Ce qui reste à faire
Jean Lavergnat
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Jean Lavergnat souligne la responsabilité des groupes religieux
pour favoriser le lien social.
Il se propose de creuser la notion d'universalité
à laquelle, plusieurs fois, les intervenants se sont référés.


L'avenir du « vivre ensemble»

Avec grande joie j'ai pris part à la rencontre organisée dans la mosquée de Gennevilliers par plusieurs associations: un chaleureux merci aux responsables de Ennour pour l'accueil qu'ils ont réservé à tous les participants quels que soient leurs croyances, leur origine ou leur domicile, leur sexe et leur âge. C'est également avec grand intérêt que j'ai écouté les divers intervenants, d'abord les invités extérieurs à Gennevilliers (T. Obrou et C. Delorme), puis les trois acteurs gennevillois. J'ai été satisfait de constater que le sujet « Religions dans la ville et laïcité » ait pu être débattu tant par des responsables religieux que par un élu local placé par sa fonction et par ses convictions, hors du champ religieux. Sur la base de ce que j'ai entendu à Gennevilliers et compte-tenu de ma propre expérience, je me suis interrogé sur l'avenir du « vivre ensemble » et sur les conditions concrètes qui permettront à la fois un enrichissement de la vie personnelle de chacun et une amélioration du lien social.

Premier élément de réflexion : la situation urbaine dans nos grandes agglomérations. Impossible d'en rester aux représentations héritées. De cette impossibilité, Gennevilliers offre un point de vue spectaculaire, illustrant de façon exemplaire une situation globale: mélange de populations, heurts de la désindustrialisation, chocs des styles de bâtiments, conditions d'habitat et de travail, etc... A juste titre Tareq Oubrou a souligné dans son intervention que ces éléments avec d'autres facteurs, modifiaient les repères de tout le monde, quelle que soit la position religieuse ou sociale des observateurs. Il n'y a plus de modèle dominant représentant la ville, et chaque citoyen, chaque groupe, chaque institution est obligé de participer à la définition de repères collectifs nécessaires au vivre ensemble. Joël Cherief, sur un autre registre, a parlé de la recherche de fondements communs pour la vie collective. A cet égard la rencontre entre chrétiens et musulmans, si sympathique et symbolique qu'elle soit, ne me semble qu'un premier pas effectué à deux; il attend et appelle d'autres pas en compagnie d'autres acteurs. Heureusement que la laïcité était là pour nous rappeler que tous ont droit au vivre ensemble non seulement les croyants des différentes obédiences, mais aussi ceux qui ne se rangent pas parmi les adeptes d'une religion : plusieurs de nos conférenciers n'ont pas manqué de le redire. Le ternaire bien représenté à la table ronde - chrétien, musulman, athée - ne suffit pas à rendre compte de la diversité concrète de nos villes. Le brassage des populations a rendu visibles, ou du moins repérables, d'autres positions religieuses avec lesquelles il faut aussi échanger. Je ne songe pas uniquement aux juifs, manquant ce samedi - ce serait demeurer dans l'aire méditerranéenne - mais à tous les « ressortissants culturels » d'Afrique ou d'Extrême-Orient. Tout est à apprendre de ces rencontres futures pour éviter un condominium chrétiens-musulmans régi par la loi du nombre et peu respectueux des minorités.


Les droits de la société laïque

Second élément de réflexion : l'implication sociale des groupes religieux, tant au niveau collectif que pour chacun des croyants. La société laïque, si elle respecte les diverses croyances et leurs expressions collectives, est en droit de recevoir en parallèle un soutien qui favorise le lien social entre tous, pas seulement entre coreligionnaires ou entre ceux qui partagent le même projet politique. Il ne s'agit pas du tout pour moi de prôner une alliance politique du type « sabre et goupillon » ou du genre théocratique! Il s'agit plutôt des deux lignes d'engagement que voici:

- Valoriser les contacts de proximité entre voisins, entre usagers d'un même service, entre collègues ou, pour les jeunes, entre camarades. La vie quotidienne propose une multiplicité d'occasions de rencontre qu'il faut saisir. A chaque fois le risque existe pour chacun de projeter sur autrui le masque de ses propres fantasmes, mais à chaque fois aussi chacun a la chance de découvrir un semblable à estimer, un frère en humanité. Que les groupes religieux promeuvent la valeur de ces moments de rencontre, qu'ils éduquent les jeunes à se réjouir d'une fraternité plus ample que celle qu'ils connaissent déjà par leur famille et leur quartier, tel est mon souhait.

- Eviter que les communautés religieuses ne se replient chacune sur un « entre soi» apparemment confortable, ne s'intéressant à la vie commune de la cité que pour autant qu'elles peuvent y trouver un avantage ou un relais d'influence. Face à l'individualisme exacerbé des temps actuels qui isole et malmène les plus vulnérables de nos concitoyens, à cause également des simplismes consécutifs à la massification des moyens de communication et de propagande, il me paraît impératif que les communautés religieuses soutiennent tous ceux - individus ou institutions - qui agissent pour que ne soient pas dépouillés de leurs droits les malades et les blessés de la vie, les migrants, les sans travail et les sans abri, bref tous les exilés du bonheur. Une phrase venue du fond des âges et signée du prophète Isaïe me sert de phare ici: «Ne dérobe pas ton visage à ton frère». Ni l'argent, ni les dispositifs réglementaires et institutionnels ne peuvent suppléer le face à face, cet échange entre vivants.

S'interroger sur l'universel

Un troisième champ de réflexion, plus théorique et délicat est à labourer: préciser ce que l'on entend par « universel ». Tareq Oubrou parle par exemple 'd'éthique universelle'. De quoi s'agit-il au juste avec cet adjectif ? Là, chacune de nos traditions tant intellectuelle que religieuse est à la peine ; chacune a élaboré au long de son histoire ce qu'elle entendait par ce terme mais découvre aujourd'hui que bien des limites accompagnaient sa représentation de l'universel. En appeler aux valeurs communes ne dispense pas mais commande de les énumérer, d'en établir une description détaillée. La diversité du monde et les aléas de l'histoire montrent les fragilités de nos constructions : les philosophies des Lumières, les discours et croyances relatifs au Progrès, l'invocation de la Catholicité pour me limiter à trois exemples sont à reprendre dans une discussion ouverte à d'autres points de vue. Aucune définition reçue par une tradition ne peut être dispensée d'une telle confrontation. Je connais très mal les divers courants de l'univers de l'islam, mais suffisamment pour que je me méfie de la commodité apparente apportée par l'emploi du singulier («l'islam»).

Merci encore aux responsables d'Ennour et à ceux qui fréquentent la mosquée de Gennevilliers d'avoir pris le risque de nous accueillir tous. Puissions-nous ensemble et avec d'autres continuer sur cette voie d'écoute et de respect mutuel.

Jean Lavergnat
Prêtre catholique à Paris



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