Des Maghrébines s'expriment
des femmes de "La Caravelle"

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Elles étaient une vingtaine dans le local de « Mes-Tissages ».
Elles ont de 22 à 65 ans.
La plus jeune n’est encore que fiancée.
Les autres sont mères ou parfois grands-mères.
Depuis plusieurs années elles se parlent pratiquement tous les jours, en toute liberté.
Si on les interroge sur les problèmes actuels concernant la famille
ou sur la place de la femme dans les familles maghrébines,
elles n’hésitent pas à s’exprimer.
Elles ont accepté qu’on transcrive leurs propos mais ont souhaité qu’on change leurs prénoms.

On parle beaucoup de mariage homosexuel en France. Qu’en pensez-vous ?

Houria - Moi je suis contre ! S’ils élèvent des enfants on verra ce que cela donnera ! Et les hommes, comment auront-ils des enfants ? D’accord pour l’adoption, mais qu’arrivera-t-il s’ils font appel à des « mères porteuses » ? L’insémination artificielle, c’est contre nature. C’est interdit par Dieu. Si Dieu a créé un homme et une femme, cela veut dire quelque chose : c’est pour qu’ils se marient l’un avec l’autre. Depuis une dizaine d’années, la médecine permet qu’une femme puisse avoir des enfants sans un homme. Mais on ne doit pas changer la volonté de Dieu au départ de la vie. Même les animaux ne se comportent pas comme cela !

Yasmina - Si un couple de femmes homosexuelles venait rejoindre notre groupe, nous serions embarrassées. Bien sûr, nous respecterions leur choix, mais nous nous sentirions déstabilisées. Si elles venaient partager nos activités, bien sûr on les traiterait comme tout le monde !.

Aïcha - Dans tous les pays arabes, l’homosexualité existe. A Oran, il paraît que tous les chanteurs sont homosexuels. On en rencontre beaucoup chez les coiffeurs. C’est dans les milieux pauvres qu’ils sont les plus nombreux. Il y a des musulmans qui veulent des mosquées où ils puissent venir prier sans être méprisés. Ni condamnés.

Hawatif - Au Maroc, les homosexuels commencent à se montrer mais ils sont mal vus. J’ai rencontré un jour, ici à La Caravelle, un jeune qui avait les sourcils épilés comme ceux d’une femme.

En France, depuis un certain nombre d’années, beaucoup de jeunes vivent ensemble sans se marier, même s’ils sont chrétiens. Qu’en pensent les musulmanes que vous êtes ?

Nabia - J’ai un garçon et une fille en âge de se marier et qui vivent encore à la maison  ; Si l’un d’eux vivait avec un conjoint sans se marier, je ne serais pas d’accord ni pour l’un ni pour l’autre. Je refuserais de faire la connaissance de leur amie ou de leur ami et je ne les recevrais pas chez moi.

Hawatif - Moi, mes enfants sont jeunes ; j’ai aussi un garçon et une fille. Si mon fils s’installe un jour avec une fille, cela ne me posera pas de problème, mais du côté de ma fille ce serait autre chose. Si un garçon vient dire à sa famille : « Je vais avoir un enfant », cela peut passer. Une fille, jamais ! Vous me direz que maintenant il y a des moyens d’avoir des rapports sexuels sans être enceinte mais l’honneur de la famille, c’est que la fille reste vierge.

Hasma - Ce n’est pas parce qu’elle risque d’être enceinte que la fille doit être vierge mais c’est parce que c’est elle qui mettra au monde l’enfant qui continuera la famille. C’est une tâche sacrée ; il faut que la femme soit pure pour l’accomplir. On a un nom pour désigner la femme qui n’est pas vierge. On dit qu’elle est zina. Les relations hors-mariage, chez nous, sont interdites.

Hawatif - Il faut dire que, même dans les pays arabes, les choses sont en train de changer. On n’est plus prisonnier de la virginité comme on l’était il y a quelques années.

Nabia - Il arrive que des jeunes se mettent ensemble et font ce qu’on appelle « un mariage par Fatiha ». Il suffit d’échanger des consentements devant témoin, d’observer un certain rituel. Cela dure cinq minutes. Après cela, ils se considèrent en règle devant Dieu. Mais, dans les mosquées, les Imams protestent contre cela ; ils interdisent le mariage par Fatiha tant que le couple n’est pas marié civilement à la Mairie. C’est trop dangereux pour les filles que le garçon peut quitter quand il veut.

Si votre fils ou votre fille épousait une musulmane ou un chrétien, comment réagiriez-vous ?

Nadia - Ce n’est pas à moi de choisir mes belles-filles. Mes fils sont libres.

Houria - J’ai un frère marié avec une chrétienne. Au départ, ils ont été d’accord pour que les enfants soient musulmans. Le dimanche, c’est mon frère qui rappelle à sa femme qu’elle doit aller à la messe. Cela ne pose pas de problème ; ils s’entendent bien et nous nous entendons bien avec eux.

En cas de divorce que se passe-t-il dans les pays arabes maintenant ?

Khadidja - En Algérie, en cas de divorce, les enfants sont confiés à la maman. Quand celle-ci n’a pas la possibilité de les élever, on les confie à la sœur de la maman ou à la grand-mère maternelle. En principe, le père paie la nourriture.

Houria - En Algérie, les femmes ont des droits, mais personne ne les respecte. D’après la loi, quand la femme divorce, elle peut rester dans l’appartement avec ses enfants. Mais en fait, la plupart du temps, elle retourne chez ses parents. Souvent elle n’a pas les moyens de faire autrement. Chez ses parents, sa vie n’est pas facile. Elles arrivent avec trois ou quatre enfants. On les considère comme encombrantes. Les enfants sont mal reçus ; cela coûte cher dans les familles aux faibles revenus. C’est pour cela que, même si elles sont maltraitées par le mari, elles préfèrent supporter leur malheur. En réalité, on a des lois et des règles pour protéger la femme ; mais la justice, en Algérie, se laisse acheter. Je connais bien « le code de la famille » ; les lois sont bonnes mais mal appliquées.

En fait, la femme divorcée ne peut pas sortir. Les frères, les oncles, tous la retiennent. Il faut que la famille soit bien vue. C’est une question de dignité auprès du voisinage. C’est très difficile à vivre. Un homme, célibataire, veuf, marié, divorcé, est libre et fait ce qu’il veut. La femme, en Algérie, on la suit et on la montre du doigt. Un homme, il ne respecte rien. Même à soixante ans, il peut se marier avec une jeune de vingt ans. Souvent, d’ailleurs, les filles s’y laissent prendre par intérêt.

Ghislaine - Chez nous, en Tunisie, depuis la prise de pouvoir par les Frères musulmans, les problèmes de famille sont plus compliqués qu’avant. Ils veulent changer les droits de la femme mais cela ne marche pas : les femmes revendiquent et manifestent. Pour l’instant la législation n’a pas changé. Mais certains parlent de rétablir la polygamie ; ils prétendent que la femme n’est pas l’égale de l’homme mais son complément. Ils disent qu’elle ne doit pas travailler à plein temps pour se consacrer à ses enfants et à sa famille. Quand on cherche du travail, c’est pire qu’en France : ils donneront priorité à l’homme sur la femme. De toute façon, il y a bien d’autres problèmes, en particulier avec le salafisme qui veut s’imposer.

Latifa - Au Maroc, il y a au moins un point où l’homme et la femme sont à égalité. S’ils ont commis l’adultère, l’homme et la femme ont droit à la prison.

Il paraît que dans les familles maghrébines, la mère du mari commande sur toute la maisonnée. Pas question de lui désobéir.

Farida - Ce n’est pas la règle partout. Moi j’ai une belle-mère d’une gentillesse extraordinaire. Quand je lui demande pourquoi elle est aussi gentille avec moi, elle me dit que c’est parce que, dans sa jeunesse, sa belle-mère à elle, était pleine de douceur pour tout le monde.

Houria - C’était vrai il y a cinquante ans. Plusieurs frères, une fois mariés, vivaient dans le même domaine assez grand pour loger plusieurs familles. Il fallait quelqu’un pour coordonner le tout : c’était la mère des garçons. Aujourd’hui quand un couple se marie, il va loger dans son propre appartement et vit de manière indépendante.

Une femme a-t-elle plus de mal à vivre en France qu’au Maghreb ?

Hasma - Je trouve que la femme est moins libre en France. Quand, par exemple, le mari est mort, elle cherche quelqu’un pour l’aider, mais elle ne trouve pas et elle souffre.

Farida - En Algérie, on ne laisse pas la femme souffrir. Quand je suis arrivée en France, je n’étais pas divorcée. Mais mon mari a rencontré une autre femme. Il a laissé ses enfants. C’était toujours lui qui faisait les courses et moi je restais à la maison. Quand je me suis retrouvée seule, j’ai eu des problèmes. Je ne savais pas aller chez l’avocat. J’ai pris le métro comme on m’avait dit mais j’ai été jusqu’au terminus ; je n’ai pas repéré la station où il fallait descendre. Je me trompais de rue, je me trompais de tout, partout. Plusieurs fois je suis rentrée à la maison il était minuit.

Mais quand j’ai pu repérer le réseau social, l’assistante sociale, le juriste, l’avocat, l’aide juridictionnelle j’ai été aidée. Heureusement, je parlais à peu près bien le français. J’ai pu toucher les allocations. Ils m’ont libérée de la dette de la maison (3000€). Mes parents m’ont dit par la suite : « Tu aurais dû rentrer en Algérie ! » C’aurait été la pire des conneries.

Khadidja - Un groupe comme le nôtre est important pour une femme qui traverse des difficultés. Il faut qu’elle trouve de l’amitié et de l’aide. Il faut se battre, il faut faire grandir les gosses. Beaucoup de femmes laissent tout tomber même leurs propres enfants, tellement c’est difficile. Elles sont perdues. Pour s’en sortir, il faut avoir été bien éduqué, avoir un but et ne pas lâcher. C’est dur.

Ghizlaine - Dans la cité c’est un peu comme au bled. Les femmes n’osent pas sortir. Si on les voit sortir le soir, on raconte qu’elles ont une aventure et on les regarde d’un sale œil. Les hommes peuvent faire ce qu’ils veulent. On sait bien que beaucoup ont des liaisons adultères mais cela ne gêne pas et on leur marque le même respect qu’aux personnes les plus sérieuses. Les femmes, si elles sortent, on les méprise même si on n’a pas la preuve qu’elles aient commis la moindre faute.

Latifa - Personnellement, je me suis mariée à Oran où j’ai vécu un certain temps. Nous étions cousins : sa mère et la mienne étaient des sœurs. Nous ne nous sommes pas choisis : ce sont nos parents qui ont décidé pour nous. Mon mari était méchant ; il me battait et il buvait. On me disait : « Il faut supporter ! ». J’ai eu trois enfants, l’aînée a aujourd’hui 36 ans. Je suis entrée en France en 1983, avec mon mari et mes trois enfants ; l’aînée avait onze ans ! Mon mari fréquentait les femmes. J’ai découvert qu’il avait fait un autre mariage et qu’il avait eu deux autres enfants. Je n’en pouvais plus ; alors j’ai divorcé et je suis rentrée en Algérie ; ma famille n’a pas pris ma défense. On m’a dit : « C’est bien fait pour toi !». On m’a demandé de laisser les enfants à leur père. Je n’ai pas eu à discuter !

C’est comme ça qu’on voit la famille au Maghreb. Quoi qu’il arrive, le mari a toujours raison, même aux yeux de la femme à l’égard de qui il a des torts ! Après mon divorce, je suis retournée en Algérie pendant trois ans. Puis je suis revenue à Paris toute seule. J’ai trouvé du travail ; je faisais le ménage dans un Monoprix, à Garibaldi. C’est là que j’ai rencontré mon nouveau mari avec qui j’ai eu un fils qui a maintenant 24 ans.

Il m’est arrivé de descendre à Marseille pour tenter de revoir mes enfants. J’ai pu les avoir au téléphone et ils m’ont dit : « Ma mère est morte ! ». Ma fille que j’avais élevée jusqu’à l’âge de 11 ans, m’a dit : « Je ne connais pas ma mère ! ».

On dit qu’à l’intérieur d’une famille maghrébine on s’entraide et on est solidaire.

Houria - Autrefois, quand on était en chômage et qu’on ne pouvait plus payer sa maison, il arrivait qu’un cousin vous héberge. Ou encore un cousin venait du bled pour s’installer en France ; il arrive chez vous et on s’occupe de lui jusqu’à ce qu’il trouve à s’embaucher. Ça existe encore : Mon oncle héberge mon frère et ma belle-sœur qui sont sans papiers.

Fawzia - Des cousins ont débarqué chez moi. Tout de suite, j’ai mis des limites : je vous offre le lit et le repas mais cela ne sera que pour un certain temps. Effectivement, au bout d’un mois, ils se sont débrouillés.

Latifa - J’ai de la famille qui habite le Sud de la France. Quand ils veulent venir à Paris, ils savent d’avance qu’ils n’ont même pas à prévenir ; ils peuvent venir quand ils veulent, sûrs d’être vraiment chez eux. Réciproquement je peux arriver chez eux quand je veux.

On est beaucoup plus accueillant pour la famille de la femme que pour celle de l’homme ; c’est sûrement parce que la femme a plus besoin que l’homme d’être protégée. Le frère du mari, bien sûr, sera accepté mais si c’est le frère de la femme c’est encore plus évident.

Des Maghébines de « Mes-Tissages » à La Caravelle


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