexistence à inventer

Parmi ces derniers, il convient de prêter attention à la réflexion de Tarek Ramadan. Certes, sa pensée est subtile et difficilement acceptable par un esprit imbu de laïcité : beaucoup le taxent de «  communautarisme ». En réalité, il tente d'ouvrir les mentalités occidentales à ce qui constitue l'originalité musulmane. Après des siècles d'affrontement entre Orient et Occident le choc sera inévitable si l'Occident ne comprend pas que la rencontre de l'islam et de l'Europe est perçue, par les musulmans, comme la rencontre du christianisme et de l'islam. Si l'autre, en l'occurrence le musulman, n'est pas reconnu dans son identité, s'il faut pour se parler dans une société européenne, se fondre dans le moule de la sécularisation, le « choc » est inévitable.

Plutôt que de plier les populations venues de la terre d'islam au modèle occidental, plutôt que de les rendre semblables, pourquoi ne pas les accepter dans leurs différences ? Les pays européens devraient accepter la culture de ceux qu'ils accueillent et la religion est inséparable de cette culture ; c'est la condition pour que l'Orient accepte de rencontrer l'Europe et l'Occident. Il doit être possible de faire une société où la culture du musulman accompagne celle de l'Européen. Le jacobinisme a fait son temps. Vivons le pluralisme que l'arrivée de l'islam permet et la société tout entière bénéficiera d'une tradition qui a fait ses preuves dans tous les domaines : sciences, art, architecture, médecine, recherche. Une musulmane disait un jour à une chrétienne de « Mes-Tissages »: « Puisque je porte le voile, je suis nécessairement une bonne citoyenne. Le voile me rappelle que le travail que j'ai à faire doit être conforme à la volonté de Dieu ; c'est pourquoi je m'y applique avec le plus grand sérieux ». Cette remarque illustre assez bien la pensée de Tarek Ramadan.

Cette coexistence est-elle possible ? L'association Mes-Tissages fait une expérience de pluralisme qui donne à espérer. D'une famille culturelle à l'autre, en l'occurrence de la communauté chrétienne à la communauté musulmane, la communication est possible. Elle n'est pas automatique : il faut inventer un langage qui permette aux uns et aux autres de se reconnaître. Lorsque des femmes arrivant du Maroc, rompues aux méthodes de tissage berbère, s'initient aux méthodes des Gobelins, elles inventent un langage dans lequel les populations d'origine européenne entrent sans difficulté.

Nous nous devons de réfléchir sur l'écart entre les uns et les autres. Il est grand parfois mais il ne doit être ni un mur de pierre infranchissable ni un souffle impalpable qui brouille les traits du visage. Il est un face à face où l'autre peut devenir l'ami ou l'ennemi. La naissance d'un islam qui s'affiche sans chercher à dominer dans un ensemble humain où il n'est pas majoritaire pose à la conscience européenne une question dont il convient de souligner la noblesse.

Saad Abssi, Mohammed Benali, Christine Fontaine



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