A la mosquée En Nour
La femme musulmane en terre d'immigration
Mohammed Benali
"Misogynie et religions" Page d'accueil Nouveautés Contact

Le comportement des musulmans est de plus en plus perceptible dans l’Hexagone. De jour en jour les Français « de souche » s’interrogent sur les manières de vivre en islam.
« J’ai adopté la nationalité française, dit Mohammed Benali, mais jusqu’à l’âge adulte, j’ai vécu à Oujda. Responsable de la mosquée de Gennevilliers, je suis en même temps fortement engagé dans « La Maison islamo-chrétienne ». Cette position me permet d’entendre les questions que se posent les Français, en particulier en ce qui concerne la femme musulmane. Je m’efforce d’y répondre. »


A la lumière du Coran

Tout d’abord, ne confondons pas le Coran avec les traditions ni avec les coutumes liées à des peuples particuliers. On ne peut tracer un portrait de la femme musulmane qui serait partout le même. La condition de la femme n’est pas la même en Algérie et au Maroc ou en Tunisie ni surtout en Arabie Saoudite.

Le Coran manifeste un grand respect pour la condition féminine. Contrairement à la Bible, il ne culpabilise pas la femme. Celle-ci n’est pas responsable du péché d’origine : la faute a été commise par l’homme. Ne confondons pas ce que dit le Coran et ce que disent les commentateurs. Certains prétendent qu’Eve a été formée à partir d’une côte tordue d’Adam et que cela explique une psychologie féminine retorse. Ceci relève de l’imaginaire et n’a rien à voir avec la révélation. D’après le Coran, Dieu a créé Adam et Eve et Adam a mangé du fruit de l’arbre qui lui était interdit. On trouve des commentaires liés à des traditions ou des coutumes qui s’écartent du texte sacré et le contredisent.


Témoignage et héritage

On dit que le Coran est misogyne parce que, d’une part, la femme a droit à une demi-part d’héritage par rapport à ses frères et que son témoignage vaut deux fois moins que celui de l’homme. Il est vrai que, dans un procès, le Coran dit qu’il faut le témoignage de deux hommes et, si on n’en trouve qu’un seul, il faut deux femmes et un homme. Si une des deux femmes oublie, la seconde lui réveille la mémoire. La « sunna » - c’est-à-dire la tradition – explique qu’il s’agit de faire face avec sérieux aux difficultés pour découvrir la vérité. Il faut reconnaître que la sensibilité de la femme est plus grande que celle de l’homme ; sa présence auprès des enfants l’incline à devenir très indulgente. Quand l’une risque de se laisser entraîner par la pitié, lorsqu’elle utilise son cœur plus que sa raison, l’autre est là pour redresser.

L’héritage est un problème délicat. Le contexte a changé. Si un homme meurt en laissant un fils et une fille, le garçon reçoit le double de la femme. Il ne s’agit pas là de ségrégation. Pour les besoins de la femme, les dépenses sont à la charge de l’homme. C’est à lui de faire face aux frais de logement et aux frais de nourriture. Quand la femme se marie, celui-ci prend le relais du père et assume les charges de la maison, même si la femme travaille. La femme a le droit d’exercer un métier ; dans ce cas, elle peut conserver son salaire pour elle-même. Rien ne l’oblige à participer aux besoins de la famille. Si la femme veut donner à son mari un peu de son argent, c’est considéré comme une aumône (sadaqa). Il ne faut pas la confondre avec la zakat qui est une aumône obligatoire, une sorte d’impôt pour aider les pauvres. La femme peut la verser à son mari si elle est plus riche que lui : il est alors considéré comme un pauvre. La loi oblige l’homme et lorsque la femme participe aux frais du foyer c’est, en effet, par pure bonté : sadaqa. L’homme, pour sa part, n’a pas le droit de donner la zakat à sa femme puisqu’il est responsable de son bien-être. A noter qu’en ce qui concerne la relation aux parents, hommes ou femme se doivent de les prendre en charge et, puisqu’il s’agit d’une obligation, l’argent qu’on leur donne ne peut être considéré comme zakat.

Dans un pays musulman, ces règles peuvent se modifier. On se soumet à la loi du pays où l’on vit. Pour ce qui concerne les héritages ou les témoignages, on utilise ici les lois françaises. L’important c’est qu’on vive avec une loi, pourvu qu’elle soit juste.


Voile et soumission

On prétend, en France, que la femme musulmane doit être soumise à l’homme : il faut refuser ce jugement. On ne peut être soumis qu’à Dieu. On dit que l’homme est supérieur à la femme : la encore je proteste. Chacun doit exercer ses responsabilités. L’islam dit que l’homme a la responsabilité de sa famille. Il se doit de trouver les moyens d’assurer nourriture, logement et vêtement pour tous les siens. Il arrive que des maris interviennent auprès de leurs femmes pour leur interdire de travailler ; il leur arrive aussi d’intervenir, auprès de leur employeur d’une manière choquante. Cette emprise sur l’épouse est la marque d’une culture traditionnelle et ne peut se réclamer du Coran. On trouve encore des hommes qui pensent qu’il faut battre la femme et que celle-ci doit être soumise aux caprices masculins. Tout cela est intolérable.

Le voile un signe de soumission ? Oui, c’est un signe de soumission mais à Dieu et non à l’homme. Le vêtement doit cacher une partie du corps de la femme ; ceci est vrai aussi pour les hommes. En effet, eux aussi doivent se vêtir d’une façon pudique. Ils ne doivent pas exhiber des bras nus ou des jambes nues. A partir de la puberté, l’homme et la femme doivent veiller à la façon de s’habiller. Ce ne sont pas seulement les femmes mais aussi certains hommes – en particulier les savants – qui doivent cacher leur tête et porter la chechia. De toute façon, le voile n’est pas un impératif catégorique. La femme qui ne porte pas le voile reste une musulmane respectable.

J’ai du mal à comprendre ceux ou celles qui, dans la société française, considèrent que le voile les agresse. N’a-t-on pas le droit de s’habiller comme on veut dans la mesure où cela reste pudique ? Je suis, en revanche, opposé au port de la burqa qui n’a rien à voir avec l’islam. Les femmes au Maroc, dans les années 60, après l’indépendance, portaient le haïk qui cachait tout le visage, certes. Mais cela a disparu. Je vois quelques femmes en burqa, à la mosquée. Même si je ne suis pas d’accord, il est important de respecter le choix des gens, c’est pourquoi je ne suis pas d’accord avec l’interdiction. Mais la loi est promulguée : il faut s’y soumettre. La plupart des « savants » disent que le niqab n’a rien à voir avec la religion. On trouve dans le passé certaines allusions au niqab. Mais c’était affaire de choix personnel et non la soumission à un impératif religieux. C’est encore un choix personnel aujourd’hui mais il lui faut avoir ses papiers avec elle ; elle doit découvrir son visage pour tout contrôle d’identité : il y a un pacte avec ce pays. On voit des asiatiques le crâne rasé, revêtus de tissus aux couleurs vives : cela me choque. Mais je les respecte. Si une femme choisit de porter le niqab, je respecte ce choix. Mais si cela lui a été imposé, il faut intervenir.

Pour en revenir au voile, je sais que beaucoup de nos concitoyens ont peur qu’en multipliant les signes d’appartenance musulmane on introduise dans le pays une forme de communautarisme. Mais, en réalité, beaucoup de musulmanes ne sont pas voilées. D’ailleurs, je ne pense pas que le voile soit un signe de communautarisation. La plupart des musulmanes et des musulmans sont maintenant bien intégrés dans la société française et ont des relations amicales avec les non-musulmans qu’ils connaissent dans leur voisinage ou leur métier. A ce propos, il faut reconnaître que certaines femmes musulmanes sont plus sévères, à l’égard de leurs coreligionnaires, que les non-musulmans. En réalité, je ne suis pas d’accord avec ces mouvements féministes. Bien sûr si leur manière de protester les épanouit, je les respecte. Nous sommes dans une société qui permet à chacun d’inventer les moyens d’être heureux. Certaines femmes les trouvent dans la piété et la pudeur, dans la pratique religieuse, et d’autres dans la contestation. Pourquoi pas ? Je ne voudrais pas que, face à elles, les femmes voilées se défendent et s’insurgent. Laissons les unes et les autres faire leurs choix et dire leurs opinions. A la mosquée En Nour, bien des femmes sont engagées sans être voilées et cela ne pose aucun problème par rapport à celles qui ont la tête couverte. Plus important que le port du voile, il faut veiller au respect mutuel des musulmans et musulmanes entre eux et à une réelle convivialité avec tous les citoyens du pays.


Trois situations particulières

Je termine par trois situations à propos desquelles certaines personnes m’interrogent. J’entends des médecins s’étonner et se plaindre que, dans les hôpitaux, devant les examens prescrits pour une hospitalisation ou un accouchement, de nombreuses femmes musulmanes refusent d’avoir affaire à un médecin masculin. L’islam, en réalité, n’interdit pas qu’une femme soit examinée par un homme. Les spécialistes de la sharia sont unanimes pour le dire. Sur ce point, remarquons-le, nous sommes moins stricts que les Juives. Si une femme, qu’elle soit chrétienne, juive ou musulmane, préfère être examinée par une femme, je peux comprendre. S’il n’y a pas de médecin-femme, la femme doit accepter la situation : son devoir est de se soigner. Mais une femme se sent parfois plus à l’aise si c’est une autre femme qui prend soin d’elle : les hôpitaux devraient composer avec sa sensibilité. J’entends dire aussi qu’il arrive que, lors d’un accouchement, le mari intervienne à la place de la maman, par exemple pour accepter ou refuser une péridurale. Ceci est inadmissible en islam. Là encore, il s’agit de coutumes importées du bled mais il ne faut pas tolérer qu’elles s’implantent en France. En réalité, à en croire les « savants », la décision revient au médecin. Par exemple si un médecin demande à un patient de ne pas faire le ramadan, il faut suivre sa prescription, même si le médecin n’est pas musulman.

Autre point : la femme doit-elle être accompagnée, lorsqu’elle voyage, par un homme de sa famille ? C’est encore une question qui m’est parfois posée. Il est vrai qu’un hadith le recommande. Mais la prescription pouvait se comprendre à une époque où les voyages en chameau étaient longs et dangereux. Il fallait pouvoir faire face à de nombreuses difficultés. Maintenant qu’on peut aller d’un pays à un autre par avion, ces précautions n’ont plus de raisons d’être.

J’aborde le dernier sujet qui intrigue les non-musulmans : Y a-t-il, dans l’éducation des enfants, un comportement différent pour les garçons ou pour les filles ? Je suis papa de deux garçons et de deux filles. Je ne fais pas de différence entre eux dans ma façon de les éduquer et je suis aussi sévère avec les uns qu’avec les autres. La plupart des musulmans que je connais agissent comme moi-même. Il arrive parfois, c’est vrai – mais c’est encore un reste des habitudes du bled – que des parents protègent la virginité des filles et se désintéressent du comportement sexuel des garçons. Je désapprouve cette ségrégation : les garçons et les filles doivent se soumettre aux mêmes exigences morales.

Pour conclure je fais part de deux convictions aussi fortes l’une que l’autre. D’une part il faut constater que les musulmans de France doivent se libérer des comportements de leurs familles demeurées au bled et se soumettre aux lois de la France. C’est la condition pour nouer avec tous des relations pacifiques. La deuxième conviction concerne le Coran. Plus qu’aux commentaires c’est à la parole de Dieu qu’il convient de se référer pour en venir à faire face aux circonstances. La volonté de Dieu qui se révèle dans le Livre est une invitation adressée aux musulmans de France. Ils ont à inventer une manière de vivre par-delà tous les changements auxquels nous contraint l’immigration et à devenir frères de tous ceux qui habitent le pays qui nous a accueillis.

Mohammed Benali


Retour au dossier "Misogynie et religions" / Retour page d'accueil