Dieu dans la vie quotidienne
Fatima Tayab
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Fatima Tayab, responsable de notre atelier à « la Caravelle » a accepté de nous dire la relation que les femmes autour d’elles entretiennent avec Dieu au fil des jours. Fatima n’a pas fait d’études sur l’islam. Elle nous livre simplement son expérience.

Dieu tous les jours

Je ne suis pas imam et je n’ai pas fait d’études sur l’islam. Je ne peux que dire ma propre expérience de Dieu dans ma vie de tous les jours et dans celle des musulmanes que je côtoie. Je sais que certaines de nos expressions portent à sourire des personnes étrangères à l’islam, comme par exemple le fait d’évoquer si souvent le nom de Dieu dans la conversation courante. Par exemple, quand on prend un rendez-vous avec quelqu’un on ajoute toujours « je viendrai… si Dieu le veut (Inch’allah) ». Même si on ne le formule pas explicitement, on ne peut pas ne pas le dire intérieurement. Ce n’est pas pour nous une simple formule… ni le fait de ne pas vouloir tenir parole. Nous croyons que toute notre existence est dans la main de Dieu et qu’Il nous dépasse : il peut créer des situations qui nous empêcheraient de tenir parole donc nous nous engageons complètement de notre côté à tout faire mais nous acceptons d’avance que notre avenir appartienne à Dieu.

Une autre expression ponctue nos paroles : « hamdoulilah » qui signifie « Dieu merci » quand nous avons échappé à un danger ou qu’une bonne nouvelle – même minime – nous arrive. L’expression « Allahou akbar » qui signifie « Dieu est le plus grand » est utilisé par des fous comme un cri de guerre. En fait, ils ont dévoyé cette parole, donc on ne l’emploie plus devant des nonmusulmans. Mais c’est l’expression que nous employons dans la prière et dans toutes les circonstances de la vie, autant pour la joie que pour la peine. Dieu tous les jours a sa place dans les paroles que nous échangeons : il nous dépasse et en même temps il est avec nous dans notre vie de tous les jours.

Tout ce que je viens de dire est ce que n’importe qui, côtoyant des musulmans, peut constater. Mais j’hésite à dire que ce n’est que la face visible d’un iceberg. J’hésite parce que je sais que la plupart des non-musulmans ne vont pas le comprendre. En fait, nous croyons que sur cette terre il y a de bons mais aussi de mauvais esprits et nous demandons constamment à Dieu de nous protéger des mauvais. Quand nous sortons dans la rue par exemple pour faire des courses mais aussi quand nous rentrons à la maison, nous demandons à Dieu de chasser les mauvais esprits qui ont pu se loger dans ces lieux. Nous croyons qu’ils habitent en particulier les endroits sales, comme les toilettes ou les canalisations. Nous n’entrons pas dans les toilettes sans prier Dieu d’en chasser les mauvais esprits. Quand nous utilisons un évier pour égoutter des légumes ou faire la vaisselle, nous demandons à Dieu que les esprits qui se sont logés en ces lieux s’en aillent par les égouts et ne nous sautent pas à la figure. Je sais que tout cela peut sembler puéril mais est-ce si bête de chercher constamment la protection de Celui qui ne nous veut que du bien ? Est-ce si bête de reconnaître qu’il y a du mal dans le monde et que nous ne sommes pas de taille, sans l’aide de Dieu, à le chasser ? Est-ce si bête de croire que les esprits mauvais se cachent dans des lieux sales puisque, quand ils entrent dans les hommes, ils les poussent à faire de vraies saletés ?

Dieu à la naissance

Dans notre vie sur cette terre, il y a aussi des moments spécifiques où nous en appelons à Dieu plus particulièrement. Je ne parle pas ici des cinq prières quotidiennes ni du Ramadan parce que tout le monde le sait déjà. Je veux parler de la naissance et de la mort. Pour ma part je n’ai jamais invoqué Dieu avec autant de force qu’au moment de mes accouchements. Toutes les musulmanes en font autant. On sent que nous sommes à la limite entre la vie et la mort, que tout peut basculer à tout moment dans un sens ou dans un autre. Nous supplions Dieu que la vie triomphe pour la mère et pour l’enfant. On pourrait dire que tout notre corps devient prière. Il y a des musulmans qui demandent à une femme qui va accoucher de faire des prières pour eux parce qu’à ce moment-là elle est au plus près de Dieu. Quand l’enfant naît c’est un « hamdoulilah » qui sort du plus profond de nos entrailles ! Tout de suite, le papa s’il est présent (ou le grand père ou un autre musulman) prend le bébé et lui murmure dans l’oreille l’appel à la prière. Ce sont les premiers mots qu’il entend : nous demandons à Dieu de le prendre sous sa garde et nous espérons que notre enfant sera fidèle à cet appel tout au long de sa vie.

Au bout de huit jours nous faisons ce que les chrétiens appellent le baptême. Nous tuons le mouton au nom du bébé et nous invitons toute la famille et les amis à fêter avec nous la naissance. Si nous ne pouvons pas tuer le mouton en France, nous envoyons de l’argent pour qu’on le fasse au pays. Il faut distinguer cette fête au moment de la naissance de la circoncision pour les garçons. Certains font l’un et l’autre en même temps mais ce n’est pas obligatoire. On peut attendre bien plus longtemps avant de faire circoncire un garçon. Mais cette fête avec sacrifice du mouton est obligatoire au huitième jour, sauf si on n’a pas les moyens financiers. Mais dans ce cas, il faut le faire pour chaque enfant quand on pourra. En fait il faut préciser que c’est deux moutons pour un garçon et un seul pour une fille. On n’est pas obligé de faire une fête, on peut aussi simplement distribuer aux gens. Précisons que c’est simplement un rituel et que, même s’il n’est pas fait, Dieu veille sur l’enfant comme il veille sur tous. Pour la circoncision, nous ne faisons pas de fête particulière.

Dieu au moment de la mort

La mort d’un proche est également un moment très important, le plus important de la vie. Il nous est demandé d’assister par nos prières le mourant mais aussi de l’accompagner pour lui faciliter le passage durant les trois jours qui suivent sa mort. Nous avons ces trois jours pour faire Sadaka pour lui. Il faut distinguer la Sadaka des visites à la famille du défunt. Quand quelqu’un meurt, le défunt pendant les trois jours qui suivent reçoit les prières et toutes les bonnes actions que l’on fait en son nom. Dieu les compte pour lui. Ceux qui ont aimé cette personne font un repas, par exemple un couscous, et invitent leur entourage à venir manger ensemble et à faire des prières pour le défunt. Presque à chaque bouchée, chacun demande à Dieu d’être clément et miséricordieux pour celui qui est mort. Dieu nous demande de faire du bien pendant ces trois jours pour le défunt. Ce bien d’ailleurs rejaillit sur ceux qui le font. Il peut y avoir plusieurs Sadaka faites pour quelqu’un, par exemple l’une par le mari, une autre par des amis, une au pays et une en France. Mais il faut toutes les faire dans les trois jours suivant sa mort. Après, c’est une affaire seulement entre Dieu et la personne qui est partie. On peut continuer à prier ou faire du bien à sa place mais ce n’est plus la même chose.

Il faut distinguer cela des visites que l’on fait à la famille du défunt. Il y a un mois, à Villeneuve, deux hommes qui habitaient un même immeuble sont morts le même jour. Presque tous les voisins ont ouvert leurs portespour accueillirent ceux qui venaient entourer les familles. Chacun apporte du lait, des dattes, des gâteaux. Dieu aime qu’on dise notre solidarité avec les familles qui sont en deuil, même si on ne connaît pas le défunt. Les femmes de l’atelier et moi connaissions la fille d’un des deux défunts mais ni elle ni sa famille n’étaient là lorsque nous sommes allées leur porter nos condoléances. Ce sont des voisins de l’autre famille qui nous ont reçues. Notre démarche, pour Dieu, était un soutien aussi pour la famille que nous n’avons pas vue. Dieu veut que nous nous aidions dans les épreuves de la vie. Au Maroc, encore plus qu’en France, les gens viennent de partout. On dresse une grande tente devant la porte pour pouvoir les recevoir et ceci peut durer parfois dix jours ou encore plus.

Entre la naissance et la mort, il y a le mariage. Mais ce n’est pas vraiment un acte religieux. Au Maroc, c’est un contrat passé devant un imam et qui fait office de mariage « civil ». Ou plutôt, on ne fait pas la différence entre civil et religieux. Après, on fait la fête. Ce que Dieu veut c’est que le mariage soit un acte public : toute la famille, les voisins et l’entourage doivent connaître que cet homme et cette femme sont désormais mari et femme.

La crainte de Dieu n’empêche pas l’amour

En dehors des fêtes qui ponctuent la vie des musulmans, nous croyons qu’il faut craindre Dieu. Il est miséricordieux mais aussi il est juste. Il nous laisse libres de choisir le bien ou le mal mais viendra le jour où il rétribuera chacun selon ce qu’il a fait. Craindre Dieu ne veut pas dire ne pas l’aimer. Nous croyons que Dieu nous aime. Nous croyons que nous pouvons faire appel à lui dans toutes les épreuves de notre vie. D’ailleurs à qui d’autre pourrionsnous faire appel quand on est touché par une maladie grave ou quand on est prise d’angoisse pour ceux que nous aimons ? Les autres peuvent nous écouter mais peuvent-ils nous rejoindre vraiment ? Oui, Dieu nous aime et parce qu’il nous aime il nous demande de croire en lui et de pratiquer la justice, de respecter ses lois. La crainte n’empêche pas l’amour : j’aime et en même temps je crains mon père.

J’essaye d’expliquer à mes enfants que la vie sur terre est comme une épreuve, une sorte d’examen de passage, que nous n’avons qu’une vie et qu’il ne faut pas en faire n’importe quoi. Mais beaucoup de jeunes aujourd’hui sont plus sensibles à avoir tout, tout de suite. Ils ont la tête remplie de leurs jeux vidéo, de WhatsApp, Facebook… Ils vivent dans l’immédiat. Ils n’en sont pas entièrement responsables et j’espère en la miséricorde de Dieu pour eux. Mais c’est dommage qu’ils ne vivent souvent qu’à la surface d’eux-mêmes !

Fatima Tayab

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