Derrière les barreaux à Fleury-Mérogis
Mohamed Boina M'Koubou
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La prison fait partie des institutions françaises.
Autrefois l'aumônerie y était surtout confiée
aux chrétiens et aux juifs.
Aujourd'hui les responsables musulmans y trouvent aussi leur place.
C'est parfois le lieu où des jeunes détenus
découvrent leur propre religion.

Pouvez-vous vous présenter
et nous dire pourquoi vous êtes devenu aumônier de prison ?

Je suis français d'origine comorienne, en France depuis les années 60. Je suis retraité de l'Assistance Publique (HP). Après ma retraite, en 2001, je me suis dit : « En tant que musulman, que puis-je faire pour aider les autres?. D'abord, je suis allé donner des cours d'alphabétisation au Secours Populaire. Puis j'ai appris que l'Institut de la Mosquée de Paris où je pratique régulièrement, ouvrait un enseignement de théologie pour la formation des imams. Je me suis inscrit à cette formation qui a duré trois ans. J'ai suivi aussi un cycle d'études à l'Institut Catholique de la rue d'Assas pour connaître les institutions de la République française. Je suis alors devenu imam dans le but de servir ma communauté. J'ai choisi d'exercer dans les prisons parce qu'il y a une crise : une pénurie. Les catholiques ont toujours visité les prisonniers. Mais les musulmans ont un retard considérable. Nous avons pris conscience qu'il fallait former des aumôniers seulement tout récemment; grâce à Monsieur Zeïna, un homme très religieux, qui, dans les années 80, faisait partie du CORIF (Comité d'Orientation et de Réflexion sur l'Islam en France).

J'ai alors établi un dossier pour devenir aumônier musulman. Ce dossier a été envoyé au ministère, à la Préfecture et a déclenché des enquêtes. J'ai reçu d'abord un droit d'accès provisoire, puis permanent, à la prison. J'interviens à Fleury-Mérogis. J'y ai débuté au quartier des lourdes peines, pendant peu de temps. Puis j'ai eu une affectation définitive au C.J.D (Centre de Jeunes Détenus) depuis 2006.

Qui sont ces jeunes que vous avez découverts ? Quel genre de délits ont-ils commis ?

Savez-vous que 75% des détenus dans les prisons de France sont des jeunes musulmans ? A Fleury Mérogis, sur 400 à 500 détenus au CJD, les trois quarts sont musulmans nés en France. On appelle ce quartier celui des « Jeunes Détenus  » car certains ont 14 ans mais ils peuvent avoir jusqu'à 35 ans. Ils ont en commun d'avoir de courtes peines. En principe, on ne devrait pas mélanger les mineurs et les adultes.

Qu'ont-ils fait ? En tant qu'aumônier, je ne peux pas me permettre de demander à un prisonnier ce qu'il a fait pour être condamné. Cela me paraîtrait rouvrir sa plaie. La première fois, que je me suis retrouvé devant ces jeunes, j'ai été très choqué. Je ne me suis pas demandé quel délit ils avaient commis mais comment ils avaient pu en arriver là ! Je me suis dit que le fait de se retrouver en prison était forcément la conséquence d'un manque d'éducation et d'un manque de religion.
Alors j'ai décidé d'agir dans deux directions : vers eux pour leur permettre d'acquérir l'éducation et la religion qui leur a manqué, mais aussi vers ceux que je voyais dans la rue et qui pourraient bien finir comme les premiers si on ne s'occupe pas davantage d'eux. C'est pourquoi, en même temps qu'aumônier de prison, j'ai lancé une école coranique pour les enfants et les jeunes d'Ivry où j'habite. J'essaye de leur apprendre la religion et la manière de vivre avec les autres.

Concrètement, comment aidez-vous ceux que vous rencontrez en prison ?

Nous sommes deux aumôniers musulmans. L'un se charge des relations personnelles avec chaque détenu : il intervient directement dans les cellules ; l'autre assure un enseignement en groupe. Je suis chargé de l'enseignement, bien que naturellement le partage n'est pas si net. Il arrive aux jeunes de se confier à moi, de me dire leurs difficultés. Mais ma tache est d'abord de les inciter à prier Dieu. Il n'a pas d'associé : il faut s'en remettre à Lui directement. Lui seul pourra vraiment les aider à s'en sortir, à retrouver une vie digne pour l'avenir et à leur pardonner le passé.


Quand je suis arrivé à Fleury, il y avait une chapelle pour les catholiques mais il n'y avait pas de salle de prière ou d'enseignement pour les musulmans. Or, cette chapelle est pleine de statues : il nous est vraiment difficile d'y prier. J'ai donc demandé à l'administration l'ouverture d'une salle pour l'enseignement et la prière. Elle m'a été accordée. Cependant elle est très petite : elle contient, au plus, trente personnes. Les musulmans viennent par roulement. Je touche environ 20% de la population musulmane du C.J.D.. Par rapport au nombre de détenus, ce n'est pas beaucoup. La direction de la prison me dit que l'effectif des surveillants ne permet pas qu'ils soient plus nombreux. En effet, tout rassemblement, à l'intérieur de la prison, demande un encadrement. On ne peut me fournir les conditions nécessaires pour un rassemblement plus vaste.

J'interviens donc dans cette petite salle deux fois par semaine, normalement de 15 heures à 16 heures. En réalité, ça peut aller jusqu'à 17 heures. Je leur apprends à lire le Coran et je fais une conférence sur l'islam. Ensuite on fait la prière conformément au culte musulman. La conférence peut porter sur la manière de faire la prière ou les ablutions, sur les piliers de l'islam ou sur un sujet lié au comportement d'un musulman. On ne fait jamais de politique. A cet égard, on dit parfois que dans les prisons, on trouve des mouvements islamistes très durs. Lorsque ceci se produit, ce doit être dans « les grands quartiers » ; pour ma part, là où j'interviens, je n'ai pas rencontré cela.

Pouvez-vous nous préciser le genre d'enseignement que vous leur apportez ?


Pour l'instant, par exemple, c'est le mois du pèlerinage. Je prends ce thème. Je leur dis que le Hadj fait partie des piliers, si on en a les moyens financiers et les moyens physiques. Je leur explique, en ce qui concerne les moyens financiers, qu'il ne faut pas se servir de l'argent acquis en vendant de la drogue. Il faut que l'argent soit hallal, gagné à la sueur du front. Et quand on a une famille, il ne faut pas que vous laissiez votre famille mourir de faim. Il faut veiller à son confort, son loyer, sa nourriture. Alors vous pouvez partir.

Ce sont des propos de ce genre qui nous occupent pendant tout ce mois. Pour la lecture du Coran, la plupart ne savent pas lire l'arabe. Je leur fournis des cahiers pour l'apprendre. Ils ont le temps! Je leur donne un Coran ; il est fourni gratuitement par l'ambassade d'Arabie Saoudite. Mais pour les cahiers d'étude de l'arabe, je n'ai aucune aide financière. C'est moi qui vais les acheter à Barbès et qui les paye. Pareil pour les tapis de prière. Les musulmans sont vraiment très mal équipés !

Il faut savoir que lorsqu'un détenu entre en prison, on lui dit d'inscrire sur une fiche sa religion. On communique aux aumôniers son nom. Le détenu peut alors demander à un surveillant de déposer un papier dans le casier des aumôniers. En arrivant à la prison, je lis ces fiches : beaucoup demandent des tapis de prière ou des corans. Je les leur apporte la fois suivante. A partir de 17h, tous les détenus sont en cellule. Ils dînent vers 16h30. Ils ont alors beaucoup de temps libre. Certains en profitent pour apprendre le Coran par coeur. J'ai entendu dire que Monsieur Ben Bella, quand il a été renversé et mis en résidence surveillée, a reçu pour tout livre le Coran : il a eu le temps de l'apprendre par coeur. Certains transcrivent le texte en phonétique pour ceux qui ne connaissent pas l'arabe. Avant de leur donner le Coran, je leur demande s'ils savent le lire, s'ils connaissent la manière de le prendre et de l'utiliser. Je leur dis que c'est en lisant le Coran que leurs voeux seront exaucés, que le pardon de Dieu leur sera accordé. Ceci leur permettra de se réinsérer plus facilement dans la société.

Comment vivent-ils le Ramadan ?


On leur communique les heures de début et de fin du jeûne. Au repas de midi, ils prennent le fruit ou le dessert. Ils le mettent de côté. Ils rejettent le repas chaud. Ils prennent le repas du soir. Mais ce dîner est servi vers 16h30 donc, cette année, bien avant la rupture du jeûne qui avait lieu vers 20h30. Plusieurs détenus m'ont posé la question suivante : « Est-ce que vous ne pouvez pas intervenir auprès de la Direction pour qu'ils nous permettent, à nous musulmans, d'aller préparer notre soupe ?» Ça leur aurait permis de prendre au moins un repas chaud dans la journée. La Direction a refusé. A 17 heures, tout est fermé.

Le Ramadan est le mois où les prières sont nombreuses. On leur donne des tapis pour qu'ils puissent faire leurs prières individuellement dans leurs cellules. C'est permis à condition de respecter leurs voisins s'ils ne sont pas musulmans.

En ce qui concerne la pratique de l'islam en prison, certains détenus demandent de la viande hallal. J'ai transmis la demande aux instances supérieures : l'aumônier régional, l'aumônier national, le CFCM. Ce sont eux qui doivent dire à l'administration : « Nous avons des frères musulmans à Fleury et il faut qu'on leur fournisse de la viande hallal. » Moi, à mon niveau, je ne peux rien faire. Je dis seulement aux jeunes que pendant la distribution du repas, ils peuvent prendre les fruits ou les yaourts. S'ils savent que cette viande n'est pas hallal, ils ne doivent pas la manger. Mais s'ils ne savent pas et qu'ils mangent, il n'y a pas de problème. Aussi, s'ils ont vraiment faim et qu'il n'y a rien d'autre, ils peuvent manger. Ou bien que s'ils n'ont pas confiance, ils ne mangent pas la viande et se contentent des légumes. S'ils ont un peu d'argent, ils peuvent acheter à l'épicerie du thon par exemple.

Vous évoquiez l'heure des repas et de la fermeture des cellules. Pouvez-vous nous parler des conditions de détention en général ?


Les détenus, bien sûr, n'ont pas leur liberté ! Ils sont entourés de surveillants.: ils doivent se tenir convenablement. Ils sont soumis à des interdictions. Mais les conditions de détention, à ma connaissance, ne sont pas déplorables, à Fleury dans le quartier où je vais. Ils peuvent téléphoner à leurs familles une fois par semaine. Ils peuvent recevoir de l'argent. Ils ne l'ont pas en mains mais la somme est inscrite sur leur compte. On leur fournit une feuille récapitulant tous les articles disponibles dans le magasin. Ils cochent et passent la feuille au surveillant qui leur apportera dans leur cellule ce qu'ils auront commandé. Il est vrai qu'il y a des obligations, la promenade, par exemple. Cela fait partie des exigences de l'administration pénitentiaire. Certains travaillent à l'extérieur ; il faut qu'ils rentrent à l'heure prévue. Certains travaillent à l'intérieur : la cuisine pour les 500 détenus est préparée par des prisonniers. Le chef cuisinier vient de l'extérieur mais le travail est fait par les détenus. Les cellules sont étroites, c'est vrai.

La prison n'est pas un lieu de villégiature !
Il est vrai qu'ils n'ont pas leur liberté et que c'est très dur. Mais ils peuvent apprendre le Coran comme ils peuvent faire des études jusqu'à la licence et même jusqu'à l'agrégation. Des enseignants vont dans les prisons. Les jeunes ont des salles de classe aménagées pour qu'ils puissent suivre des cours chaque matin. Ils peuvent passer le brevet ou le bac. Ils ont des ateliers de peinture avec des artistes, des ateliers de menuiserie, des salles de sport, des bibliothèques. Ils ont la télé dans leur cellule où ils sont 3 ou 4. Mais ils sont en prison !

Pour vous donner une idée de ce que représente le fait d'être privé de liberté, je voudrais vous raconter combien de barrages j'ai à franchir avant d'arriver au quartier où je suis affecté. Dans la prison, il y a la porte principale. On présente sa carte. Le surveillant, au rond-point, note le numéro. On pénètre alors dans le sas. Il est absolument interdit d'y entrer avec un portable. On le laisse à l'extérieur dans des cases qu'on ferme avec un code. Tout objet métallique doit être déposé au sas dans une boîte. On passe alors sous les rayons X. On arrive ensuite à une troisième porte puis une quatrième. Quatre premières portes sont à franchir. Si alors un incident se produit dans la prison, ça entraîne « un blocage ». Un surveillant crie : « C'est bloqué! » et on reste sur place debout pendant des heures sans pouvoir avancer ni retourner en arrière ni même s'asseoir jusqu'à ce que les portes soient débloquées. A ce moment-là on traverse une cour ; deux portes sont encore à franchir : il faut montrer sa carte. On arrive au secrétariat  ; on va dans le casier qui vous est réservé en tant qu'aumônier. On prend connaissance de son courrier  : des demandes de détenus qui veulent voir l'aumônier, qui demandent un tapis de prière. Ensuite, vous demandez à la secrétaire : «Il faut ouvrir le culte musulman dans la salle». Il faut encore attendre ! Et puis enfin on est arrivé ! Il est normal qu'il existe toutes ces règles de sécurité. Mais quand on est détenu on en sent nécessairement tout le poids.

Quels sont vos rapports avec l'administration pénitentiaire ?


La « commission des indigents » est un lieu où l'on peut discuter. Il y a des représentants des responsables des détenus. Mais aucun rapport individuel n'est possible. Je ne suis pas habilité à dire aux surveillants comment se comporter vis-à-vis des détenus.

Cette commission se réunit une fois par mois dans les prisons. Elle concerne les détenus qui n'ont aucune aide. Si tel ou tel détenu, présent depuis six mois, n'a eu aucune visite ni reçu aucun mandat, on décide de lui attribuer la Télé et on lui donne 20 ¬ . J'y ai participé à plusieurs reprises, mais j'avais honte. Quand j'ai demandé d'où venait l'argent, j'ai compris qu'il venait du Secours Catholique ou du Secours Populaire, mais qu'au niveau islamique, il n'y avait rien. Il faut dire la vérité : l'islam ne participe en rien. La commission, bien sûr, ne tient pas compte de la religion pour apporter une aide. J'ai exposé le problème au Secours Islamique de Massy mais jusqu'à présent je n'ai toujours rien ! Sauf à la fin du Ramadan où les musulmans reçoivent un colis du Secours Islamique grâce à la zakat.


Avez-vous des relations avec vos confrères catholiques ou protestants ?

On se croise dans les couloirs. Je vois souvent l'aumônier catholique. J'ai toujours demandé qu'on puisse se retrouver. Un séminaire avait été organisé par Madame Blanqui à Fresnes pendant deux jours. Tous les aumôniers se sont retrouvés. On a discuté des conditions de vie dans les prisons, des règles, des interdictions et des autorisations. Cette expérience n'a jamais été renouvelée.

Je souhaiterais que cela se reproduise au moins une fois par an.

Que pensez-vous de la façon dont fonctionne la justice en France?


La justice française est une justice à plusieurs vitesses. Souvent, quand j'ai le temps, je vais au Palais de Justice à Paris assister à des audiences publiques. J'ai trouvé un jour, dans les comparutions immédiates, un jeune africain de 17 ans. Il était venu pour une fête populaire à Paris. Une touriste étrangère avait été volée : on lui avait pris son portable et son appareil photo. Le jeune a avoué qu'il était l'auteur du larcin. La dame qui a porté plainte réclamait simplement le remboursement de ce qu'on lui avait pris. L'appareil-photo coûtait 300 euros. Elle a chiffré le montant de ce qu'on lui avait pris. La famille du jeune se trouvait là. Elle se proposait de rembourser. L'avocat général a requis 18 mois de prison ferme. Il a été suivi. La vie du jeune était brisée ; ses études terminées : 18 mois ! Son avocat avait été commis d'office. Vous vous rendez compte ! Le tribunal pouvait donner 6 mois avec sursis ; le jeune aurait compris et son avenir n'aurait pas été compromis. La justice française a huit vitesses. Il y a la vitesse pour Ali ; il y a la vitesse pour Jacques, pour Pierre etc. Dans un autre procès, celui de Yousef Fofana, il y a eu un crime horrible, c'est vrai. Lui et ses complices ont tué un jeune juif à Bagneux après l'avoir torturé. La justice française fait son boulot. Elle l'a condamné à perpétuité. Mais la famille de la victime trouvait que c'était insuffisant. Elle fait appel! Sans faire de polémique, je crois que c'est navrant.


Par ailleurs, une fois purgées leurs peines, ceux qui ont fait de la prison ne sont pas soulagés pour autant. Prenons le cas de quelqu'un qui « a fait trois ans ». Il était maçon, boucher ou menuisier. Se retrouvant dans la société, il a tout perdu. Il a perdu son domicile ; il a un casier judiciaire. L'aumônier a aussi un rôle social. Le prisonnier, une fois libéré, n'a plus rien. Il ne sait où aller. Il court à la récidive.

Quand un prisonnier me confie qu'il va sortir, je lui demande si sa famille est prête à l'accueillir, s'il va retrouver un emploi. S'il n'a absolument aucun lieu d'accueil, je veille à son hébergement. Il peut aller au Secours Islamique à Massy. Mais c'est très provisoire. Et après ?

Vous évoquez la sortie de prison. Savez-vous comment évoluent ceux que vous y avez côtoyés ?


Certains sortent grandis de la prison. Ils regrettent leurs actes. Beaucoup auront découvert la pratique religieuse et continuent à pratiquer une fois de retour dans la vie sociale. Ils savent que Dieu seul peut leur pardonner le mal qu'ils ont fait; Dieu seul leur donnera le bonheur. Ils savent que le bonheur doit se cultiver. Ils ont appris à faire la prière et comment s'y préparer avec les ablutions et des habits propres : ils sont fiers de le faire savoir à leur mère quand ils sortent. Ils savent lire le Coran et s'empressent de le dire à leur famille.

Mais bien sûr, ils ne pourront tenir longtemps s'ils ne sont pas aidés ; la société doit les aider. La première chose à faire est de ne pas leur rappeler ce qu'ils ont fait. Il faut aussi les aider matériellement et moralement. Dans une société comme la nôtre aujourd'hui, la difficulté à traverser - où ils ont besoin de notre aide - consiste à trouver du travail. Il leur faut aussi un toit. S'ils ne possèdent pas ces deux éléments, ils ne pourront pas s'en sortir. Qui pourra les aider sinon la société? Mais elle n'en est pas capable. Les prisons risquent de se remplir. S'ils ne trouvent rien, ils vont récidiver.


Avant le départ, l'Assistante sociale est débordée. Elle renvoie la balle à d'autres institutions aussi impuissantes qu'elle. « Allez voir votre famille, votre père, votre frère!». Beaucoup n'ont plus de famille. Ils n'ont pas de parloir ni rien. Leurs proches ont coupé les ponts, incapables de pardonner et s'estimant déshonorés. Il faudrait aller voir les directeurs d'entreprise et les convaincre qu'ils doivent aider telle ou telle personne. Il faudrait alors toucher le coeur de l'employeur.

Le jeune homme, sans aide, va s'enfoncer de plus en plus. Cette solitude est cause des suicides qui se produisent en prison. «Que va-t-il m'arriver à la sortie ? Qui va m'accueillir ? On va me montrer du doigt. Dans le quartier, on va dire : « ça y est ! Il est revenu ! »

On parle beaucoup de la réforme des prisons ; quels sont les points importants, selon vous, à prendre en considération?

Je prendrais le Canada comme point de référence. On a aménagé là-bas, dans les prisons, des endroits pour que les prisonniers puissent bénéficier de rencontre avec leurs proches. Il est indispensable de pouvoir garder ces contacts. Il est indispensable de conserver des liens avec ses proches et de pouvoir partager avec eux des moments de détente et d'intimité. C'est la condition essentielle pour pouvoir s'en sortir après la détention. Le parloir en France laisse à désirer.


Avant d'être aumônier, j'allais visiter des détenus à Pontoise ou à Villepinte. D'abord, un prisonnier n'a droit à des visites que s'il a déjà été jugé. Il faut, ensuite, faire une demande avec des pièces justificatives. Vous mentionnez la parenté avec la personne. Vous envoyez la demande à la Direction pénitentiaire de l'établissement où se trouve le détenu. On vous répondra en vous fixant un jour et une heure. Vous vous présentez, munis de vos papiers d'identité et de la convocation. Alors, des surveillants vont chercher le détenu qui, bien sûr, aura été fouillé. Vous vous trouvez dans une pièce où l'on peut à peine se serrer la main, pendant le temps qu'on vous a alloué : 15 ou 30 minutes selon les cas. On ne peut rien remettre au détenu, pas même un cadeau insignifiant qui pourrait lui rappeler que dehors on pense à lui  : il sera fouillé à la sortie. Une fois les 15 ou les 30 minutes écoulées, on entend : « parloir terminé ! ». Et il faut se quitter. C'est trop dur ! Inutilement dur !

Je crois que ces temps de parloirs devraient être, en priorité, réformés. Bien sûr, les conditions de sécurité ont à être respectées. Mais il faut savoir que la rencontre des proches est le seul moyen de tenir en prison et de pouvoir, au terme de la peine, s'en sortir.

Mohamed Boina M'Koubou
Sculptures de Jacques AUBELLE

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