L'interdiction de la burqa : discerner
Mustapha Chérif

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Mustapha Cherif est un grand ami de "La Maison Islamo Chrétienne".
Il nous fait part de ses réactions sur l'interdiction du port de la burqa en France.
"Il est vital, écrit-il, de retrouver le sens de la reconnaissance de l'autre,
qui maitrise la pulsion de violence et organise la vie en commun sans avoir à le nier,
y compris celui qui suscite de la répulsion."


Entre interdiction et tolérance

L'Europe semble en crise profonde d'identité pas seulement économique. Elle montre des signes de panique et ne sait pas comment gérer la présence de la nouvelle minorité musulmane dans la Cité. Le déclin politique et le silence dans lequel se trouve le monde musulman ne facilite guère la tâche face à des attitudes problématiques car extrémistes, celles qui usurpent le nom de l'islam et alimentent la confusion. Chercher des réponses politiques à ce type de phénomène n'est pas en soi déraisonnable, mais l'interdit est rarement la solution. L'importance démesurée donnée à l'épiphénomène de la «burqua» et le projet de son interdiction dans tout l'espace public de pays européens sont perçus comme un signe de dérèglement, de diversion, de surenchère face aux extrêmes-droites qui intoxiquent la société.

Les citoyens européens de confession musulmane partage le point de vue sage du Conseil d'Etat Français qui parle de l'obligation d'être identifié pour des raisons de sécurité, notamment pour pouvoir accéder à des espaces publics précis. Ce sera une chance qu'une société laïque, pluraliste et démocratique réalise l'articulation entre le respect de l'égalité entre les hommes et les femmes, le besoin de sécurité et la liberté. Une approche mesurée représentera de surcroit un message d'espoir pour les femmes qui dans des pays à majorité musulmane revendiquent leur émancipation sans perdre leur dignité. Chacun peut admettre que tolérer la « burqua » c'est considérer la femme comme un « objet », par contre l'interdire partout c'est porter atteinte à la liberté individuelle. De plus, nul ne peut nier que « la femme objet » du libéralisme sauvage est au contraire encouragée.

Un parfait épouvantail


Notre rôle est de dénouer les noeuds, réduire les souffrances et favoriser le vivre ensemble, non se laisser entrainer dans des faux débats. Que la « burqua » ne soit évidemment pas coranique n'est pas le fond du problème. Aux yeux de l'immense majorité de musulmans et démocrates, la coutume rigoriste ultra-minoritaire est utilisée comme un parfait épouvantail, sous prétexte de combattre l'obscurantisme. Cela alimente l'invention d'un nouvel ennemi. La Stratégie apparait comme une diversion face aux problèmes profonds d'injustices et d'absence de perspectives.

L'interdiction totale qui se dessine nourrira l'inconscient de citoyens européens qui sont prêts à faire l'amalgame entre musulmans et extrémistes. Ceux qui se sentiront réconforter par cette loi, compte tenu qu'ils combattent courageusement toutes les formes de violences que subissent les femmes, lâchent la proie pour l'ombre. Triomphera la confrontation, la stigmatisation et la culture de la peur.

Sur le plan de la responsabilité des citoyens européens musulmans, il s'agit de mettre en avant la pratique de l'autocritique en faisant entendre les voix dignes de leurs hautes traditions, non pas « modérées »- qualificatif faible- mais celles de l'interprétation, de la hauteur de pensée pour que leurs coreligionnaires ne s'enferment pas et vivent leur foi de manière apaisée. Les citoyens européens de confession musulmane en effet ont leur part de responsabilité; ils se doivent de dénoncer l'illusion dans laquelle s'enferme une infime minorité de femmes. Qu'une femme porte le voile en signe de pudeur et de soumission confiante à « Dieu », tout croyant, tout chrétien, tout juif et tout être humain de bonne volonté peut le comprendre. Mais qu'elle se masque entièrement le visage, échappant au face-à-face, ne peut que choquer.

Les Européens s'interrogent sur des comportements rétrogrades et l'état du monde musulman. Je ne pense pas qu'en posant de tels questions on soit islamophobe. En même temps, en n'ignorant pas les risques qu'il y a à tolérer au nom de l'hospitalité des comportements archaïques qui se drapent des oripeaux de la différence culturelle, on a le devoir de refuser les manipulations et les atteintes à la démocratie.

Retrouver le sens de la reconnaissance de l'autre

Ce que nous observons contredit les principes des Lumières que Voltaire, qui combattait « l'infâme » le fanatisme religieux, exprimait si admirablement : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » Il est vital de retrouver le sens de la reconnaissance de l'autre, qui maitrise la pulsion de violence et organise la vie en commun sans avoir à le nier, y compris celui qui suscite de la répulsion.

On constate que domine un discours négatif sur les citoyens musulmans dans la Cité européenne. Pourtant, il est juste de reconnaitre à autrui le droit de vivre comme il l'entend. Qui peut nier qu'il existe une islamophobie où c'est le musulman, comme le Juif hier, qui est condamné. Hantée par la religion, l'Europe est traversée à la fois par l'effort pour faciliter l'insertion et une crispation envers ses citoyens musulmans. Il n'est pas exact que tout l'Occident assimile « musulman » et « fanatique », d'autant que le monde entier constate à quels extrémismes peut conduire la dérive fanatique de certains « adeptes » d'une grande religion comme l'Islam.

L'usurpation du nom de l'Islam par les adeptes de la « burqua » est injustifiable et «Le musulman est parfois une manifestation contre sa religion » comme l'affirmait, il y a près d'un siècle, l'Emir Abdelkader. Mais comme le souligne Hannah Arendt, c'est souvent le résultat de provocations et d'injustices: «Dans les régimes totalitaires, la provocation& devient une façon de se comporter avec son voisin». L'émancipation ne s'impose jamais, mais s'élabore dans l'éducation, l'amélioration des conditions sociales et le discernement.

M.C est philosophe, dernier ouvrage « L'islam tolérant ou intolérant » édit Odile Jacob, 2006



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