L’internet, la diffusion du savoir et les besoins de la jeunesse

Mustapha Cherif
"La foi à l'heure d'internet" Page d'accueil Nouveautés Contact

Mustapha Chérif est théologien et philosophe. Il a créé dès 1989 en Algérie une Université innovante fondée sur l’enseignement à distance, qui s’est vite enrichie des apports du numérique.

L’internet est l’espace du pire et du meilleur. Plus encore les jeunes déçus par l’absence d’espaces de libre expression et de formation adéquate, consacrent l’essentiel de leur temps à l’information sur internet. Au sujet de la foi, des jeunes sont assoiffés de savoir, surtout à cause des crises d’autorités, des censures et des ignorances qui les heurtent.
Outil à double tranchant, l’internet devrait permettre la circulation du savoir et des connaissances et partant de pacifier, d’humaniser, de corriger ou faire évoluer la façon de comprendre et pratiquer la culture, la religion et notre rapport au monde.

Dans ce sens, dans une vision large et académique, j’ai fondé l’Université de la formation continue en Algérie, en 1989, un acquis historique, que j’ai eu l’honneur de mener avec une équipe de jeunes universitaires.
Vingt ans après, en 2009 j’ai mis en place sur internet un Master en civilisation islamique, au sein de l’Université Ouverte de Catalogne. Le but était de contrecarrer l’extrémisme et d’expliquer scientifiquement ce que c’est « être musulman » et « croire » à travers le temps. Combattre l’ignorance c’est combattre l’obscurantisme.

L’Université de la deuxième chance

Tout d’abord, l’UFC, l’open-université algérienne, l’université de la deuxième chance et de la modernité, met l’accent sur les dimensions de l’enseignement à distance, la justice sociale, l’adéquation formation-emploi, les spécificités du pays et les nouvelles technologies de la communication.
Compte tenu des limites des places pédagogiques dans l’enseignement présentiel et les contraintes de temps et d’espace de celui-ci, l’enseignement à la carte et à distance pour s’instruire, se cultiver et se former s’avère comme une solution d’avenir.
Quel que soit son âge, son milieu social, sa profession, chaque citoyen doit avoir la possibilité d’étudier, d’approfondir et de renouveler ses connaissances. D’où la création de l’Université de la Formation Continue.

L’« Université de la seconde chance », comme l’ont consacrée les étudiants et des médias, a eu pour règle fondamentale de dispenser un enseignement au moins égal en valeur à celui des universités classiques et de délivrer des diplômes classiques et spécifiques de validité nationale
Le but donc était de s’ouvrir à tous ceux qui ont les capacités de poursuivre des études supérieures, mais qui n’ont pas eu la possibilité de le faire. Il s’agissait aussi de répondre aux besoins des secteurs utilisateurs, par une offre académique, en matière de formation permanente adaptée à l’évolution des métiers.
Et partant de ce principe, l’UFC aspire à mettre fin aux déperditions scolaires et universitaires, à donner de l’espoir, à contrer les discours extrémistes de tous bords, à assurer l’adéquation formation-emploi. En somme, à contribuer à forger une société fraternelle du savoir et une économie de la connaissance.

Elle était à l’avant-garde de la pertinence du recours à l’enseignement à distance, aux cours du soir et aux NTIC dans la mise en œuvre cohérente de la réforme de l’éducation.
En effet, la formation du soir et à distance permet d’éduquer une masse de citoyens, d’étudiants désœuvrée ou non et de former des professionnels, graduellement et par niveau de compétences. Des formations à la carte et des banques de ressources pédagogiques sur cette base ont depuis été mises en place.
Elles peuvent être exploitées en commun, comme outils pour les formateurs et les enseignants, dans un système éducatif au vaste réseau. Toutes les universités doivent prendre en charge les besoins de perfectionnement, l’éducation permanente et l’enseignement pour toute la vie.

Le seuil maximal des possibilités d’accueil est atteint, dans l’enseignement présentiel traditionnel en horaires/jour par l’ensemble des universités et établissements de l’enseignement supérieur. L’enseignement à distance est l’une des réponses possibles pour réduire la pression et transmettre la culture de la créativité et de la paix.

La création de l’UFC a contribué à réduire la pression et a enclenché une dynamique de progrès et de vie culturelle le soir dans nombre de villes, où se sont implantés les Centres de formation continue.
Dans ce sens, l’adéquation formation-emploi et l’évolution du niveau culturel et scientifique de la population concernée constituent la finalité intrinsèque de l’UFC, qui utilise des modes multiples de transmission des connaissances, adaptés aux possibilités et rythmes des étudiants : enseignement à distance, cours du soir, stages bloqués, perfectionnement et recyclage, vidéoconférences etc.
Il s’agit indirectement de contribuer à former des citoyens équilibrés, c’est à dire capable à la fois de fidélité aux racines et d’ouverture sur le monde. Dans un monde en crise éthique et de sens, la façon de croire et de vivre sa foi doivent se fonder sur un savoir solide et non point des approximations, et encore moins sur des préjugés.


Médias et savoirs

Pour capter l’attention de la jeunesse, la première radio FM spécifique en Algérie fut celle de l’UFC, la première émission de télévision entièrement consacrée à la science et au savoir, toujours en cours le vendredi matin sur la chaîne nationale, est aussi celle de l’UFC. Ce fut des éléments d’une révolution culturelle. La formule des cours de soir et de l’enseignement à distance recueille plus de candidats et donne davantage de résultats que les établissements classiques d’enseignement.

L’UFC est fondée sur plusieurs principes : l’utilisation optimale des ressources du secteur de l’enseignement supérieur ; un contournement des contraintes de temps, de lieux et autres obstacles sociaux ou physiques de l’enseignement présentiel, l’adéquation formation-emploi, une formation à la carte, une relative autonomie et un enseignement mixte classique et spécifique, dans l’intérêt du développement national.

Des résistances, des polémiques et des oppositions sont apparues par la suite, par conservatisme ou incompréhension, et l’UFC a été réduite à sa seule mission spécifique. Des formations performantes et des diplômes légaux et réglementaires de l’UFC, autant ou plus encore que ceux offerts par l’université classique, ont été injustement contestés par des organismes. Mais le succès fut complet.

L’UFC s’insérait dans l’étape de la société engagée dans des réformes multidimensionnelles. Les autorités locales elles-mêmes ont contribué à la mise en œuvre en assurant les CFC de leur soutien, compte tenu de son apport à chaque ville et région. L’économie des moyens mis en œuvre a constitué le principe autour duquel s’articule la stratégie de déploiement.

Le vide culturel et l’ignorance font partie des problèmes de notre temps. Mettre à la disposition des jeunes des outils souples de transmission du savoir répond aux besoins. Aujourd’hui, l’UFC est présente quasiment au niveau de toutes les wilayas du pays.

Dès sa création, l’UFC a suscité un impact sans précédent auprès des jeunes et des travailleurs, soucieux de poursuivre leurs études pour améliorer leur condition sociale, professionnelle et scientifique. L’UFC a enregistré en l’espace de deux semaines (octobre 1989), plus de cinquante mille demandes d’inscription, issues de tout le pays. L’émission scientifique, comme espace de débat didactique, à la télévision sous une forme novatrice et attrayante, a lieu depuis l’année 1990.

Les inscrits en pré-graduation et en graduation à l’Université de la formation continue répondent tout à fait à l’appellation normative d’étudiants telle que consacrée par l’UNESCO, qui n’est pas restrictive, et bien mieux encore, car ils sont souvent plus mûrs, plus expérimentés et plus motivés.

L’avance prise par l’UFC concerne sa stratégie en faveur des NTIC du e-learning et de l’ouverture sur les besoins de la société, des institutions et de l’environnement économique. Elle crée des formations selon les spécificités géographiques et économiques pour le développement local. Sur le plan des méthodes, elle diversifie les voies d’apprentissages.

Cela permet à des apprenants de suivre des cours par correspondance, en ligne, en cours du soir, ou en stage, d'effectuer des travaux collaboratifs et des tests d'évaluation, tout en bénéficiant de l'aide et du suivi continu de tuteurs.


En termes opératoires

La crise actuelle de la pandémie et l’instrumentalisation de la religion montrent qu’il faut tout faire pour ne pas laisser le vide s’installer. L’enseignement à distance et le téléenseignement doivent être généralisés, c’est la mise à disposition des enseignements, des enseignants et des étudiants, via les technologies de l’information et de la communication, des programmes et des informations utiles pour leur formation et recherche personnelle ou professionnelle.

L’enseignement à distance et le téléenseignement, le virtuel, sont la forme de l’université du futur. Ils ne sont pas nouveaux dans le secteur de l’Enseignement supérieur, l’Université de la formation continue l’expérimente. Elle est la pionnière. Depuis 1990, elle n'a pas cessé d'être une université novatrice proche des apprenants. Elle a redonné espoir, sauvé des dizaines de milliers de jeunes assoiffés de savoir et formé plus de cent mille adultes dans le cycle d’études supérieures.

L’UFC par la spécificité de ses formations, outil de recherche et de formation pour le monde du travail, offre la possibilité d’acquérir une formation adaptée aux besoins des nouvelles données culturelles et économiques, dans le but de s’adapter en permanence aux changements nationaux et mondiaux.

L’Université de la formation continue d’Alger a participé au projet euro-arabe Avicenne. Elle assure en outre la formation à distance d’une partie des enseignants du secondaire à l’aide d’une plate-forme de e-learning, développée par une équipe de chercheurs liée à un Éditeur international, à partir de plusieurs outils modernes.

La formation à distance est le moyen efficient de toucher en temps réel un grand nombre d’étudiants. Les TIC offrent des possibilités considérables pour l’éducation, la diversité et les besoins qui se font jour avec la généralisation d’Internet. Cette formule du virtuel répond en outre aux objectifs de démocratisation, de mérite et de la réforme du système éducatif.
Comme son nom l'indique, elle est dédiée en grande partie à la formation continue des adultes et a pour mission de pallier les insuffisances d'une formation initiale, d'où résulte la notion de deuxième chance offerte à ceux qui désirent compléter leur expérience pratique par un savoir académique, et partant de reprendre leurs études, sans contrainte temporelle.
Il s’agit d'accompagner le citoyen qui vise l'insertion ou le maintien sur le marché du travail, ou la reconversion vers une autre activité professionnelle et la promotion sociale. En sciences islamiques, elle permet de contrer les lectures idéologiques.

Les progrès à venir, dans le domaine du savoir doivent concerner la multiplication des réseaux réels et virtuels, de la capacité à diffuser le savoir en dehors des contraintes classiques, de maîtriser le stockage des données et de la faculté d'apprendre en e-learning.
Le gain de temps et d’espace constituent les défis du futur. La force d’une Nation dépendra de son intelligence collective, capable de tenir compte du point de vue du plus grand nombre et de penser plus vite que chacun des individus qui la composent.

La foi « figée », la « colonisabilité » dont parlait Malek Bennabi, ou « l’aliénation » que décrivait Frantz Fanon sont liées à l’ignorance ! Le noble but est d’éduquer. L’internet peut contribuer à assumer ces défis, nos responsabilités, pour s’émanciper et s’approprier la révolution scientifique, afin de relever les défis du XXIe siècle.

Dans le monde, l’absence d’une nouvelle pensée politique, de renouveau culturel et de réforme cohérente, de l’école et de l’université, sont les principaux obstacles au développement. En investissant dans le numérique il est possible d’aider la jeunesse à s’instruire et partant, à vivre sa foi paisiblement et rationnellement.
La création de l’UFC se voulait un début de réponse. Dans la vision de l’économisme, l’accent est trop souvent mis sur le développement de situations d’apprentissage qui remplaçaient les leçons magistrales axées sur le discours de l’enseignant.
Il s’agit, dès lors, sur internet de mettre l’élève au centre des apprentissages, pour contrer le risque qu’il perde le sens critique. Par exemple, au niveau d’internet, il y a un manque flagrant d’espaces scientifiques et crédibles sur le fait religieux au profit des jeunes afin qu’ils ne se laissent pas dévier par des apprentis sorciers. A l’heure actuelle je réfléchis à la question.

La crise de l’internet est l’expression d’une crise plus globale, celle de la mauvaise gouvernance de la société. Lorsqu’une société se construit sur l’autoritarisme, ou le populisme, la bureaucratie et la domination de la rente, elle s’ankylose et produit du ressentiment. La crise culturelle est un symptôme de la maladie d’une société qui a des difficultés à libérer ses énergies et à former une élite.

La transmission du savoir, les services d’enseignement à distance, les connexions multimédias, et ceux d'aide à l'insertion professionnelle doivent être dynamisés, pour proposer des enseignements adaptés aux besoins des étudiants et des jeunes, pour les rendre plus attractifs et plus ouverts au monde.
Dans ce sens, dans le domaine de l’islamologie, en 2009, j’ai créé le seul Master francophone sur internet dans le monde sur la civilisation islamique, à l’Université Ouverte de Catalogne. L’expérience a duré cinq ans avec succès. Le but était de transmettre le savoir académique, l’interculturel, d’introduire de la souplesse et de contribuer à mettre fin au choc des ignorances et au fanatisme.
L’enjeu étant de diffuser le savoir éclairé et de s'adapter à la réalité spécifique de chaque étudiant, de chaque discipline et région. Le dialogue, l’indépendance et la pluridisciplinarité sont indispensables à un enseignement de qualité et une recherche créative.

De multiples interrogations variées et diverses sont posées par les jeunes, sur comment se former, trouver un emploi, ou vivre sa foi, dans un monde désenchanté ou hostile à la religion ou à l’altérité.
La connaissance en ligne doit s’appuyer sur des pédagogues ouverts, capables de forger du lien social citoyen, transmettre l’esprit critique constructif, dans le cadre d’un horizon du débat respectueux et responsable. A ces conditions l’ignorance, l’intolérance et les extrémismes reculeront.

Professeur Mustapha Cherif
Mail intellectuels@yahoo.fr


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