Droit de Cité : un roman de la banlieue
Paulette Dougherty-Martin
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Paulette est connue de nos lecteurs. Elle avait présenté, dans nos colonnes,
un livre de réflexion, fruit d'une expérience personnelle :
«L'Electrochoc spirituel» (ed. Salvator).
Elle a aussi imaginé un récit sur les banlieues,
aux Editions l'Harmattan (2007)


Etonnements et remises en cause

Un roman de la banlieue... Quel meilleur moyen d'être un passe-murailles que d'écrire de la fiction ? C'est la question qui s'est imposée à moi tandis que je revenais de chez mon éditeur, Salvator, où le directeur commercial, dépité par mon peu de ventes, me faisait valoir que personne ne lirait un livre aussi gros et théologique que le mien, sur le face-à-face Chrétiens-Musulmans... Alors que si je mettais toutes mes expériences sous une couverture marquée « roman », ça passerait un peu comme un dessert.

Eh bien, oui ! Je me suis dit, en cours de route, pourquoi pas ? Et d'emblée, le titre s'est imposé à moi. Cette petite fiction s'appellerait « Droit de Cité », et je pourrais y faire passer toutes ces situations cocasses ou périlleuses, tous ces étonnements et remises en cause que le fait de s'impliquer dans la vie des autres nous procure - tout ça sans en avoir l'air, juste en enchaînant une bonne histoire. N'est-ce pas le privilège de la littérature de nous faire partager l'intimité d'êtres que nous n'aurions jamais rencontrés en dehors d'un livre, et d'élargir notre capacité d'empathie avec ce bond dans l'imaginaire ? Sans avoir de prétentions littéraires, ce que je voulais, c'était bien de casser les images toutes faites et médiatiques, de faire passer le lecteur du côté de ces banlieues dont le nom dit bien que ce sont des lieux mis au ban, marginalisés.

Le symbole d'une ségrégation

Est-ce que c'est réussi ? Ce n'est pas à moi d'en juger. En tout cas, je me suis prise au jeu. Les personnages ne sont pas ceux que j'ai connus, mais ils leur ressemblent. Les péripéties qu'ils vivent sont un concentré de celles des ami(e)s que j'ai pu accompagner, entraînée dans leurs casse-têtes administratifs ou leurs impasses de vie. Mais, ici, c'est au sein d'une de ces grandes tours, qui s'érigent comme des parkings solitaires hors de tout paysage urbain humain, que je les rejoins plusieurs fois par semaine dans la personne d'Anne-Marie, 5une anagramme assez transparente de Marianne).

Le lieu est le symbole visible d'une ségrégation. Le temps enjambe plus-ou-moins trois générations, depuis l'ouvrier solitaire venu en avant-coureur et coupé des siens, (de ceux « au pays », autant que des voisins dans la tour), en passant par les pères et mères qui ont émigré vers la tour pleins d'espoir, évadés de leurs bidonvilles des années 70, jusqu'aux enfants de la cité, nés dans un paysage dégradé, sans porte de sortie sur l'extérieur. Mais c'est aussi l'histoire de certains qui ont passé le mur : ce mur invisible qui empêche autant ceux de l'extérieur de rentrer, que ceux de l'intérieur de sortir.


Lieux de frustration... et de créativité

C'est évidemment pour ceux de l'extérieur que j'ai voulu écrire. Il y a déjà un bon moment que les vrais natifs des cités ont livré leurs témoignages poignants ou drôles sur ce qu'était leur vie dans ces lieux de frustration - souvent, aussi, des lieux de créativité. Loin de moi de vouloir témoigner à leur place ! Non, mon procédé part plutôt de la conviction que « l'autre »  celui (et celle) aux habitudes et aux comportements « étranges » qui me renvoient à moi-même, aux vêtements et à la langue où je ressens une exclusion - celui ou celle-là m'est donné par Dieu précisément pour faire éclater les clôtures où je suis enfermée. Sans le vouloir, en général, et parfois sans le savoir !...

En tout cas, il n'est pas facile de passer « de l'autre côté » des barrières que nos sociétés ont élevées, afin de rester bien tranquilles « entre soi ». Tout ce faux-débat actuel sur « l'identité nationale » nous donne une bonne indication sur la frilosité de gens qui sont enfermés derrière leurs cloisons, et qu'on veut encourager dans leur crispation. Elle ne passera, on le sait, que lorsque leur espace vital se sera élargi ; la plupart des lepénistes se font peur dans des villages du midi où l'on n'a jamais vu un « émigré ».

Chaque fois que j'ai osé le pas, en prenant aussi de la distance envers « les miens », j'ai rencontré l'aventure. Je me suis découverte moi-même en même temps que cet autre, qui me posait problème, à la mesure même ou j'avais à surmonter clichés et préjugés. N'est-ce pas la raison pour laquelle nos traditions spirituelles nous recommandent l'accueil de l'étranger ? La sourate 5, verset 48, nous dit que « Si Dieu avait voulu Il aurait fait de vous une communauté unique : mais Il voulait vous éprouver par ses dons. »Des dons qui sont différents, mais où l'on commence par ne pas se reconnaître.

Surmonter clichés et préjugés

Même entre hommes et femmes, les différences sont sources de tension. Voilà un lieu premier où exercer l'hospitalité, dans le sens d'accueillir la différence comme une grâce voulue par Dieu. Comme l'épître aux Hébreux le recommande, dans le même sens : « N'oubliez pas l'hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges (He 13/2).» L'allusion à Abraham, accueillant les trois anges devant sa tente, pourrait résumer, pour nous tous, en tant qu'enfants d'Abraham, l'importance de cette injonction face aux efforts actuels pour la gommer sous divers prétextes « sécuritaires  ». Accueillir l'autre, même dans son coeur ou dans sa tête, oblige à sortir de chez soi et de chez les siens. Cela n'a jamais été plus vrai.

« Droit de cité », dans ce contexte, est un modeste effort pour faire se rejoindre les deux côtés du périphérique. En s'amusant le long du chemin. Du moins, je l'espère.

Paulette Dougherty-Martin



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