Educateur dans une cité
Taïeb
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« La Caravelle » est une cité du 92, dans la boucle Nord de la Seine.
On y compte 1600 logements, 6000 personnes dont la moitié a moins de 25 ans.
Bien que récente, son histoire a connu des heures tourmentées.
Notre association s'y est implantée en 1997
et Taïeb, un éducateur, nous y a accueillis les bras ouverts.
Il aime les habitants de cette cité
à laquelle il aura voué la plus grande partie de sa carrière.


L'attente était grande

Comment es-tu arrivé à La Caravelle ?

J'ai été appelé à La Caravelle en décembre 1983 : 27 ans bientôt ! Au départ, on me demandait de créer un « Espace-Jeunes » au sein de l'APER (Association pour la Promotion des Equipements Résidentiels). Regroupant différents bailleurs, cette association accordait ce qu'on appelait « les mètres carrés sociaux » et fournissait une certaine somme pour promouvoir différentes actions. A l'origine, on trouvait des responsables parmi des bénévoles habitant sur place ou venant d'ailleurs. En réalité, l'attente était grande.

La population ressemblait-elle à ce qu'on voit aujourd'hui ?

La population, à cette époque, était beaucoup plus mélangée. Certaines familles résidaient là depuis les années 60. « La Caravelle » avait été bâtie parce que le Maire de Villeneuve avait accepté d'accueillir les rapatriés d'Algérie, ceux qu'on appelait « les pieds noirs ». Dès le début des Nord-africains et des Africains y habitaient. Depuis 1984, on parlait de réhabiliter la cité. Dans ce cadre, l'APER prenait une certaine importance ; il s'agissait de créer un « Espace-Jeunes » pour lequel j'ai été embauché. La drogue commençait d'arriver d'un peu partout.

J'avais une expérience d'animation dans un centre de loisirs où je donnais bénévolement de mon temps. Auparavant, lorsque j'étais étudiant, je manquais d'argent, il fallait s'accrocher ; pour me procurer de quoi vivre j'avais trouvé à faire de l'animation. J'ai pris alors sans m'en apercevoir le chemin conduisant à un travail social.

Les populations changeaient de visage

Le paysage a-t-il changé depuis ton arrivée ?

Quand je suis arrivé, on appelait la cité : « la carte perforée » pour évoquer les séries de petites fenêtres alignées sur les façades des immeubles. Des grandes barres de béton quadrillaient l'ensemble. Les allées Paul Claudel et Albert Camus faisaient un peu un carré avec deux coupures : l'allée Louis Jouvet, le square Roger Martin du Gard et Gérard Philippe. L'allée St Exupéry ne formait qu'un seul bloc.

Dès ces années-là (1983-1986), ils ont voulu rénover les fenêtres. Quand je suis arrivé, la réfection avait commencé ; ils avaient élargi la surface des garages pour créer l' « Espace-Jeunes ». Par la suite on l'a appelé « Le Phare ».

Les populations aussi, à ce moment, changeaient de visage. A « La Caravelle  », dans les années 80, pour la fête de la Cité, le métissage était important. Par la suite, les communautés maghrébines et un grand nombre d'Africains sont arrivés. Beaucoup de Français sont alors partis. On me disait : « Qui peut vivre avec les Africains ? » Par ailleurs, le lien familial s'est consolidé. Telle famille habite un immeuble avec la fille, la soeur et le frère. Pour ne pas briser les liens, ils sont restés sur place une fois mariés : ils voulaient sauvegarder le tissu familial.

Aujourd'hui l'environnement est devenu agréable ; « La Caravelle » ressemble à un village ouvert qu'on a plaisir à traverser. Autrefois on faisait un détour pour l'éviter. Si la population demeure la même, c'est pour des raisons économiques ou scolaires. Les familles qui viendraient d'ailleurs auraient peur d'un échec pour leurs enfants. Cette année, parmi ceux qui viennent faire leurs devoirs, je n'ai jamais constaté un niveau aussi bas. Nous alertons les enseignants. Nous avons une centaine d'enfants. Nous les accueillons pour un prix modeste : 40 ¬ pour l'année (pour deux enfants : 60 ; pour trois enfants : 80).

Il y a des moments difficiles. Je me souviens d'un jour où un policier a reçu une plaque de bétons sur la tête qui lui avait été lancée par un jeune.

Je me rappelle bien ! Celui qui a fait cela est devenu un garçon sérieux qui a un bon travail : machiniste à la RATP. Un bon père de famille, sportif, bien dans sa peau.

Pendant des mois, nous étions pratiquement seuls, toi et moi, pour faire face à une situation qui prenait souvent des allures dramatiques. Les motos pétaradaient dans les allées. Les bandes s'en prenaient aux étrangers qui se risquaient dans la cité. Christine, venue pour aider au soutien scolaire a plusieurs fois été agressée ; on lui a dit « Retourne chez toi ». Les Français devenaient étrangers dans leur propre pays. Notre local a été vandalisé plusieurs fois. Les directeurs du Phare ne tenaient que quelques mois ; ceux qui ne démissionnaient pas faisaient un infarctus. Une voiture avait été lancée, moteur en marche, contre les murs des locaux.


L'attrait pour l'argent facile

A cette époque-là, nous n'avions pas assez de temps pour nous occuper des jeunes ni pour nous attaquer aux causes. Les parents démissionnaient un peu. L'attrait pour l'argent facile était fort : on dealait et cela aidait les familles. Elles cautionnaient jusqu'au moment où il y avait des problèmes avec la justice. Aujourd'hui, avec les systèmes de vidéo surveillance, la délinquance n'est plus visible. De toute façon, quand ils viennent chez nous, ils savent qu'on ne deale pas. Non seulement ils seraient vus mais ils savent que les lieux sont à respecter. Jamais un jeune ne fumera un joint devant moi. De toute façon, je n'ai pas de moyen de coercition ; je peux simplement les avertir : « tu auras des problèmes ! ».

En 2005, les banlieues ont pris feu. « La Caravelle » est restée calme. Comment expliques-tu cela ?

Les choses ont changé ; les associations sont plus nombreuses. Fut un temps où nous étions seuls, votre association et nous. C'était difficile. Grâce à Dieu, j'ai eu de la chance : jamais je n'ai été personnellement agressé ; ma voiture, une seule fois, a été cassée. Mais c'était une erreur : ils visaient quelqu'un d'autre.

Pendant neuf mois j'ai été seul, assurant par intérim la direction. Je ne pouvais rien faire d'autre que du soutien scolaire et le Président allait me chercher de l'argent liquide à la banque pour payer les animateurs. Les problèmes aujourd'hui sont moins graves mais c'est grâce à notre travail et à notre engagement; on est de moins en moins aidé par les pouvoirs publics.

Ceux qui ont réussi

Que penses-tu du monde scolaire à Villeneuve la Garenne ?

Dans le monde scolaire, il y a beaucoup de problèmes. Ici, nous avons souvent des jeunes enseignants qui n'ont aucune expérience. Ils n'ont jamais été formés pour enseigner dans les banlieues. Il est vrai que cela commence à changer ; je viens de parler à la nouvelle proviseure du Lycée Georges-Pompidou. Elle nous propose une collaboration ; nous l'acceptons.

Néanmoins, des jeunes réussissent leurs études : il faut le dire. A « La Caravelle », on a pris l'habitude de ne pas valoriser les succès. On a une mauvaise réputation ; une image s'est créée dont les jeunes sont victimes. « La Caravelle », dit-on, « c'est de la racaille ». Mais « La Caravelle » a fourni des ingénieurs ; plusieurs ont fait Sciences-Po. On ne parle jamais de ces réussites. Elles sont nombreuses ; je les connais bien tous ceux qui s'en sont sortis brillamment. On les sort maintenant pour les montrer dans des réunions mais pourquoi n'en a-t-on pas parlé plus tôt ? Il fallait qu'on ait besoin d'eux pour qu'ils soient reconnus.

Mon père me disait : « N'attends jamais qu'on vienne te taper sur l'épaule pour te féliciter d'avoir fait une bonne action. Mais le jour où tu vas échouer, on viendra vers toi !  » C'est exactement cela. Ceux qui ont réussi sont nombreux ; ils sont partis mais la famille est là. Je vais te donner un exemple. William GALLAS qui joue maintenant dans l'équipe de France et à l'Arsenal :il est mondialement connu. Je l'ai entraîné moi-même sur le terrain de foot ici. Si on le reconnaît aujourd'hui c'est parce qu'il a une renommée mondiale. A Villeneuve, il passait inaperçu ! On montre les échecs et jamais les succès. On ne montre pas aux jeunes qu'ils peuvent réussir.

L'islam est-il virulent chez les jeunes que tu côtoies ?

Je ne veux pas savoir. J'ai mes convictions personnelles mais je ne les affiche pas. Je respecte trop les gens de La Caravelle pour juger leur comportement religieux.

Taïeb



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