Fallait-il réformer la laïcité
Jean-Luc Rivoire
"Séparatisme" Page d'accueil Nouveautés Contact

Fallait-il réformer la laïcité telle qu’elle résulte de la loi de 1905 ? Cette nouvelle loi ne risque-t-elle pas de remettre en cause la séparation des Églises et de l’État par la mise en oeuvre d’une police des cultes ? Jean-Luc Rivoire, juriste, tente de réponde à ces questions.


La loi

Le parlement a voté cet été la loi du 24 aout 2021 d’abord intitulée « loi sur le séparatisme » puis, à la demande du Conseil d’État « loi confortant le respect des principes de la République »

Il faut malheureusement constater que le parlement, malgré la durée des séances et le nombre considérable d’amendements n’a pas été capable de mettre en œuvre un véritable débat, le texte n’étant que très peu modifié par le travail parlementaire.

Que penser de ce texte comportant 103 articles abordant des sujets nombreux, hétéroclites et donc difficiles à synthétiser. La première partie de cette loi abordent dans 66 articles des questions aussi diverses que : la neutralité des services publics, les certificats de virginité, les héritages, la polygamie, l’instruction familiale, le contenu des messages sur les réseaux sociaux, les activités sportives, les informations sur la vie privée…

Certaines de ces dispositions n’apportent pas grand-chose par apport au droit déjà existant. Par exemple la polygamie déjà interdite et sanctionnée. Certaines autres mesures concernent des situations tout à fait marginales par exemple l’instruction familiale. Les dispositions concernant les contenus des messages sur les réseaux sociaux soulèvent des questions complexes. La nécessité de légiférer dans cette matière n’est pas liée qu’à l’islam radical. Il s’agit d’un sujet qui traverse tout le corps social et qui n’avait pas besoin pour être réformé d’un texte sur la laïcité. Enfin pourquoi passer par la loi pour des mesures qu’aucun obstacle n’empêche d’être mis en œuvre si ce n’est la volonté de l’administration concernée et de ses responsables. Ainsi l’article 62 prévoyant la formation des enseignants et personnels de l’éducation nationale au principe de laïcité et à la prévention de la radicalisation est inutile et n’apporte aucune garantie de son effectivité.

La deuxième partie du texte, la plus critiquée, sous le titre « Garantir le libre exercice du culte » réforme substantiellement la loi de 1905. Ces dispositions concernent les associations cultuelles (loi de 1905), les associations ordinaires (loi de 1901) qui assurent l’exercice public d’un culte. La loi nouvelle impose, des modalités de désignation des dirigeants, des règles comptables spécifiques. Il est prévu une limite des participations financières étrangères. Elle instaure des contrôles réguliers sur l’activité et sur les contenus des discours publics. Elle crée de nouvelles infractions, durcit les sanctions et prévoit un régime de fermeture provisoire urgente.


Les suites de la loi

Le ministre de l’intérieur a, sans attendre le vote définitif de la loi, ordonné de nombreux contrôles et tenté de mettre en œuvre des sanctions exemplaires.

À la suite d’un prêche à la mosquée de Gennevilliers d’un imam -qui n’intervenait que ponctuellement - sur la pudeur et les tenues vestimentaires des filles et des garçons, le ministre twittait : « le propos rapporté de cet Imam est contraire à nos valeurs. À ma demande le préfet des Hauts de Seine a convoqué les responsables de la mosquée pour que cet imam soit limogé. » La menace d’une fermeture a été évoquée par les responsables de la préfecture.

Le 22 juillet à la mosquée de Saint Chamond (Loire), l’imam Mmadi Ahamada a cité un extrait de la sourate 33 du Coran : « Femmes musulmanes, tâchez d’obéir aux droits d’Allah et à ceux de vos époux, restez dans vos foyers et ne vous exhibez pas de la manière des femmes d’avant l’islam. » Une conseillère municipale du Rassemblement national dénonce ce comportement sur twitter. Le ministre de l’intérieur a demandé par courrier à la préfète de sommer l’association de se séparer de l’imam et d’instruire le non-renouvellement de son titre de séjour. Combien de prêtres catholiques ont été inquiétés pour avoir lu un mois plus tard le passage de Saint Paul aux éphésiens 5, 22-24 : « Soyez soumis les uns aux autres ; les femmes à leur mari, comme au Seigneur Jésus. Car pour la femme, le mari est la tête. Si l’Église se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes à l’égard de leur mari » ?

Pour de nombreux commentateurs, les valeurs et les principes de la République ne peuvent être figés dans un texte normatif. Les responsables des cultes peuvent être poursuivis s’ils commettent des infractions tel que tenir des propos provoquant à la haine ou à des violences, encourageant le racisme ou les discriminations. Poursuivre d’autres faits non punis par la loi pénale, c’est prendre le risque de l’arbitraire.

Le conseil constitutionnel dans sa décision du 13 aout 2021 indique à propos de l’article 26 de la loi qui subordonne le séjour d’un étranger en France à l’absence de manifestation d’un rejet des « principes de la République » :

« Si le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. L’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la constitution ou contre le risque d’arbitraire sans reporter sur les autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination a été confiée par la constitution qu’à la loi. Le législateur en faisant référence aux « principes de la République », sans autre précision, n’a pas adopté de dispositions permettant de déterminer avec suffisamment de précision les comportements justifiant le refus de titre de séjour. »

En conséquence l’article 26 est retiré de la loi nouvelle comme contraire à la constitution.

Une opinion très partagée

La loi que le parlement vient d’adopter est-elle au final utile, efficace, nuisible ou inquiétante ? Les avis sont très partagés.

1° La loi finalement adoptée serait insuffisamment répressive notamment pour le Parti Républicain et le Rassemblement National

2° Pour certains l’horreur incompréhensible des actes terroristes impose de réagir avec vigueur et d’armer la République contre l’islam radical car notre démocratie est menacée. Il est selon eux légitime de se défendre et la loi de 1905, qui a déjà fait l’objet de nombreuses modifications, doit être adaptée à la situation nouvelle. « L’esprit de la loi de 1905 n’est plus à l’ordre du jour. Une Laïcité de principes et de droit doit être remplacée par une laïcité de combat et d’idéologie. »

3° Les trois branches du christianisme, orthodoxes, protestants et catholiques ont décidé d’adopter une position ensemble. Ils réaffirment leur attachement à l’ambition et à la promesse de la République. « Notre pays a su unir des hommes et des femmes extrêmement diverses. Jamais la loi de 1905 n’avait été modifiée avec cette ampleur et surtout jamais elle n’avait été si modifiée que son esprit en soit transformé. D’une loi qui énonce les conditions de la liberté et laisse cette liberté s’exercer, on fait une loi de contraintes et de contrôles multipliés… La loi nouvelle risque de porter atteinte aux libertés fondamentales que sont la liberté de culte, d’association, d’enseignement et même la liberté d’opinion malmenée déjà par une police de la pensée qui s’installe de plus en plus dans l’espace commun… Comment espérer que de telles dispositions donnent à nos concitoyens musulmans confiance dans la volonté de la République de leur permettre de vivre leur foi avec liberté et sens des responsabilités et de pratiquer leur religion dans les seules contraintes du respect de l’ordre public… » Pour ceux-là, les justifications de ce projet de loi s’entendent. Il y a effectivement en France des menées que l’on peut qualifier de « séparatistes » dont les moyens d’action peuvent être la violence, ils sont le plus souvent la contrainte sociale, l’intimidation, la prédication menaçante. Il est du devoir de l’État de protéger les habitants de notre pays de ces manœuvres et de promouvoir la haute ambition de la République. Mais à quoi sert-il de compliquer la vie des associations cultuelles par la mise en place de mesure de contrôle de l’exercice du culte ?

4° D’autres enfin manifestent leur attachement à la loi de 1905 et s’inquiètent que l’État puisse prétendre imposer ce qu’un auteur appelle un catéchisme républicain. Qu’en sera-t-il de l’usage des dispositions nouvelles si la France est dirigée par un leader populiste ou si le temps des dictatures revient ?

Des observateurs éclairés de la laïcité disent que nous assistons, sur le long terme, à la mise en place d’une néo-laïcité qui s’articule autour de deux évolutions :
- Extension de la neutralité à de nouvelles personnes.
- Remise en question de la séparation des Églises et de l’État par la mise en œuvre d’une police des cultes.

Est-il besoin de rappeler l’article 1 de la constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale… Elle respecte toutes les croyances. » On serait tenté d’ajouter « même celles qui ne nous plaisent pas ».

Jean Luc RIVOIRE


Retour au dossier "Séparatisme" / Retour page d'accueil