Chrétiens en Algérie
Thierry Becker
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Thierry Becker, prêtre catholique,a opté pour l'Eglise d'Algérie
dès les premiers jours de son indépendance.
Il a été l'adjoint direct de Monseigneur Claverie,
l'Evêque d'Oran assassiné.


Saint Augustin, évêque d'Hippone

Une situation nouvelle

La presse française a souvent parlé, ces derniers mois, des chrétiens en Algérie, de leur diversité, de leurs difficultés, de leur courage dans la foi. Je remercie le Maison islamochrétienne de m'inviter à exposer brièvement comment les chrétiens se situent, ce qu'ils veulent vivre, comment ils sont perçus par la société ou par certains dirigeants.
Le mois de ramadhan qui vient de commencer nous fait ressentir plus fortement, à nous chrétiens, notre différence et notre étrangéité culturelle et religieuse quand le poids d'une pratique devenue sans échappatoire devant les autres sclérose la société et les esprits. Je relis avec reconnaissance les paroles fortes de Jésus qui a vertement affronté les savants de la religion et leur hypocrisie et nous a libérés de la sharî'a de son temps. Emmanuel Mounier a eu bien raison d'écrire qu'il vaut mieux pour une religion d'être proscrite qu'obligatoire.

Un événement relativement nouveau, très choquant pour la société algérienne, a pris une ampleur inattendue ces dernières années, c'est l'essor de communautés chrétiennes de la mouvance des Eglise évangéliques, indépendantes des Eglises historiques, un peu partout à travers le pays et plus visiblement en Kabylie où existe une certaine liberté de comportement. La présence de ces communautés est ancienne dans cette région, dès avant l'arrivée des jésuites et des Pères blancs, elle était connue et discrète. Mais, depuis une vingtaine d'années, l'incapacité de l'islam enseigné à répondre aux questions et aux attentes spirituelles des gens, de nombreux algériens de tous âges et de toute condition, en majorité des jeunes, ont trouvé dans la prédication des missionnaires évangéliques un souffle nouveau pour leur vie et ont intégré leurs communautés chrétiennes. Une lecture fondamentaliste de la Bible fait que beaucoup d'entre eux ont simplement changé de Coran même s'ils adhèrent fermement à la personne de Jésus.

Certains responsables politiques et religieux ont découvert avec effarement le développement de ces « apostats » ressenti comme un déchirement de la cohésion nationale et une honte devant les autres pays musulmans : on n'avait jamais vu dans l'histoire des musulmans quitter la « oumma » par centaines. L'islam est la religion de l'Etat, l'Etat doit la protéger et le ministre des Affaires religieuses a été sommé de prendre des mesures de sauvegarde.

C'est ainsi qu'a été publiée en février 2006 une ordonnance présidentielle réglementant les cultes non musulmans. Cette ordonnance, rédigée rapidement sans consulter aucun chrétien, veut appliquer aux non musulmans extrêmement minoritaires des règlements semblables à ceux édictés pour la religion de l'Etat : ils ne conviennent pas et tout non musulman peut être accusé, quoi qu'il fasse, de « déstabiliser un musulman dans sa foi ». Les décrets d'application se font attendre et l'interprétation du texte est à la liberté des juges.



Alger, vue de la Casbah

Une infime minorité

Selon les affirmations du ministère des Affaires religieuses, les chrétiens seraient 11.500 en Algérie, soit 0,03% de la population : de quoi vraiment faire trembler la société ! Et les catholiques n'en sont peut-être qu'un tiers.

L'Eglise catholique, pour des raisons historiques, et le P. Henri Teissier, archevêque d'Alger, en particulier, demeure l'interlocuteur privilégié des autorités. Elle a subi bien des transformations depuis 170 ans, elle se trouve maintenant minoritaire parmi les chrétiens, mais elle occupe encore une grande façade grâce aux évêques remarquables qui l'ont guidée depuis 50 ans et aux « plateformes de rencontre » mises en place en de nombreuses villes du pays. Ces « plateformes de rencontre », comme les a appelées Pierre Claverie, se sont développées quand il est devenu impossible aux étrangers d'avoir un emploi salarié ou que ceux et celles qui avaient pu le conserver sont arrivés à l'âge de la retraite. Bibliothèques, salles de travail, centres de formation féminine sont venus s'ajouter aux Centres d'Etudes et Centres diocésains qui existaient déjà : Algériens et étrangers, chrétiens et musulmans y travaillent ensemble, se découvrent, se reconnaissent.

Ce qui fait la particularité de notre Eglise, c'est que le service des chrétiens, tellement peu nombreux, n'occupe que peu de personnes et n'occupe pas à plein temps, l'essentiel des activités des « permanents » de l'Eglise étant au service des non chrétiens : nous sommes une « Eglise de la rencontre » comme la définissent nos évêques. La paroisse dont je suis responsable, la cathédrale, qui est la crypte d'une église inachevée, recouvre tout le département d'Oran et deux départements voisins, environ deux millions de personnes parmi lesquelles peut-être 300 chrétiens. Nous célébrons deux messes dominicales : le vendredi matin, jour de repos, viennent environ 120 fidèles dont les trois quarts sont des subsahariens, étudiants boursiers du gouvernement algérien ou migrants vivant comme ils peuvent, parfois très bien, dans l'attente d'une occasion pour passer la mer ; le dimanche soir, jour de travail, se rassemblent une quarantaine de personnes, principalement religieuses et religieux avancés en âge, avec quelques chrétiens locaux et des ingénieurs d'entreprises étrangères. Il y a plus de 20 nationalités dans la paroisse, signe de la catholicité de l'Eglise.

Les étudiantes et étudiants subsahariens chrétiens sont peut-être un millier à travers le pays, ils sont la jeunesse et le renouveau de notre Eglise, originaires d'une quinzaine de pays, francophones, anglophones ou lusophones et membres d'Eglises et communautés très diverses : une même célébration les rassemble dans les paroisses avec joie et ferveur. Ils sont au premier rang de la rencontre islamochrétienne à l'université ou dans leurs cités, ils sont l'objet d'invitations pressantes et continuelles à entrer dans l'islam, car il est impensable qu'un Africain ne soit pas musulman. Ce prosélytisme à leur égard les invite à approfondir leur foi, à chercher à l'exprimer de manière simple et à la vivre de manière vraie, à progresser dans la sérénité et la compassion pour leurs collègues enfermés dans une doctrine qui les rend agressifs. A la longue, en particulier pendant le ramadhan, c'est lourd à vivre. Quelques familles, cependant, sont accueillantes aux étrangers. L'animation et la formation chrétienne de ces étudiants, en fonction de ce qu'ils vivent, est une tâche importante pour l'Eglise.



Religieuses à Alger

Une attitude nouvelle :
méfiance et suspicion

Les longues années de présence amicale gratuite, d'échanges culturels et de services rendus, la traversée ensemble des années noires et le sang répandu mêlé, ont accumulé chez les Algériens qui nous connaissent un important capital de sympathie ; une certaine convivialité dans la différence était appréciée et même désirée par de nombreux amis.

Et voilà que depuis un an, l'attitude des autorités et, dans la presse en particulier arabophone, une vive campagne de dénigrement et de mise en garde sans précédent contre les chrétiens en général, ont retourné la situation. De nombreux visas ont été refusés aux religieux ou religieuses qui voulaient nous rejoindre ou visiter leurs communautés, des étudiants africains qui avaient participé à une session biblique chez les évangéliques se sont vu retirer leur carte de séjour, de même quatre jeunes Brésiliens venus fonder une communauté au service de l'Eglise. Il a fallu chaque fois de nombreuses démarches de l'archevêque Henri Teissier pour faire revenir sur la décision. Le pasteur hugh Johnson, de l'Eglise méthodiste, a été expulsé à l'expiration de sa carte de séjour qui n'a pas été renouvelée après 47 ans de vie dans le pays. Les autorités savent bien que la plupart des prêtres et religieuses sont âgés, et qu'il suffit d'empêcher leur renouvellement pour que l'Eglise catholique s'efface rapidement. Le ministre des affaires religieuses dit que les prêtres sont trop nombreux : par rapport aux catholiques, c'est vrai, mais pour le service de la rencontre, non.

La presse française a parlé du procès fait à un prêtre catholique d'Oran condamné pour avoir prié avec des migrants dans un lieu non reconnu - l'oued où ils campent comme ils peuvent et au médecin algérien qui était venu avec lui, au nom de son serment d'Hippocrate, pour soigner ces jeunes marginalisés. Celui-ci a été condamné à six mois de prison avec sursis et rayé des cadres de la fonction publique, il est sans salaire depuis neuf mois sans que personne ne se lève contre cette grave injustice. Ce jugement est politique, il vise à décourager toute collaboration dans le bien avec des chrétiens. Le wali - préfet - de Ouargla a interdit aux Pères d'aller célébrer Pâques dans le camp des travailleurs expatriés Italiens sous prétexte qu'il n'y a pas d'église. Un prêtre s'est fait confisquer par la douane sa bible en arabe ! Des évangéliques ont été poursuivis en justice dans six villes du pays et condamnés à des amendes correspondant à plusieurs années de salaire, mais les comptes-rendus des journaux francophones ont généralement été favorables aux condamnés et admiratifs de leur sérénité. Et même un éditorial du Soir d'Algérie intitulé « Habiba dans la fosse aux lions » demande qui a été finalement vainqueur dans l'empire romain, l'administration impériale ou les chrétiens jetés aux fauves ! Par contre, dans la presse arabophone, toute activité des chrétiens est dénoncée comme une opération de prosélytisme, tout ce qui ressemble à une croix sur une écharpe, un cartable ou un crayon est vilipendé comme une attaque des nouveaux croisés. Dans ce climat, je ne fais plus aucune visite sans être invité et je n'aborde personne dans la rue pour éviter que mes interlocuteurs soient inquiétés par les nouveaux inquisiteurs.

Tout cela montre une grande fragilité de la société et le besoin d'un ennemi intérieur pour resserrer les rangs et cacher les vrais problèmes. Tout cela nous rapproche de nos amis qui s'en désolent et nous invite à la compassion.



Alger, vue de la Casbah

Quelques défis pour aujourd'hui

Notre désir de continuer à rencontrer les musulmans, dans le respect et l'attention mutuelle, nous fait inventer de nouvelles manières d'agir ensemble  ; nous savons que montrer l'amour gratuit du Seigneur est notre vocation et que le Lavement des pieds a précédé la Cène : « Tu comprendras plus tard » a dit Jésus à Pierre déconcerté. Les désagréments que nous vivons nous rappellent que Jésus nous les a annoncés, il les a même présentés comme un lieu de bonheur. Ils signifient que notre infime minorité pose des questions à la société et aux consciences, comme la présence de Jésus : « Que nous veux-tu ? Es-tu venu pour nous perdre ? » lui a-t-on crié à Capharnaüm. Nous continuons nos activités avec sérénité, nos amis continuent à nous fréquenter, pour eux notre différence est un stimulant. L'internationalisation de l'Eglise progresse et l'arrivée d'un archevêque arabe est un signe qui ouvre l'avenir.

Un autre défi est de nous vouloir fraternels et solidaires avec les chrétiens évangéliques, de les comprendre, de nous émerveiller de ce que le Seigneur réalise parmi eux tout en marquant nos distances avec leur manière immédiate de lire l'Ecriture et l'étroitesse de leur théologie du salut, avec leur affirmation d'être l'authentique Eglise nationale algérienne, avec leur méconnaissance de l'islam et de l'histoire qui nourrit un discours injuste et les pousse à un prosélytisme parfois sans retenue.

Enfin un défi difficile se présente souvent à nous : tenir en même temps avec une égale vérité la rencontre intellectuelle, amicale ou spirituelle des musulmans qui restent ce qu'ils sont et la rencontre attentive de ceux et celles que l'Esprit Saint pousse à découvrir Jésus Parole entière de Dieu dans la vie d'un homme et à entrer dans l'Eglise. Il y a là une tension féconde comme la croix de Jésus et une exigence de liberté et de vérité dans la relation qui nous décape et nous renouvelle.

Thierry Becker, prêtre du diocèse d'Oran depuis 46 ans


Un point de vue musulman sur le sujet :
vidéo de Sadek Sellam :

Solidarité avec les chrétiens d'Algérie (3'50)


L'Emir Abdelkader


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