A la recherche d'une instance représentative
Christine Fontaine
"Pour un islam de France ?" Page d'accueil Nouveautés Contact

L’islam, dans l’Hexagone, change de visage : sa présence est bien visible. Les réactions qu’il subit sont la preuve que l’islam est en France. La plupart des musulmans changent aussi dans la conscience qu’ils ont d’être des Français à part entière. A leurs yeux, l’islam auxquels ils appartiennent n’est plus « l’islam en France », mais « l’islam de France ».


Un islam bien visible

Faut-il parler de l’Islam de France ou de l’islam en France ? L’époque n’est plus où les travailleurs musulmans n’avaient pas les moyens de pratiquer publiquement leur religion. Les temps ont changé. On ne comptait guère qu’une centaine de lieux de prière en 1970. Aujourd’hui environ 3 000 mosquées se dressent dans le paysage français : chaque vendredi les rues adjacentes fourmillent d’hommes en djellabas et de femmes minutieusement couvertes d’un vêtement particulier, ample et noir très souvent. Les costumes du vendredi ont supplanté ce qu’on appelait naguère « les habits du dimanche ». Les femmes issues de familles venant d’un pays musulman, surtout si elles sont nées en France, affirment dans les rues leur appartenance religieuse par leur accoutrement et les hommes laissent pousser leur barbe. Des plaintes sont formulées par les parents musulmans lorsqu’un établissement scolaire empêche les enfants d’accéder à une nourriture halal et les médecins européens, dans les hôpitaux, sont démunis devant les réactions des femmes musulmanes qui refusent d’être examinées par des hommes.

Par ailleurs, plus l’islam est visible dans le pays, plus il est refusé par les Français de vieille souche ; les conditions de ce qu’on appelle « le vivre ensemble » ne sont pas réalisées. Le Front National doit son succès, pour une grande part, au fait qu’il déplore la présence de ces familles qui, disent ses responsables, envahissent le pays comme autrefois les troupes nazies. Les réflexes islamophobes se multiplient et prennent quelquefois des proportions inquiétantes : lors des fêtes de Noël, à Ajaccio, après avoir brûlé une mosquée, les foules ont manifesté dans les rues en hurlant « Il faut les tuer, il faut les tuer ! »

D’ailleurs, les musulmans eux-mêmes désirent-ils vraiment être reconnus ? Les communautés se tournent souvent vers leurs pays d’originepour y trouver un imam ne parlant pas français. Le gouvernement regrette cette situation. L’islam en France ne sera pas réellement islam de France tant que les responsables ne seront pas préparés à vivre en connaissant et en respectant l’originalité du pays laïque où ils exercent leurs fonctions. Après les événements de janvier 2015, le premier ministre, Manuel Valls, a insisté pour que tous les imams venant de l’étranger aient la formation que proposent plusieurs universités.


Les conditions d’une reconnaissance

Islam de France ou islam en France ? Cette religion, la seconde en nombre, est trop visible dans notre pays pour qu’on néglige sa présence. Mais on ne pourra parler d’islam de France que lorsque la communauté française dans son ensemble l’aura acceptée et lorsque les différentes communautés musulmanes, de leur côté, auront trouvé la façon de se situer ensemble par rapport au pays. Il faut reconnaître que les gouvernements successifs essaient d’inventer la manière de rejoindre cette religion et de créer les institutions qui permettraient un vrai dialogue. Les catholiques sont représentés par la Conférence épiscopale et les juifs par le CRIF ; mais quelle instance peut représenter l’islam ?

Certes, les ministres de l’Intérieur successifs s’efforcent de trouver les moyens pour que l’islam, selon l’expression de Charles Pasqua, puisse trouver sa place « à la table de la République. » Cette recherche a commencé en 1988 ; Louis Joxe crée, à cette date, le CORIF, « Conseil d’Orientation et de Réflexion sur l’Islam de France ». Cette instance a pris quelques initiatives intéressantes. Elle a permis, par exemple, que les rations alimentaires, dans l’armée française, respectent les interdits musulmans. En réalité le CORIF n’a pas été pris au sérieux par l’ensemble des musulmans. C’est pourquoi, Jean-Pierre Chevènement, en tant que ministre des cultes a voulu lancer une vaste consultation (Istichara) pour réussir d’une part à organiser l’islam d’une manière compatible avec la laïcité et, d’autre part, à faire apparaître les écarts entre le droit français et certaines pratiques musulmanes. La démarche était sans doute intéressante mais elle ne fut pas reprise par ses successeurs de la Place Beauvau.

Charles Pasqua, en effet, en 1993, mettait en place le « Conseil représentatif des musulmans de France ». En réalité l’initiative faisait la part belle à la Mosquée de Paris. Par le fait même, elle écartait tous ceux qui craignent d’être manipulés par l’Algérie.

De l’année 2000 jusqu’à 2003, sous l’impulsion de Daniel Vaillant et de Nicolas Sarkozy, naissait le Conseil Français du Culte Musulman : CFCM.

Peut-on dire qu’il représente l’islam ? Ses membres sont élus mais la manière dont sont faites les élections laisse à désirer. Les mosquées affiliées à ce « Conseil » choisissent les électeurs dont le nombre est fixé en fonction des dimensions du lieu de culte. En réalité l’islam, dans notre pays, ne se réduit pas aux pratiquants de la prière du vendredi. Qui peut représenter les courants soufis ? Qui peut représenter les musulmans sécularisés qui ne pratiquent plus mais qui continuent à affirmer que l’islam est leur religion  ? Comment concilier les soucis de ceux qui, influencés par le wahhabisme d’Arabie Saoudite, s’efforcent de retrouver le passé, avec les discours d’un intellectuel comme Abdennour Bidar ? Celui-ci prêche un islam sécularisé au point de confesser la mort de Dieu. Par ailleurs le CFCM demeure muet lorsque surgissent des questions concrètes. Il ne s’est pas exprimé lors des discussions sur la burqa. Que pense-t-il du refus, dans certains établissements scolaires, d’honorer les interdits culinaires ?


Un chemin reste à faire

Islam de France ou islam en France ?

Manifestement l’islam, dans notre pays, est à un tournant: on ne peut ignorer la présence de 5 à 6 millions de musulmans dont beaucoup tiennent à manifester leur particularité. Cela suffit-il pour parler d’un islam de France ? En certaines villes, l’islam réussit à faire partie du décor. Les musulmans y sont reconnus par les autorités municipales et les responsables s’efforcent d’aider les fidèles à vivre l’originalité française, en particulier la laïcité. On peut dire qu’à Gennevilliers, par exemple, l’islam se reconnaît chez lui, même si bien des habitants s’inquiètent : leurs enfants ont à faire face à un prosélytisme de la part de leurs camarades musulmans.

En revanche un chemin reste à faire pour qu’au niveau du pays, l’islam se reconnaisse français et que les Français de souche accueillent une religion nouvelle avec la « fraternité » qu’affirme leur devise. En islam la foi est individuelle et n’a pas besoin d’une autorité qui s’interpose entre Dieu et le croyant. Ceci explique sans doute le mal qu’ont les musulmans de France à accepter une instance qui les représente. On peut tout de même espérer que la notion d’ouverture que développe Mustapha Cherif aidera une communauté à comprendre que les musulmans en France vivent une particularité qui les distingue et les ouvre à leur environnement.

Par ailleurs, les attentes des musulmans de France sont diverses ; elles dépendent des pays d’origine. Un musulman dont les racines sont en Algérie ne peut se confondre avec un coreligionnaire venu de Turquie et l’islam des soufis ne ressemble pas à celui des frères musulmans ni à celui des wahhabites ou des salafistes. Comment inventer un islam qui respecte les différences mais qui, en même temps, manifeste une communauté de foi ?


Une spiritualité politique

Il faut dire, pour terminer, que le dialogue islamo chrétien est un facteur où s’opère, à l’intérieur d’un pays laïque, une authentique reconnaissance mutuelle. Par-delà ce qui nous distingue, on y fait l’expérience d’une aventure spirituelle. A ce sujet, il faut réentendre, dans le Nouvel Observateur (n° 727 ; 16-24 oct 1978), les remarques de Michel Foucauld au moment de la révolution islamique en Iran. Il s’agit de « retrouver cette chose dont nous avons... oublié la possibilité depuis la Renaissance et les grandes crises du christianisme : une spiritualité politique. J’entends déjà des Français qui rient mais je sais qu’ils ont tort. » (Cité in « Histoire de l’islam et des musulmans en France » p. 972)

Christine Fontaine


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