Dieu et les femmes en Méditerranée
Fawzia Zouari

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Fawzia Zouari est tunisienne. Cette intellectuelle s’interroge :
la place faite à la femme, à l’intérieur des familles méditerranéennes,
ressemble-t-elle à celle qui lui est réservée dans la Bible, l’Evangile ou le Coran ?

Les femmes dans les textes fondateurs

« Dieu a-t-il peur des femmes ? » s’interrogeait il y a quelques années un livre militant, tant il fut dit et supposé que le ciel est masculin par définition et que les religions monothéistes ont la phobie des femmes.

La lecture rapide des livres saints laisse entrevoir la liste de recettes destinées à mépriser et à punir les femmes. L’ambiguïté du discours des trois religions à l’égard de la gent féminine et le peu de place que ces dernières leur accordent dans la cité ne sont plus à démontrer. Faut-il en conclure, pour autant, que le christianisme est ambivalent à l’égard des femmes, le judaïsme méprisant et l’islam franchement misogyne ?

A bien observer le « comportement » et la parole du Dieu unique des Méditerranéens, fût-ce sous ses allures machistes, tout concourt à prouver la fascination qu’Il a pour ses créatures féminines, son amour secret et craintif pour elles. Sa prétendue défiance d’elles est constamment niée par les multiples occasions où Il en fait ses intercesseurs. Son affirmation de leur faiblesse ne va pas sans une reconnaissance de leur puissance. Et le fait qu’Il les assigne à la soumission ne cesse d’être chevillée à Sa hantise de les voir se rebeller.

L’obstacle du verbe franchi, on se rend compte que les textes fondateurs réservent aux descendantes d’Eve une place de choix. Marie est omniprésente dans les trois religions, y compris dans le Coran où « Mariam » est le seul prénom féminin cité dans le Livre des Musulmans. Aïcha et Fatima, respectivement épouse et fille de Mohamed sont vénérées de par le monde musulman. Sarah et Déborah ont joué un rôle majeur dans la religion hébraïque et Hager symbolise à part entière le destin d’errance du peuple juif.

Que serait du reste le christianisme sans l’intercession de Marie  ? Comment le Prophète Mohamed aurait-il « reçu » la révélation coranique sans la présence de sa première épouse Khadija, qui accrédite l’annonce de l’ange Gabriel et donc la parole d’Allah ? Y aurait-il eu les fils d’Ismaël sans Hager ? Et que ferait Job sans son épouse dont il est fait mention dans la Bible, attentive à l’épreuve infligée à l’homme et décidée à y faire face à ses côtés, silencieuse et distante, mais sachant commander sans recourir aux mots. Preuve que ce témoin-là est un des secrets détournés de l’amour de Dieu pour l’homme, que cette femme là est le seul garant de l’authenticité de l’humain.

Métaphore de la pulsion divine

Apparentée à l’idée de l’Absolu, la femme méditerranéenne fut aussi métaphore de la passion divine et manifestation de l’invisible. Si les figures des mystiques chrétiennes sont connues, de Marie Madeleine aux recluses du 12e siècle, en passant par Sainte-Thérèse d’Avila, il n’en est pas de même des musulmanes. Or, il importe de rappeler que si le principe du masculin prédomine dans la vie publique en islam, il en va tout autrement dans la vie mystique où les plus beaux gages d’amour envers Dieu furent portés par des femmes. La plus connue d’entre elles est Rabi’a al-Adawiyya, figure déterminante de l’histoire du soufisme du 8e siècle qui introduisit dans l’islam la notion de « l’Amour absolu » de Dieu.

Le thème du féminin est, en l’occurrence, central. La femme est la théophanie dans laquelle se manifestent les plus beaux noms divins, en effet. Elle est un exercice de mise en amour de Dieu, un mode de connaissance de la divinité. A preuve, lorsque, à trente six ans, le mystique Ibn Arabi se met à écrire ses Futuhat, il le doit à sa rencontre avec Nizam qui sera sa muse comme la Madone le fut pour Dante ou Laure pour Pétrarque. Enfin, des poètes mystiques n’hésitaient pas à adopter une apparence féminine et de pieux derviches s’habillaient parfois en costume féminin en signe d’humilité devant Allah.

La langue arabe témoigne, sur ce registre du moins, de la préséance du féminin sur le masculin : c’est par le féminin qu’on désigne le dhat (essence), qûdra (puissance), sîfa (qualification), i’lla (cause), nafs (âme), haqiqa (vérité).

Relire les Ecritures

Aujourd’hui, l’histoire critique moderne et l’exégèse des religions juives et chrétiennes ont démontré la différence entre la parole, le contexte d’origine et les déviations, et mis en exergue les méfaits d’une certaine anthropologie religieuse. Chrétiens et Juifs ont pris conscience des injustices infligées aux femmes et de la nécessité de les réparer. Le catholicisme a revalorisé les images et les symboles féminins contenus dans la Bible. Le protestantisme a ouvert aux croyantes le champ de la relecture et du commentaire des sources. Malgré les tentatives extrémistes des juifs orthodoxes, la mouvance laïque refuse de céder à l’intégrisme qui s’obstine à véhiculer l’image de la femme impure et servile.

Hélas ! De telles tendances ne semblent pas à l’ordre du jour en islam. Alors même qu’il devient urgent de différencier le message révélé de ses modes d’emplois, de débarrasser le Coran des commentaires qui en ont altéré le sens, de faire entendre le discours qui veut soustraire l’exégèse à la dominance du masculin, c’est le contraire qui se profile avec l’instauration annoncée de régimes islamistes.

Or, c’est sur ce registre que la Méditerranée attend les musulmans. Elle les presse même de s’atteler à une approche réactualisée et critique des textes, tenant compte des impératifs de la modernité et de la démocratie et se débarrassant de ce qui, sous couvert de religion, continue à perpétuer la sujétion des femmes.

Fawzia Zouari



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